Tout est dans les détails
Le secret d'une bonne propagande réside dans le soin apporté aux détails. Siniora, la lèvre tremblante, l'œil humide, pas mal. Mais à côté des généraux à lunettes de soleil de l'aviation israélienne, ça fait hommelette.
Lors de la séance extraordinaire (extraordinairement nulle, à vrai dire) du Conseil de sécurité de l'ONU, le représentant du Liban a parfaitement respecté les usages diplomatiques: il s'est exprimé dans sa propre langue, l'arabe. Grossière erreur: sur CNN, on se retrouve avec un arabophone (l'arabe étant la langue parlée, comme chacun le sait, par les ennemis sanguinaires de l'Occident) dont la voix est couverte par une traduction hésitante. On a l'impression que le gars bute sur chaque mot (alors que c'est uniquement la traductrice). Le représentant israélien, lui, ne s'exprime pas en hébreu; il parle directement en anglais, la langue officielle de CNN. Du coup, quand il propose à son interlocuteur libanais de venir s'assoir à côté de lui pour mater le Hezbollah (confondant certainement ce diplomate avec un membre de l'ALS), le télespectateur étazunien est immédiatement ému par cette offre d'une profonde confraternité exprimée dans la langue de la démocratie.
Autre détail (qui tue): toutes les armes du Hezbollah sont systématiquement nommées. Tout missile du Hezbollah, lorsqu'il tombe, est une fusée Katyusha, un missile Raad, parfois Fajr-3 ou Fajr-5. Pour le Hamas, ce sont des Qassam. L'information factuelle n'est en rien enrichie: ça seraient des missiles Shawarma ou des roquettes Taboulé, ça n'y changerait rien, je doute qu'il y ait grand monde, devant CNN, capable de donner les caractéristiques d'une Katyusha modifiée B-34-Tarator ou d'un Qassam amélioré Chich-taouk; cependant grâce à ce rappel systématique du nom (à consonnance curieusement arabe ou perse, notez), l'arme signe la milice, l'acte est baptisé, plus proche, donc plus sauvage. Essayez: «Le Hezbollah a tiré des roquettes sur le nord d'Israël» ne sonne pas comme «Le Hezbollah a tiré des fusées Katyusha sur le nord d'Israël». Ces Arabes vénèrent leurs armes, donc vénèrent la violence (rendez-vous compte, ces gens exhibent une Kalashnikov sur leur drapeau). Puis rapidement cela associe l'arme à son pays fabricant (l'Iran, je suppose).
Concernant les armes israéliennes, vous ne connaissez pas leur nom. Quelle est la marque du missile tombé sur cette maison, quelle est le fabriquant de la roquette tombée sur un immeuble de Beyrouth, quel sigle sur la bombe au phosphore qui annihile ce village? La guerre israélienne est propre, ses armes n'ont pas de nom, c'est de l'explosion impersonnelle. Il n'est pas plus intéressant de savoir si les armes qui massacrent une famille du Sud-Liban sont d'origine américaine ou israélienne.
La répétition par la propagande permet les associations immédiates. Après quelques jours de ce formatage, lorsque vous entendez «Hezbollah», vous pensez «Katuysha»; vous entendez «Hamas» et résonne alors «Qassam». Même si vous êtes loin du Liban et de la Palestine, même si vous sirotez votre bière devant la télévision. Vous entendez «Israël», et si vous vivez loin du conflit, vous ne pensez pas immédiatement à une marque de missiles.
Logique similaire quand au nombre de missiles. Chaque jour vous avez droit au nombre de missiles tirés par le Hezbollah, vous ne connaissez jamais le nombre de missiles tirés par Tsahal. C'est très étonnant, chaque jour au réveil, le décompte de CNN donne immédiatement l'impression que le Hezbollah tirent plus de missiles que les Israéliens. Et pour la puissance explosive réelle, qui est pourtant le seul chiffre de comparaison que l'on utilise habituellement (vous savez, les kilotonnes larguées sur une ville), mystère et boule de gomme.
1 commentaire:
Bonjour Nidal,
Je me trouvais au Liban au mois de juin, et j'ai acheté, par hasard, un manuel d'histoire chez un petit libraire à Beyrouth. La note que vous publiez me rappelle étrangement un passage de ce livre:
"A qui la propagande doit-elle s'adresser? A l'intelligentsia scientifique ou à la masse la moins cultivée? Elle ne doit s'adresser qu'à la masse! [...] Car toute propagande doit être populaire, elle doit ajuster son niveau intellectuel en fonction de la capacité d'absorption des plus bornés de ceux qu'elle veut toucher. Aussi, plus grande sera la masse des gens à atteindre, plus bas devra être son niveau intellectuel.
Les masses ont une capacité d'absorption très limitée, elles comprennent peu et oublient beaucoup. Il résulte de tout cela qu'une propagande efficace devra se limiter à un très petit nombre de points et les exploiter sous forme de slogans jusqu'à ce que tout le monde, jusqu'au dernier, réussisse à voir derrière le mot ce qu'on veut lui faire comprendre.
Si l'on sacrifie ce principe et que l'on veut couvrir un champ large, l'effet sera dispersé, car la masse ne pourra ni digérer ni conserver la substance qu'on lui propose." (A. Hitler, Mein Kampf, 1925).
Mon intention n'est pas de souligner l'identité spirituelle entre la méthode israélienne et la pensée hitlérienne - qui du reste est flagrante -, mais de mettre en lumière la marge de manoeuvre laissée au "target consumer", au consommateur-cible de cette "substance" abjecte qu'est la propagande. En d'autres termes, ici aussi, comme partout, nous avons un contre-pouvoir, qui est notre capacité de résistance. Car s'il est bien vrai que nous ne contrôlons pas tout ce que l'on ne nous donne à voir ou à entendre, nous n'en sommes pas moins responsables, au bout du compte, de ce que nous voyons et entendons. Il me paraît nécessaire de rappeler que la méthode de la propagande, ou "lavage de cerveau en toute légalité", peut conduire (nous en avons hélas maints exemples dans l'histoire) à commettre des actes immoraux. Et, fort heureusement, les circonstances atténuantes n'ont jamais évité à un criminel - eût-il été manipulé - une condamnation pour ses crimes. Disons, pour résumer, que l'on est responsable de l'éducation que l'on reçoit...
Je parcours régulièrement votre blog (et je vous ai blâmé ces derniers jours, car les "nouvelles" tardaient à arriver!). On y trouve, certes, de bonnes idées, mais les belles idées, il y en a, vous le savez, plein les livres... Ce qui m'interpelle le plus, c'est votre méthode. Je vous félicite du travail que vous faites, et vous remercie du plaisir que vous nous apportez.
Bien cordialement
P.S. (quand même, je peine à croire que vous n'êtes pas Libanais...)
Enregistrer un commentaire