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24 décembre 2009

Grâce à Copé, la paix au Liban (ou pas)

Amis libanais, tremblez:

Le patron du groupe UMP de l'Assemblée [Jean-François Copé] essaie, aussi, de lancer lors de chacun de ses déplacements une initiative «interparlementaire». Au Liban, il a monté avec Fouad Siniora un groupe de travail pour réfléchir aux questions «culturelles et identitaires», qui, il en est persuadé, sont appelées à prendre une importance grandissante.
Le gouvernement qui, déjà, applique le programme de Bachir Gemayel en France ainsi que le chef du parti qui nous a donné Hadopi pour la culture, les caméras de surveillance, le débat sur l'«identité nationale» et l'interdiction de la burqa, vont donc aider le Liban à «réfléchir aux questions “culturelles et identitaires”». Bon courage.

Au passage, j'aimerais bien savoir dans combien d'anciens pays colonisés la France se rend pour donner des conseils sur leur identité nationale. Madagascar, Algérie, Vietnam, etc., faites appel aux Français pour vous dire ce qui constitue votre culture et votre identité nationale, vous n'allez pas être déçus.

22 décembre 2009

Le vol d'organes sur des Palestiniens, c'était donc vrai

La méthode est désormais classique:

  • un journaliste occidental publie un article très gênant pour Israël; l'article passe quasiment inaperçu;
  • les réseaux sionistes repèrent l'article et montent un énorme scandale; l'article est immédiatement taxé d'antisémitisme, les autorités israéliennes en font des montagnes (exigeant une condamnation par le pays où est publié le journal);
  • les médias occidentaux évoquent alors l'affaire, mais uniquement sous l'angle de l'accusation d'antisémitisme et des «tensions» entre Israël et un pays occidental;
  • fin du premier épisode. Personne ne s'intéresse, évidemment, au contenu «gênant» de l'article d'origine, n'enquête sur les révélations, et se contente au mieux d'enquêter sur la personnalité du journaliste et sur ses «réseaux» (du genre: son texte a été repris sur les sites «conspirationnistes» sur Internet, donc le journaliste est bien quelqu'un de louche);
  • puis on apprend, quelques mois après, que l'information gênante était vraie (généralement, parce qu'un média israélien l'a vérifiée; si Al Jazeera valide une telle information, ça n'a évidemment aucun intérêt); réaction des médias occidentaux: au pire (situation française), quasiment aucune reprise; au mieux, on évoque rapidement l'information, mais on essaie de circonscrire l'effet de cette info à «la colère du monde arabo-musulman».
L'histoire qui m'intéresse aujourd'hui, c'est celle du vol d'organes sur des Palestiniens tués par l'armée israélienne.

Pour les médias, l'affaire commence avec l'article de Donal Boström dans le journal suédois Aftonbladet. L'article a été traduit en français par le réseau Tlaxcala.
Les familles en Cisjordanie et à Gaza étaient sûres de ce qui était arrivé à leurs fils : «Nos fils sont utilisés comme donneurs d'organes involontaires», m’a dit un proche de Khaled de Naplouse, de même que la mère de Raed de Jénine et les oncles de Mahmoud et Nafes dans la bande de Gaza, qui ont tous disparu pendant un certain nombre de jours avant de revenir de nuit, morts et autopsiés.

«Pourquoi sinon garder les corps pendant au moins cinq jours avant de nous laisser les enterrer? Qu'est-il arrivé aux corps pendant cette période? Pourquoi effectuent-ils une autopsie, contre notre volonté, lorsque la cause du décès est évidente? Pourquoi les corps sont-ils rendus de nuit? Pourquoi avec une escorte militaire? Pourquoi la zone est-elle bouclée pendant l'enterrement? Pourquoi l'électricité est-elle coupée?» L’oncle de Nafe était bouleversé, et il avait beaucoup de questions.
L'article ne devient une «affaire» que lorsque le gouvernement israélien réagit avec une exagération proprement sidérante. Le traitement médiatique ne concerne alors jamais le fond de l'article (l'accusation du vol d'organe par les Israéliens sur des Palestiniens tués par l'armée israélienne), mais unique les «tensions» entre Israël et la Suède. On compte des dizaines de reprises dans les médias français. Par exemple sur le Point: «Israël hausse le ton contre la Suède après un article jugé antisémite»; sur le fond de l'article, comme tous les journaux, il est seulement indiqué «Aftonbladet n'apporte toutefois aucune preuve, le rédacteur en chef expliquant avoir autorisé la publication car l'affaire “pose un nombre de questions pertinentes”.»
«Nous ne demandons pas des excuses du gouvernement suédois, nous voulons de sa part une condamnation (de l'article)», a déclaré le Premier ministre Benjamin Netanyahu lors du conseil des ministres hebdomadaire, selon une source officielle.

En Israël, des centaines d'Israéliens ont signé une pétition en ligne contre le géant du meuble suédois Ikea, selon Haaretz.

«La crise perdurera tant que le gouvernement suédois n'aura pas changé d'attitude à propos de cet article antisémite. Celui qui ne le condamne pas n'est pas forcément le bienvenu en Israël», a déclaré aux journalistes le ministre des Finances Youval Steinitz.

«Le gouvernement suédois ne peut plus se taire. Au Moyen-Age, on répandait des diffamations accusant les juifs de préparer le pain azyme de Pâques avec du sang d'enfants chrétiens, et aujourd'hui ce sont les soldats de Tsahal (l'armée israélienne) qui sont accusés de tuer des Palestiniens pour prélever leurs organes», a accusé le ministre.

Ces tensions diplomatiques tombent au plus mal, alors que le chef de la diplomatie suédoise Carl Bildt est attendu en visite officielle en Israël dans dix jours. La Suède exerce la présidence tournante de l'Union européenne.

[...]

Le chef de la diplomatie israélienne, Avigdor Lieberman, a carrément comparé l'attitude de la Suède dans cette affaire à la politique de neutralité qu'elle adopta durant la Seconde Guerre mondiale. «A l'époque aussi, la Suède refusait d'intervenir» contre le génocide nazi, a-t-il reproché.
On peut rechercher dans les archives autour de cet article, on ne trouvera aucun média français pour aller plus loin que cette phrase «Aftonbladet n'apporte toutefois aucune preuve». Des témoignages de Palestiniens ne sont, évidemment, jamais des preuves.

L'affaire est close.

Pourtant, selon Romandie, «Aftonbladet revient sur les trafic d'organes de Palestiniens» le 23 août:

Deux de ses journalistes ont interrogé cette semaine dans le village cisjordanien d'Imatten la mère et le frère de Bilal Achmad Ghanem, qui, selon le journal suédois, est un jeune de 19 ans tué par des soldats israéliens il y a 17 ans, soupçonné d'avoir été un meneur dans la première Intifada.

Saadega Ghanem, la mère de Bilal, affirme que le 13 mai 1992, après l'avoir tué, les soldats ont transporté le corps de son fils par hélicoptère en Israël. Rendu quelques jours plus tard à la famille, la mère précise alors que «Bilal était étendu dans un sac noir. Il n'avait plus aucune dent. Le corps avait été ouvert de la gorge jusqu'au ventre puis très mal recousu».

Le journal écrit que le frère cadet de Bilal, Jalal Achmad Ghanem, 32 ans, «croit que les organes ont été volés».
Pourtant, CNN publie un reportage le 2 septembre: «Donor says he got thousands for his kidney»:
According to Scheper-Hughes, who is in the final stages of writing a book on organ trafficking, much of the world's illicit traffic in kidneys can be traced to Israel.

«Israel is the top,» she said. «It has tentacles reaching out worldwide.»
Certes, l'enquête ne concerne pas un «vol» d'organes, uniquement la vente illégale d'organes.  Mais on a bien un trafic dont «Israël est le sommet».

Incidemment, on apprend qu'on ne parle pas ici de petites sommes. Des pots-de-vin entre 5000 et 10000 dollars, l'achat auprès des donneurs entre 5000 et 25000 dollars pour un rein, et, finalement:
A federal complaint against Itzhak-Levy Rosenbaum said he had offered to provide a new kidney for a relative of an undercover FBI agent for about $160,000.
Surtout, Kawther Salam publie un article soutenant et complétant l'article d'Aftonbladet: «The Body Snatchers of Israel», traduit en français par le réseau Tlaxcala («Les détrousseurs de cadavres d'Israël»).
Je pense que le gouvernement israélien et tous ceux soupçonnés d'être complices se doivent de répondre à quelques questions difficiles, avant de se plaindre d'un rapport bien écrit paru dans un journal suédois et qui parle d'un seul cas parmi des milliers:
  • Où sont les corps des deux frères Imad et Adel Awad Allah d'Al-Bireh, du district de Ramallah, assassinés le 10 Septembre 1998 dans la ferme d’Akram Maswadeh près -d'Hébron?
  • Où sont les corps de Hani Ahmad Kharboush et Adel Mohammad Hadaideh assassinés le 6 Juin 2003 à "Ateel", une ville au nord de Tulkarem en Cisjordanie?
  • Où est le corps de Borhan Sarhan, qui a été assassiné le 4 Octobre 2003 dans le camp de réfugiés de Tulkarem?
  • Où est le corps de Hassan Issa Abbas, assassiné le 9 Octobre 1994, à Jérusalem?
  • Où est le corps de Hisham Hamad, assassiné dans la bande de Gaza, le 11 Novembre 1993?
  • Où est le corps de Salah Jad Allah Salem, assassiné le 14 Octobre 1994?
  • Où sont les corps des deux ressortissants japonais qui ont été assassinés en 1972?
  • Israël est-il à même de prouver que les organes de ces gens, et ceux des centaines, voire des milliers de Palestiniens enterrés dans des tombes numérotées de l'armée israélienne, n'ont pas été volés?
  • Pourquoi Israël enterre-il les victimes de son occupation en secret, dans des tombes numérotées, s’il n’y a pas eu vol de leurs organes ?
Ce billet, en particulier, met en cause un certain docteur Yehuda Hiis: « Le Docteur Yehuda Hiss a charcuté trois adolescents de Gaza»:
Le patron du département de pathologie d’Abou Kabir (du soi-disant Institut médico-légal), le docteur Yehuda Hiss, affirma qu’il avait reçu ces enfants sans connaître leurs noms, et qu’on les avait tous trouvés tués par des clous que l’on trouve dans les munitions des tanks ( les fléchettes).
Hiss enfreignait la loi israélienne quand il a accepté les corps des enfants sans savoir qui ils étaient et à l'insu de leurs familles, mais ce n'était pas son souci. Les trois corps furent donnés à l'Autorité palestinienne plusieurs jours après leur meurtre, bourrés de coton.
Mais en quelques jours, il était déjà trop tard. L'affaire n'avait déjà plus aucune autre importance que les «tensions» entre Israël et la Suède. Le grand show à base d'imputation d'antisémitisme orchestré par Israël avait parfaitement réussi: personne ne s'intéressera aux allégations de l'article, c'est-à-dire le vol d'organes sur des Palestiniens tués par l'armée israélienne, et sa possible connexion avec un trafic international d'organes dont Israël serait «le sommet».

Coup de théatre: hier (le 21 décembre), la révélation vient d'un reportage d'une télévision israëlienne: le docteur Hiss reconnaît le prélèvement illégal d'organes sur des Palestiniens, l'armée aussi, tout en précisant que la pratique aurait cessé.

Tout aussi spectaculaire: aucun journal français ne reprend l'information. Je n'en trouve trace ni sur le Figaro, ni sur le Monde, ni sur Libération. Seule une dépêche non signée de l'AP est passée sur le fil info du Nouvel Obs: «Israël: des organes ont été prélevés sur des Palestiniens». Et l'on retrouve des noms qu'on avait déjà croisés dans l'enquête de CNN et dans le billet de Kawther Salam.
Israël a reconnu que dans les années 1990, ses médecins légistes avaient collectés les organes de corps morts, notamment sur des Palestiniens, sans autorisation des familles.

[...]

L'auteur de l'entretien, Nancy Scheper-Hugues, professeur à Berkeley, a décidé de publier l'interview en réponse à la controverse soulevée par l'article du journal, qui avait créé des tensions diplomatiques. Pour cette anthropologue, la pratique symbolique de prendre la peau de l'ennemi a été reconsidérée. Pour le ministère de la santé israélien, les directives à l'époque n'étaient pas claires.
Les médias anglosaxons en parlent un peu plus mais, à l'image du Guardian, le traitement se limite au «damage control». Ainsi, dans l'article «Doctor admits Israeli pathologists harvested organs without consent» (déjà, le titre est un bel «understatement»), on peut lire:
The revelation, in a television documentary, is likely to generate anger in the Arab and Muslim world and reinforce sinister stereotypes of Israel and its attitude to Palestinians. Iran's state-run Press TV tonight reported the story, illustrated with photographs of dead or badly injured Palestinians.
Deux phrases, deux saloperies. La crainte n'est pas que l'information soit affreusement grave et qu'Israël ait, à nouveau, battu ses records de bassesse, mais que cela «génère de la colère dans le monde arabo-musulman et que cela renforce les stéréotypes contre Israël». C'est pourtant bien Israël qui a lancé le thème de l'antisémitisme sur le sujet et établit le lien suivant: «Au Moyen-Age, on répandait des diffamations accusant les juifs de préparer le pain azyme de Pâques avec du sang d'enfants chrétiens». Le sujet n'est clairement pas un stéréotype antisémite propre aux arabes, c'est bien un acte d'une bassesse inimaginable commis par les israéliens. Et ensuite, la mention du fait que ça a été repris par la télévision iranienne permet d'insister sur l'aspect «louche» de ces stéréotypes «antisémites»; alors que c'est bien une télévision israélienne qui a diffusé cette information.

À ce stade, ça devient grandiose. Quasiment aucun média français ne reprend l'information (produite par une télévision israélienne), mais la télévision iranienne y consacre un reportage, et ce serait l'honneur de nos médias de ne pas diffuser ces «stéréotypes contre Israël»? On a là un crime qui doit choquer n'importe quel être humain, mais ça ne risque de «générer de la colère» que dans le monde arabo-musulman? Les «occidentaux» ne seraient donc plus capables de la moindre indignation?

Déjà, le courageux journaliste irakien qui a fait de la prison pour avoir jeté ses chaussures à la face du criminel de guerre Georges Bush nous a été présenté comme «un héros du monde arabe». Après le vote raciste suisse contre les minarets, la seule conséquence pratique que l'on agitait était des sanctions de la part des investisseurs arabes. Quant à la Grande-Bretagne, elle s'excuse parce que sa justice a émis un mandat d'arrêt contre une criminelle de guerre israélienne. Il y aurait donc des héros et une colère exclusivement arabes; les européens, eux, n'auraient que des excuses.

Dans cette histoire, le grand cirque de l'imputation d'antisémitisme, agitée initialement par le gouvernement israélien, continue à être efficace. L'info «sent mauvais» et plus personne ne veut y toucher.

Il y a trois jours, le Point était parvenu à nous informer qu'en Israël, «Les donneurs d'organes seront receveurs prioritaires» (comme quoi, la bassesse n'interdit pas le ridicule). Et, autant on a habituellement droit au détail des interdits religieux musulmans jugés aberrants, autant sur ce coup là, on évitera de faire le lien avec un interdit religieux juif:
Mais en même temps, la loi juive interdit la profanation d’un cadavre (nivoul hameth). Le corps d’une personne décédée, étant donné qu’il a accueilli une âme sainte, doit être traité avec un respect extrême.

[...]

Compte tenu de l’interdiction de profaner le corps humain, il est interdit de faire un don à une « banque d’organes », là où il n’y a pas de receveur spécifique et immédiat.

Il est également interdit de faire don d’un organe pour la recherche médicale ou pour permettre aux étudiants en médecine de se livrer à des dissections.
Le député arabe israélien qui explique que le scandale du vol d'organes est un nouveau signe du racisme de la société israélienne («inherent racism plaguing the Israeli Jewish society»), n'est donc pas cité. Pourtant, c'est assez transparent: il y a un déficit de donneurs en Israël, sans doute lié à un interdit religieux qui proclame «l'interdiction de profaner le corps humain», mais on s'y livre sur des cadavres palestiniens.

Alors quoi, une enquête européenne sur ce nouveau crime israélien, le vol d'organe sur des Palestiniens tués par l'armée israélienne, c'est totalement inimaginable? Est-ce que les échanges commerciaux «privilégiés» avec les États extra-européens ne sont pas conditionnés au respect minimum des droits de l'Homme?

En conclusion, citons le député arabe israélien Ahmed Teibi:
S'ils admettent cela, imaginez l'ampleur de ce qu'ils dissimulent.

09 novembre 2009

François Cluzet parle de Salah Hamouri

France 2, journal de 13 heures, dimanche 8 septembre 2009.



N'est-ce pas mignon: Jean-François Coppé et Laurent Delahousse prétendent ne pas savoir qui est Salah Hamouri.

07 octobre 2009

Corruption, incompétence, collaboration, ou les trois?

Le scandale de la reddition en rase campagne de Mahmoud Abbas quant au rapport Goldstone provoque une crise profonde. Après mon billet d'hier (la traduction d'un billet d'Electronic Ali), il me semble intéressant de vous présenter d'autres commentaires sur cette affaire.

En particulier, un billet remarquable de Saree Makdisi offre trois explications possibles:
Corruption; incompetence; collaboration: ah, the agony of choice.
Comme il le dit simplement, la trahison est grave:
On peut difficilement attendre d'autres États qu'ils résistent à la pression étasunienne et soutiennent une résolution en faveur des droits des Palestiniens que la délégation palestinienne elle-même renonce à soutenir – pourquoi le Venezuela, le Nigeria ou le Pakistan devraient être plus Palestiniens que les Palestiniens?
Concernant la corruption de l'Autorité palestinienne, Saree Makdisi reprend essentiellement les informations déjà présentes dans le billet d'Electronic Intifada que j'ai traduit ici hier: l'implication directe de la clique Abbas dans une entreprise téléphonique financée par des hommes d'affaire du Golfe, et le chantage israélien pour «libérer» la bande de fréquences nécessaire au lancement de ce réseau téléphonique.

Je voudrais faire ici un aparté.

La question de la corruption en Palestine m'a toujours paru problématique: c'est typiquement un sujet exploité par les Israéliens pour déligitimer leurs interlocuteurs et pouvoir prétendre qu'ils n'ont aucun «partenaire» pour négocier (en faisant, évidemment, l'économie de leurs propres problèmes de corruption). En gros: Arafat est corrompu, on peut pas négocier avec lui; les organisations de résistance, elles, sont «islamiques», «antisémites», «terroristes», on ne peut pas non plus négocier avec elles. Situation confortable pour qui ne cherche pas la paix («nous n'avons pas d'interlocuteur pour la paix»...).

Surtout, peut-on sérieusement s'étonner de l'existence de la corruption en Palestine? Soixante ans d'occupation, des enjeux de pouvoir permanents (puisque, dans un non-État, le pouvoir ne peut évidemment pas avoir de légitimité purement démocratique, mais être uniquement le fruit d'enjeux, de négociations, d'«équilibres» diplomatiques, de l'histoire de la lutte armée... au point que, lorsqu'une légitimité démocratique émerge enfin après des élections, elle est immédiatement noyée sous les bombes et le blocus), le besoin permanent de graisser des pattes (en Palestine occupée et à l'étranger), la fréquentation continue d'officines de sécurité recourant elles-mêmes à la corruption, la longue fréquentation du système libanais (hé hé), le besoin de financer une tripotée de trucs occultes (armes, communication), l'obligation d'ailleurs de mettre en place des structures occultes pour ne pas servir de cible aux interventions israéliennes, de l'argent légal déversé dans un non-État sans structures de contrôle ni contre-pouvoirs, et des financements occultes de la part de tous ceux qui interviennent en Palestine pour promouvoir leurs intérêts ou leur idée de la «paix» (le «Quartet», Israël, les pays du Golfe, etc.). Le système politique israélien, qui se présente comme une démocratie moderne dotée de contre-pouvoirs, est totalement vérolé par la corruption. Comment imaginer que la Palestine, qui n'a aucune des caractéristiques d'un État, puisse échapper à la corruption? Corruption qui, dans cette situation, me semble à la fois inévitable et, pour une part, indispensable.

Bref, le système Arafat a toujours été corrompu et a toujours fait usage de la corruption. Mais le problème est qu'il est très difficile d'utiliser cet unique argument pour nier sa légitimité. Il y a une foule d'autres aspects pour critiquer l'épopée Arafat, mais le problème de la corruption m'apparaît naïf et (trop) facilement utilisé par les israéliens pour refuser toute négociation.

Cependant, avec Abbas et «la jeune garde» symbolisée par Dahlan, il n'est pas impossible de considérer que la corruption est devenue l'unique moteur de l'Autorité palestinienne, l'aspect central expliquant les deux autres aspects évoqués par Saree Makdisi, l'incompétence et la collaboration.

La seconde explication possible, selon Makdisi, est l'incompétence.
L'une des explications est, simplement, l'incompétence: qu'Abbas et ses associés manquent tellement d'intelligence, d'imagination et compétences politiques qu'ils aient simplement raté toute l'affaire. Cela n'est certainement pas hors de question: Abbas lui-même est un homme extraordinairement fade et profondément compromis, et son cercle d'intimes – dont des hommes comme Mohammad Dahlan et Saeb Ereikat – inspire encore moins confiance qu'Abbas lui-même. En dehors de leur profond dédain pour les souffrances palestiniennes à Gaza (obtenir réparation de ces souffrances devrait être leur principale priorité), il devrait être clair qu'un participant à une négociation qui jette volontairement par la fenêtre une de ses rares cartes maîtresses tout en essayant (ou en prétendant) négocier n'est, c'est un euphémisme, pas qualifié pour négocier dès le départ, et encore moins pour prétendre «mener» un peuple rebelle et invaincu comme les Palestiniens. Si la direction de Ramallah est aussi désespérément incompétente selon ce scénario, c'est une raison suffisante pour leur retirer leur mandat, sinon pour dissoudre l'Autorité palestinienne elle-même. (Il est difficile, cependant, de «retirer son mandat» à quelqu'un comme Abbas, qui n'a de toute façon pas de «mandat» [...].)
L'option de l'incompétence est celle soutenue par Rami G. Khoury dans un billet du Daily Star:
The total emptiness in the Palestinian presidential chair is a problem that has a solution; in one move Abbas can help rebuild the credibility of the Palestinian presidency while simultaneously strengthening overall Palestinian national unity and political cohesion.

He should simply call early elections for the Palestine Authority presidency, not stand as a candidate, and instead devote time to using his other position as head of the Palestinian Liberation Organization’s Executive Committee to achieve a critical need absent from Palestinian life for decades: namely, building a national consensus by giving voice to all groups of Palestinians and especially to refugees living in camps throughout the Middle East.
Mais l'aspect le plus intéressant de l'article de Saree Makdisi est, à mon avis, sa troisième option: il explique le pourquoi du comment de l'Autorité palestinienne elle-même, et en quoi cette Autorité n'a qu'une seule fonction: la collaboration.
Une autre possibilité – que je trouve plus plausible – est qu'Abbas, l'Autorité palestinienne et l'essentiellement défunte OLP ne sont pas (et n'ont jamais été, au moins depuis la mort de Yasser Arafat) intéressés par de véritables négociations avec Israël qui auraient pu mener à la création d'un véritable État palestinien dans les territoires occupés. Après tout, une des principales critiques des accords d'Oslo de 1993-1995 qui ont donné naissance à l'Autorité palestinienne est que, loin de mettre un terme à l'occupation israélienne du territoire palestinien, ils ont surtout servi à transférer la charge et le coût quotidiens que représente l'occupation à l'AP nouvellement fondée, tout en permettant à Israël de continuer à démolir des maisons palestiniennes, à exproprier des terres palestiniennes et à construire des colonies juives en territoires occupés en contravention avec la loi internationale. Oslo a formellement divisé en trois parties le territoire palestinien qu'Israël occupe depuis 1967 (Gaza, la Cisjordanie et Jerusalem Est), séparées les unes des autres et du monde extérieur et, de plus, a divisé la Cisjordanie elle-même en trois Zones A, B et C. C'est seulement dans la Zone A (environ 18% du total) que l'Autorité palestinienne a une quelconque présence réelle sur le terrain, et dans la Zone C (60% de la Cisjordanie), l'AP n'a ni rôle ni aucune présence – et c'est là qu'Israël s'est consacré (et le fait toujours) à démolir, exproprier et construire. Oslo et l'Autorité palestinienne, en d'autres termes, loin de mettre un terme à l'occupation et de jeter les bases pour la création d'un État palestinien indépendant, ont en fait permis à Israël de consolider son occupation et de renforcer sa mainmise sur de terres palestiniennes. C'est exactement pour cela que la population de colons juifs en Cisjordanie et à Jerusalem Est a doublé pendant l'époque d'Oslo et a continué à augmenter depuis – jusqu'à atteindre aujourd'hui un demi-million de personnes.

Comme le récent épisode le démontre amplement, l'Autorité palestinienne sert Israël en facilitant l'occupation – ce pour quoi Israël l'a inventé à l'origine, de la même façon que, historiquement, les puissances coloniales ont toujours tenté de créer ou d'exploiter des élites locales pour les aider à gérer une large population: une approche joliment résumée par Macaulay dans sa Minute on Indian Education de 1835 («Nous devons à présent faire de notre mieux pour former une classe qui nous serve d'interprètes entre nous et les millions que nous gouvernons; une classe d'individus, Indiens par le sang et la couleur, mais Anglais par le goût, l'opinion, la morale et l'intellect»). Pourquoi l'Autorité palestinienne voudrait-elle la fin d'un système dont elle bénéficie? Comme l'intellectuel français Régis Debray le fait remarquer, le status quo founit aux élites de l'AP à Ramallah «un mode de vie, un statut, une dignité et une raison d'être», et probablement (par exemple, si toutes les rumeurs sur le contrat de téléphonie mobile sont avérées) bien plus par le biais d'émoluments afférents.

Même si l'on voulait donner à l'Autorité palestinienne, à Abbas et à ses associés le bénéfice du doute, et affirmer qu'ils mettent vraiment le meilleur intérêt de leur peuple au centre de leurs préoccupations, il reste dans tous les cas le fait que l'Autorité, même dans le scénario le plus optimiste, ne peut prétendre représenter qu'une minorité du peuple palestinien, puisque seule une minorité des palestiniens vit dans les territoires occupés: la majorité vit soit dans un exil qui leur a été imposé par la force lors de la création d'Israël en 1948, ou (dans le cas de ces Palestiniens qui ont survécu à l'épuration ethnique de cette année là et sont restés chez eux) en tant que citoyens de seconde classe dans un État qui se voudrait juif et qui les discrimine systématiquement parce qu'ils ne sont pas juifs.
C'est un point particulièrement intéressant et important, en ce qu'il questionne l'existence même de l'Autorité palestinienne, mise en place uniquement pour permettre à Israël de se débarrasser de la gestion d'une minorité des Palestiniens occupés (Ramallah n'ayant, en pratique, la gestion que d'une infime minorité du peuple palestinien). De fait, l'objet même de l'Autorité palestinienne est d'être une structure de collaboration, «auquel cas il n'est pas moins collaborationniste que le “gouvernement” de Vichy dans la France occupée par les nazis des années 1940».

Comme l'indique Yves Gonzalez-Quijano dans son court billet du jour, une autre rumeur, alimentée par le quotidienne israélien Maariv, circule. Reproduite par des médias palestiniens (même s'il est, pour le coup, particulièrement nécessaire de la prendre au conditionnel), on ne peut douter qu'elle aura un impact important), elle alimente également la critique d'un «régime de collaboration»:
La presse palestinienne (http://www.arabs48.com) relaie en arabe des infos «données» (?) par le quotidien israélien Maariv selon lesquelles les responsables de Tel-Aviv menaceraient Abou Mazen de rendre public une vidéo où on le voit plaider avec la toute dernière énergie devant le ministre de la Défense, Ehoud Barak, en faveur d’une intensification des bombardements sur Gaza. Ce serait - on souligne le conditionnel - la divulgation de ces images auprès de certaines délégations des Nations unies qui aurait entraîné la position palestinienne…
Angry Arab, lui, voit d'ailleurs déjà se profiler une tentative de sortie de crise (ce qui, d'ailleurs, irait dans la logique du billet du Daily Star): mettre tout sur le dos d'Abbas et le faire remplacer par un de ses plus proches collaborateurs (notamment Dahlan):
Il semble que les États-Unis et Israël soient en train de monter quelque chose: l'expression de l'opposition à Abou Mazen (Abbas) par de gens tels que Muhammad Dahlan et Nabil `Amr pourrait indiquer un plan pour se débarrasser d'Abou Mazen dans le but de sauver l'équipe collaborationniste du Fatah. Le gouvernement égyptien vient juste d'annoncer une date pour la signature d'un traité de réconciliation entre le Fatah et le hamas le 25 octobre. Le Hamas devrait être blâmé pour le sauvetage d'Abou Mazen.

06 octobre 2009

Abbas aide Israël à enterrer ses crimes de Gaza

L'information n'a, à nouveau, pas fait la Une de nos médias: l'autorité palestinienne a accepté de reporter de plusieurs mois une demande officielle de faire transmettre au Conseil des droits de l'Homme de l'ONU les conclusions du rapport Goldstone.

Yves Gonzalez-Quijano a évoqué cette affaire dans un billet récent:
On en parle (encore ?) peu dans la presse non-arabe, mais le report, pour mars prochain au plus tôt, du vote par le Conseil des droits de l’homme des Nations Unies sur le rapport rédigé par le juge Richard Goldstone à propos de la guerre de Gaza, faute d’un soutien de la part des officiels palestiniens, n’a pas fini de susciter des réactions. Certes, l’Autorité palestinienne affirme qu’il s’agit d’un repli tactique pour arriver à un plus grand consensus; elle explique aussi qu’elle a subi d’énormes pressions américaines et que la menace d’un vote pèse désormais, telle l’épée de Damoclès, au-dessus de la tête du gouvernement israélien qu’on imagine terrifié par cette éventualité…

Abou Mazen et consorts auront néanmoins beaucoup de mal à faire accepter leur décision par les organisations internationales qui, à l’image de Human Right Watch, se sont battues pour tenter de faire condamner par la «communauté internationale» les crimes de guerre commis à Gaza.

Et c’est peu dire qu’une telle position donne des arguments à tous ceux qui, en Palestine, considèrent qu’ils sont représentés par des marionnettes dignes des Guignols de l’info.
Alain Gresh revient lui aussi sur cette affaire dans son blog du Diplo et cite une dépêche de l'AFP qui indique:
Le président de l’Autorité palestinienne Mahmoud Abbas est la cible de vives critiques, y compris dans son propre camp, à la suite du report controversé du vote sur le rapport de l’ONU fustigeant l’attitude d’Israël pendant la guerre de Gaza. Cette crise risque d’affaiblir M. Abbas au moment où les Etats-Unis tentent de relancer les négociations de paix avec Israël, relèvent les observateurs. A Ramallah, siège de l’Autorité, des centaines de Palestiniens ont dénoncé lundi le soutien de leur direction à ce report, tandis que d’autres à Jérusalem parlaient de «coup de poignard dans le dos et le cœur de tous les martyrs». «Nous voulons que le président Abbas présente des excuses et si le gouvernement a quoi que ce soit à voir avec cette décision, nous voulons qu’il démissionne», a déclaré Mohammed Jadallah, le leader d’une coalition d’ONG palestiniennes.
Pour intéressants qu'ils soient, ces deux billets ne donnent malheureusement pas réellement de pistes pour comprendre la décision de Mahmoud Abbas, et la colère des Palestiniens et de ceux qui les soutiennent. Il faut consulter ce très intéressant article d'Ali Abunimah («Electronic Ali») pour comprendre la gravité de la situation. Pour As'ad Aboukhalil («Angry Arab»), c'est un nouveau record de bassesse que vient de battre le régime de Ramallah.

Je vous livre donc une traduction personnelle de l'article d'Electronic Intifada. Que ses conclusions soient justes (je pense qu'elles le sont) ou erronées, c'est un article important de toute façon: quand Abbas et Dahlan passeront la frontière israélienne en slip au milieu de la nuit (sort réservé par Israël à ses propres collaborateurs), quand ils seront mitraillés, émiettés ou pendus (sorts auxquels n'échappe quasiment aucune marionnette des occidentaux), quand les palestiniens persisteront à voter de manière prétendument «irrationnelle», c'est ce genre d'accusations, largement connues là-bas, ignorées ici, qui permettront de comprendre.

Abbas aide Israël à enterrer ses crimes de Gaza
Ali Abunimah, The Electronic Intifada, 2 octobre 2009

Alors qu'il semblait que l'Autorité palestinienne (AP) de Ramallah et son chef Mahmoud Abbas ne pourraient pas descendre plus bas dans leur complicité avec l'occupation israélienne de la Cisjordanie et le blocus meurtrier de Gaza, Ramallah vient d'infliger un nouveau coup de massue au peuple palestinien.

La délégation Abbas aux Nations unies à Genève (qui représente officiellement une Organisation de Libération de la Palestine moribonde) a renoncé à une résolution demandant au Conseil des droits de l'Homme de transmettre le rapport du juge Richard Goldstone sur les crimes de guerre à Gaza au Conseil de sécurité de l'ONU pour obtenir des sanctions. Bien que l'AP a agi sous la pression américaine, il existe de fortes présomptions que les intérêts commerciaux de palestiniens et d'hommes d'affaires du Golfe étroitement liés à M. Abbas ont également joué un rôle.

Le rapport Goldstone présente en 575 pages les preuves de crimes de guerre israéliens choquants et de crimes contre l'humanité commis pendant l'agression de l'hiver dernier contre la bande de Gaza, qui a tué 1400 palestiniens, en grande majorité des non-combattants, et des centaines d'enfants. Le rapport accuse également le mouvement de résistance palestinien Hamas de crimes de guerre pour avoir tiré de roquettes sur Israël qui ont tué trois civils.

Le rapport Goldstone a été salué comme un tournant par les Palestiniens et les partisans, dans le monde entier, de la primauté du droit; il a demandé que des suspects soient tenus responsables devant les tribunaux internationaux si Israël échoue à les poursuivre. Or Israël n'a jamais, dans son histoire, tenu ses dirigeants politiques et militaires juridiquement responsables de crimes de guerre contre les Palestiniens.

À juste titre, Israël a été terrifié par le rapport, mobilisant toutes ses ressources diplomatiques et politiques pour le discréditer. Ces derniers jours, le Premier ministre Benjamin Netanyahu a affirmé que si le rapport était suivi d'effets, il serait «un coup sérieux porté à la guerre contre le terrorisme», et «porterait un coup fatal au processus de paix, car Israël ne serait plus en mesure de prendre des mesures supplémentaires et de prendre des risques pour la paix si son droit à l'autodéfense lui était refusé.»

Sans surprise, un des premiers alliés dans la campagne israélienne pour l'impunité a été l'administration Obama, dont l'ambassadeur à l'ONU, Susan Rice, a exprimé «de très graves inquiétudes» concernant le rapport et a dénoncé le mandat Goldstone comme «déséquilibré, unilatéral et fondamentalement inacceptable.» (Rice a respecté fidèlement sa parole: en avril, elle avait déclaré au journal Politico que l'une des principales raisons qui avait motivé l'administration Obama à adhérer au Conseil des droits de l'homme de l'ONU était de lutter contre ce qu'elle appelait «la merde anti-israélienne»).

Goldstone, que sa fille a publiquement décrit comme un sioniste aimant Israël, est un ancien juge de la Cour suprême sud-africaine, et un juriste international hautement respecté. Il était le procureur en chef des tribunaux des crimes de guerre des Nations unies pour le Rwanda et l'ex-Yougoslavie.

Que le rapport Goldstone soit un coup sévère à la capacité d'Israël à commettre en toute impunité de futurs crimes de guerre ne fait aucun doute; cette semaine, s'appuyant sur le rapport, des avocats du Royaume-Uni ont demandé à un tribunal de délivrer un mandat d'arrêt contre le ministre israélien de la Défense en visite, Ehud Barak. Cette action n'a pas réussi, mais le gouvernement israélien a pris des mesures extraordinaires ces derniers mois pour essayer de protéger ses fonctionnaires contre les poursuites, craignant que la survenue d'arrestations ne soit plus qu'une question de temps. Parallèlement à la campagne internationale grandissante de boycott, désinvestissement et sanctions, la crainte de se retrouver à La Haye semble être la seule chose qui puisse pousser le gouvernement israélien et sa société à reconsidérer leur aventure destructrice.

On pourrait penser, alors, que les représentants auto-proclamés du peuple palestinien ne négligeraient pas une telle arme. Et pourtant, selon l'ambassadeur Ibrahim Abbas Khraishi, l'Autorité palestinienne à Ramallah a abandonné son action à la demande des Américains, au motif que «nous ne voulons pas créer un obstacle pour eux.»

L'excuse de Khraishi selon laquelle la résolution a simplement été reportée jusqu'au printemps ne convainc pas. Si aucune mesure n'est prise aujourd'hui, le rapport Goldstone sera enterré d'ici là et les preuves des crimes d'Israël – nécessaire à des poursuites – pourraient être plus difficiles à collecter.

Cette dernière reddition intervient moins de deux semaines après que M. Abbas est apparu à un sommet à New York avec le président américain Barack Obama et Netanyahu, malgré l'abandon de son exigence qu'Israël arrête la construction de colonies exclusivement juives sur des terres palestiniennes occupées. Déjà sous la pression américaine, l'AP a abandonné sa promesse de ne pas reprendre les négociations sans l'arrêt de la colonisation, et a accepté de participer à des «discussions de paix» avec Israël sous médiation américaine à Washington cette semaine. Israël, pendant ce temps, a annoncé des plans pour la construction de la plus grande colonie en Cisjordanie depuis 1967.

Ce qui est encore plus exaspérant, c'est la réelle possibilité que la PA soit en train d'aider Israël à se laver les mains du sang qu'il a déversé dans la bande de Gaza, pour des motifs aussi bas que l'intérêt financier d'hommes d'affaires étroitement liés à M. Abbas.

The Independent (Royaume-Uni) a signalé le 1er octobre:

«Shalom Kital, un assistant du ministre de la Défense Ehud Barak, a déclaré aujourd'hui qu'Israël ne libérera pas la part du spectre radioélectrique qui a longtemps été demandée par l'Autorité palestinienne pour permettre le lancement d'une deuxième société de télécommunications mobiles, à moins que l'Autorité palestinienne n'abandonne ses efforts pour mettre en cause les soldats et officiers israéliens au sujet de l'opération israélienne». («Les Palestiniens dénoncent le “chantage” d'Israël contre le service téléphonique», The Independent, 1er octobre).

Kital a ajouté que le fait que l'AP abandonne ses efforts pour faire avancer le rapport Goldstone constituait une «condition» spécifique. La compagnie de téléphone, Wataniya, a été décrite en avril dernier par l'agence Reuters comme «une société soutenue par Abbas» qui est une joint-venture entre des investisseurs du Qatar, du Koweït et le Fonds d'investissement palestinien dans lequel l'un des fils d'Abbas est étroitement impliqué. En outre, Reuters a révélé que la compagnie naissance ne souffrait apparemment pas d'une pénurie de capitaux grâce aux investisseurs du Golfe, recevant des millions de dollars de «l'aide des Etats-Unis sous la forme de garanties de prêts destinés aux agriculteurs palestiniens et d'autres petites et moyennes entreprises» (voir «L'aide américaine va à la société téléphonique soutenue par Abbas», Reuters, 24 avril 2009).

Un jour seulement avant que la délégation Abbas retire sa résolution à Genève, Nabil Shaath, le «ministre des Affaires étrangères» de l'AP a dénoncé les menaces israéliennes au sujet de Wataniya comme un «chantage» et a promis que les Palestiniens ne céderaient pas.

La trahison du peuple palestinien par l'AP au sujet du rapport Goldstone, ainsi que la poursuite de sa «coordination de sécurité» avec Israël pour réprimer la résistance et l'activité politique en Cisjordanie, doivent nous faire comprendre sans l'ombre d'un doute qu'il s'agit d'un bras actif de l'occupation israélienne, agissant de manière tangible et de plus en plus contre le peuple palestinien et sa juste cause.

22 juillet 2009

À la recherche du trou du cul du Web

C'est trop beau pour être vrai. Si vous cherchez (à l'instant), l'expression «trou du cul du web» dans Google.fr, vous obtenez:



27 juin 2009

L'invraisemblable obsession scatologique du soldat israélien

Jean-Pierre Perrin compile, dans un billet de Libération du 25 juin 2009, une liste d'«humiliations» subies par le corps diplomatique français, infligées par des soldats israéliens. Et notamment ce crime de lèse-drapeau parfaitement immonde:
Mais l'incident le plus choquant est l'occupation du domicile de l'agent consulaire français, Majdi Chakkoura, à Gaza pendant l'attaque israélienne de janvier. En son absence, les soldats israéliens ont complètement ravagé les lieux - pourtant signalés à l'armée israélienne -, volé une grosse somme d'argent, les bijoux de son épouse, son ordinateur et détruit la thèse sur laquelle il travaillait. Et ils ont souillé d'excréments le drapeau français.
Le silence total du gouvernement français sur cette affaire doit être évidemment comparé au délire médiatique organisé par le même gouvernement, un an après, à la suite d'une photographie montrant un jeune homme se torcher dans le drapeau.

Mais surtout, cette dernière phrase a fait ressurgir des souvenirs de discussions avec un ami libanais. Me racontant (une fois de plus - l'arabe est geignard) d'innombrables exactions israéliennes lors de l'invasion de 1982, mon ami me parla de la propension des soldats de l'État hébreux à déféquer un peu partout. Dans le long flot de vols, meurtres, pillages... cette histoire de défécation m'a semblé relever de cette tendance toute méditerranéenne à l'exagération romanesque.

Mais, avec le temps, je me suis rendu compte que cet aspect scatologique des «interventions» israéliennes était largement diffusé parmi mes interlocuteurs arabes, et totalement inconnu du côté de chez moi. Jusqu'à un fameux article d'Amira Hass, dans Haaretz en 2002, qui a fait connaître cette question liée au confort du soldat israélien.

C'est assez typiquement le genre de «mythe» que les palestiniens et les libanais connaissent et racontent depuis des années, mais que les médias occidentaux occultent absolument parce que c'est sans doute un mensonge inventé par ces arabes antisémites. Jusqu'au jour où c'est publié dans un journal israélien, et qu'alors ce «mythe» palestinien accède enfin au statut de vérité historique. Un peu comme cette fameuse «Nakba» dont les palestiniens nous ont si longtemps rebattu les oreilles, jusqu'au jour où, enfin, les «nouveaux historiens» israéliens nous ont permis de découvrir à la fin des années 80 ce que les arabes savaient depuis 1948.

Les aventures stercoraires de Tsahal sont documentées en anglais, de manière fragmentaire, et quasiment pas en français. Je vous livre donc ici une recension de ce sujet écœurant. Les traductions sont de mon fait, le lecteur est comme à chaque fois invité à consulter les textes originaux en anglais pour éviter de reproduire mes éventuelles erreurs de traduction.

Commençons ce récit du brave soldat israélien en milieu hostile par les mémoires de Jean Said Makdisi, Beirut Fragments:
Après le départ des Israéliens (de Beyrouth en 1982), nous avons commencé à entendre parler des aspects les plus extraordinaires de l'occupation. Les arrestations, les harcèlements, les fusillades, les pillages systématiques: il s'agissait de ce à quoi tout le monde s'attendait et, de fait, cela avait eu lieu. Mais la chose la plus inattendue, lorsqu'on en entendait parler pour la première fois, provoquait un rire hésitant. Progressivement, nous avons découvert que ce qui semblait être, au départ, un incident isolé, était en réalité une marque de fabrique et avait pris des dimensions beaucoup plus importantes.

Les soldats israéliens, partout où ils avaient séjourné, avaient déféqué dans des lieux choisis. Sur des livres, des meubles, des vêtements, des tapis; sur le sol des chambres à coucher, près des toilettes et dans les baignoires; sur les bureaux des écoles; et jusque dans les vitrines des magasins, les gens ont trouvé des fèces pourrissantes. Quelqu'un a juré qu'elle connaissait une maison près de l'aéroport où la maîtresse de maison en détresse avait découvert des selles dans ses machines à laver le linge et la vaisselle. Nous avons entendu qu'un homme était allé à son bureau et avait vu ces déjections puantes et insultantes sur tous les bureaux, sauf sur le sien. Triomphalement, il s'est installé à son bureau et s'est vanté auprès de ses malheureux collègues. Puis il a ouvert son tiroir et, là, soigneusement installé au milieu de ses fichiers, se trouvait le leg de l'armée israélienne.

Et ainsi, après la ruine et la tragédie, après les destructions et la souffrance, la mort et les mourants, les corps lacérés et les yeux aveuglés, les visages brulés et défigurés, les veuves et les orphelins – après tout cela, tout ce qui est resté n'a été qu'un gros tas d'excréments. Les incendies s'étaient éteints, étouffés par un amas de fumier. Une épouvantable plaisanterie, symbole d'un mépris supérieur, une puanteur cosmique était devenu le monument à la mémoire de ces mois d'agonie.
Noam Chomsky évoque également cet aspect de l'invasion de Beyrouth dans The fateful triangle:
Dans le même bâtiment, les soldats israéliens sont entrés par effraction dans l'appartement du professeur Khalidi, titulaire de la chaire du département de biochimie de l'Université américaine de Beyrouth. Ils l'ont totalement pillé, volant objets d'art, poteries anciennes, ustensiles de cuisines, outils, etc. Des sculptures furent jetées dans la rue. Les notes de lecture et les livres qui n'ont pas été volés ont été jetés au sol, puis les soldats «ont déféqué dessus» et «cassé des œufs crus sur l'empilement».
Plus loin:
À l'hôpital Berbir, que les israéliens avaient bombardé plusieurs fois, «la clinique et les appartements des médecins furent saccagés pendant les quatre jours d'occupation israélienne, selon les médecins présents». Des chaises ont été cassées, des ordures et de la nourriture répandues partout, des soldats ont dessiné sur des tapis avec du rouge à lèvres, ont déféqué dans des pots et des casseroles, volé les cassettes des conférences, les appareils photo, etc. Une mosquée sur le principal axe est-ouest a été profanée. «Nombre de ses tapis ont été volés, on a déféqué sur d'autres, et des canettes de bière ont été répandues au sol», selon des témoins habitant près de la mosquée.
Autre période, même mœurs. Cette tradition est évoquée en 1995 en Palestine dans le Palestine Yearbook of International Law:
48. Dans ma même ville [Ramallah], une famille a été réveillée le mercredi 19 octobre 1994 à deux heures du matin par un groupe d'officiers (quatre ou cinq selon le témoignage des occupants) utilisant un mégaphone pour ordonner à tous les habitants de sortir de la maison. Ils venaient arrêter un suspect, qui s'est avéré être un des enfants de la famille, un jeune étudiant. Laissant la famille à l'extérieur, le groupe d'officiers est entré dans la maison et a systématiquement saccagé chaque pièce: fauteuils, sofas et lits ont été éventrés, les armoires vidées et leur contenu jeté au sol, la cuisine détruite, les appareils mis en pièce et cassés, les récipients de nourriture retournés, notamment les pots d'olives qui ont été vidés sur la terrasse, les carnets et les livres scolaires déchirés. Pour couronner ce haut fait militaire, un des hommes a déféqué dans le hall et a jeté ses excréments sur un des lits. Ces événements sont survenus sept heures avant l'attaque de Tel Aviv le même jour et ne peuvent aucunement être considérés comme un acte de vengeance.
Sept ans plus tard, en décembre 2002, Samah Jabr raconte, dans le Washington Report on Middle East Affairs:
Nous avons tous été soumis aux images pornographiques diffusées par les israéliens quand ils occupaient les stations de télévision palestiniennes. Ces soldats n'ont pas hésité à uriner et à déféquer partout sur les biens palestiniens, dans les bureaux et les appartements qu’ils occupaient.
L'article qui a le plus fait connaître à l'étranger cette forme étrange de l'«art de la guerre» de l'armée la plus éthique du monde a été publié par Haaretz en 2002, sous la plume d'Amira Hass; le titre laisse peu de place à l'imagination: «Quelqu'un a même réussi à déféquer dans la photocopieuse». Elle décrit le comportement des israéliens lors du siège des bureaux d'Arafat en avril 2002. Après leur départ, les Palestiniens reprennent possession du Ministère de la Culture.
Dans d'autres bureaux, tous les équipements de haute technologie et l'électronique ont été détruits ou ont disparu - les ordinateurs, photocopieurs, appareils photos, scanners, disques durs, le matériel de montage d'une valeur de plusieurs milliers de dollars, les postes de télévision. L'antenne de diffusion sur le toit de l'immeuble a été détruite.

Les postes téléphoniques ont disparu. Une collection d'objets d'art palestinien (essentiellement des broderies faites à la main) a disparu. Peut-être ces objets ont-ils été enterrés sous les empilements de documents et de meubles, peut-être ont-ils été dérobés. Des meubles ont été tirés d'un endroit à l'autre, brisés par les soldats, et mis en piles. Des réchauds à gaz pour le chauffage ont été renversés, et jetés sur les tas de papiers épars, des livres jetés, de disquettes et de disques, et de vitres brisées.

Dans le département destiné à la promotion de l'art auprès des enfants, les soldats ont souillé les murs avec la peintures à la gouache qu'ils ont trouvée sur place, et détruit les peintures des enfants accrochées là.

Dans chaque pièce des différents départements – la littérature, le cinéma, la culture des enfants et les livres de jeunesse, des disques, des brochures et des documents ont été entassés, souillés d'urine et d'excréments.

Il y a deux toilettes à chaque étage, mais les soldats ont uriné et déféqué partout ailleurs dans le bâtiment, dans plusieurs chambres où ils avaient vécu pendant environ un mois. Ils ont fait leurs besoins sur le sol, dans des pots de fleurs vides, même dans des tiroirs sortis des bureaux.

Ils ont déféqué dans des sacs en plastique, et ceux-ci ont été dispersés en plusieurs endroits. Certains d'entre eux ont éclaté. Quelqu'un a même réussi à déféquer dans une photocopieuse.

Les soldats ont uriné dans des bouteilles d'eau minérale vide. Celles-ci ont été dispersées par douzaines dans toutes les pièces du bâtiment, dans des boîtes en carton, des piles d'ordures et de gravats, sur les bureaux, dans les bureaux, dans les meubles fracassés, entre les livres pour enfants qui avaient été jetés au sol.

Certaines des bouteilles s'étaient ouvertes et le liquide jaune s'était déversé et avait laissé des tache. Il a été particulièrement difficile de pénétrer dans deux des étages de l'immeuble à cause de l'odeur âcre des excréments et de l'urine. Du papier toilette souillé était également dispersé partout.

Dans certaines pièces, non loin de l'amas de matières fécales et de papier hygiénique, des restes pourrissants de nourriture ont été éparpillées. Dans un coin, dans la pièce dans laquelle quelqu'un avait déféqué dans un tiroir, de pleins cartons de fruits et de légumes avaient été abandonnés. Les toilettes ont été abandonnées débordant de bouteilles remplies d'urine, d'excréments et papier toilette.
En mars 2011, Max Blumenthal rapporte la vendetta après un meurtre dans une colonie:
Les soldats auraient détruit des biens, volé de l'argent, déféqué sur le sol des maisons, bandé les yeux des habitants avant de les frapper, laissant un jeune homme de 28 ans si grièvement blessé qu'il a dû être exfiltré vers un hôpital de Naplouse.
Une variante arrive désormais comme une innovation officiellement adoptée par la répression israélienne: en mars 2013, voici comment l'armée «punit» les civils palestiniens qui ont l'outrecuidance de participer à des manifestations:
Les forces israéliennes ont pulvérisé [avec des canons à eau] de l'eau souillée directement tirée des égouts sur les maisons palestiniennes du village de Nabi Saleh, comme punition pour avoir organisé les manifestations hebdomadaires contre le Mur d'Apartheid construit sur les terres occupées de la Cisjordanie. 
Comme c'est très bien expliqué dans le Jerusalem Post:
«Que notre camp soit pur.» Telle est la philosophie de mes combattants.

Non seulement parce qu'elle résume notre enseignement, mais parce qu'elle constitue l'essence de leur croyance et de leur héritage national. Une croyance et un héritage que nous partageons tous : Israéliens religieux et laïcs, de droite et de gauche, à l'armée et ailleurs. Elle est source de fierté et de confiance, même aux moments les plus difficiles.
Mais alors, éclairez-nous, Danny Zamir, vous qui «dirige[z] le programme prémilitaire Itzhzak Rabin», cette invraisemblable obsession scatologique de vos «combattants», ça leur vient d'où? Ça leur vient de «la philosophie», de «notre enseignement», de «l'essence de leur croyance», ou de «leur héritage national»?

Ou est-ce que ça leur vient de ce qu'ils mangent ?

10 juin 2009

Le Hezbollah et Aoun ont perdu avec... 54,8% des votes exprimés

Dans un court billet de ce 10 juin, Angry Arab répond à un billet de Thomas Friedmann dans le New York Times. Comme c'est, typiquement, le genre d'analyses approximatives que l'on trouve aussi dans les journaux français, je pense qu'une traduction de ce court billet pourra intéresser.


Y a-t-il quelque chose de plus agaçant qu'un correspondant occidental parachuté dans un pays étranger qui offre - à peine quelques heures après son arrivée - des conseils de sagesse et ses analyses sur ce pays? Et qui peut rivaliser en superficialité avec Thomas Friedman dans ce domaine? Vraiment.

Il a dit: «Tout d'abord, une solide majorité de chrétiens libanais ont voté contre la liste de Michel Aoun, qui voulait aligner leur communauté sur le parti chiite Hezbollah, et tacitement l'Iran, parce qu'il l'a considéré comme étant le mieux à même de protéger les intérêts des chrétiens - et non l'Occident.» Bien sûr, il se trompe dans sa référence aux électeurs chrétiens. En fait, non seulement Aoun reste la personne avec le plus grand bloc chrétien au parlement (en fait, son bloc s'est agrandi depuis 2005), mais dans l'ensemble, il a reçu quelque 50% des voix contre 49% des voix, si l'on ne mesure que le vote chrétien à l'échelle nationale. Et les principales régions dans lesquelles Aoun a perdu (comme à Zahlé), cela a été dû aux votes sunnites. (Ceci dit, je suis opposé à la petite division électorale et je pense que le Liban devrait être une seule unité électorale et la représentation proportionnelle devrait être adoptée: cela renforcerait les forces laïques à l'échelle nationale, qui sont aujourd'hui défavorisées et marginalisées).

Il a ensuite déclaré: «Deuxièmement, une forte majorité de tous les Libanais - musulmans, chrétiens et druses - ont voté pour la coalition du 14 Mars dirigée par Saad Hariri, le fils du Premier ministre libanais assassiné, Rafik Hariri.» Eh bien, désolé de vous décevoir, mais si vous mesurez le vote populaire lors de l'élection, il a été en faveur de l'opposition: les «perdants» ont recueilli 54,8% du total des voix (839.371 votes) et les «gagnants» sont à 45,2% des suffrages (692.285 votes)

Il ajoute ensuite: «Les bulletins de vote ont été les seules armes de la coalition 14 Mars a l'encontre de l'alliance Iran-Syrie-Hezbollah..." Eh bien, oui: les bulletins de vote et: 1) l'argent de l'Arabie saoudite et de l'occident, 2) une mobilisation et d'agitation sectaire aiguës qui auraient rendu Zarqaoui fier; 3) l'argent de Hariri; 4) l'intervention du président du Liban contre Aoun; 5) l'intervention de de l'Église maronite en faveur de 14 Mars, entre autres facteurs. Oh, oui.

Il a ensuite raconté: «J'ai regardé levote dans une école dans le village de montagne de Brummana. Les gens sont venus en voiture, en fauteuil roulant, à pied - les jeunes, les vieux et les malades.» Ne vous méprenez pas: Thomas Friedman ne peut écrire que des clichés recyclés, mais est-il possible de trouver un cliché plus éculé sur l'élection que celui-ci? Je veux dire, vous pouvez cherche cette phrase sur Google et vous la trouverez dans la description de toutes les élections partout dans le monde, et je doute qu'il ait réellement vu ce qu'il dit avoir vu alors qu'il était pour à tout casser deux minutes.

Il a ensuite déclaré: «Cela m'a frappé: comment le chef du Hezbollah, Hassan Nasrallah, s'est montré conciliant dans sont discours de concession.» Je parie qu'il ne juge pas à partir de l'écoute directe du discours (en arabe), mais simplement en le regardant, parce que le MEMRI ne lui a pas encore fourni un extrait du discours avec des sous-titres.

05 juin 2009

Qui participe au massacre des libanais et des palestiniens?

C'est décidément le sujet qui n'intéresse pas nos médias. Je l'avais déjà abordé ici fin août 2006: La France, Israël et le marché de l'armement. Au-delà des déclarations de principe vaguement affichées par les gouvernements français et européens, c'est dans la pratique qu'on doit juger ces «principes».

Un récent rapport du Centre de documentation et de recherche sur la paix et les conflits, présenté fin mai 2009, a fait l'objet d'un article d'IPS News. Le rapport ne semblant pas disponible sur Internet (mais on peut le commander ici), je vous propose une traduction maison de l'article d'IPS.
Entre 2003 et 2007, la France a émis des licences pour plus de 446 millions d'euros (623 millions de dollars) pour les exportations d'armes vers Israël. Cela fait de la France, de loin, le plus grand fournisseur d'armes à Israël dans l'Union européenne.

Patrice Bouveret, du Centre français de recherche sur la paix (conflits CRDPC) à Lyon, affirme que ces ventes sont en contradiction avec le code de conduite émis par l'Union depuis une dizaine d'années quant aux exportations d'armes. Déclaré officiellement contraignant par les gouvernements de l'UE l'année dernière, ce code interdit les ventes d'armes dans les cas où elles pourraient exacerber des tensions régionales ou lorsqu'il ya une forte probabilité qu'elles soient utilisées en violation des droits de l'homme.

S'exprimant jeudi à l'occasion de la publication de son nouveau rapport sur l'implication israélienne dans le commerce des armes, intitulé «Qui arme Israël et le Hamas?», Bouveret a rejeté les assurances répétées du gouvernement français selon lesquelles les exportations en question sont généralement seulement des composants de produits militaires plutôt que des systèmes d'armement complèts. «Même si elles ne sont que des composants, elles sont utilisées directement par l'armée israélienne», at-il ajouté.

Selon les résultats d'une étude d'Amnesty International publiée en février, des composants électriques portant l'inscroption «Made in France» ont été retrouvés dans les ruines de bâtiments détruits par l'armée israélienne au cours de l'offensive lancée contre la bande de Gaza l'an dernier. Les éléments font partie de missiles Hellfire AGM fabriqués par la société américaine Hellfire [Feu de l'enfer, NDT] Systems, une entreprise conjointe de Lockheed Martin et Boeing.

Bouveret a également fait valoir qu'Israël est désireux de renforcer sa coopération militaire avec l'Europe afin de réduire sa dépendance face aux États-Unis.

Depuis qu'un embargo de sept ans sur les ventes d'armes à Israël a été levé par le gouvernement français en 1974, l'État hébreux s'est tourné vers la France pour acheter des lasers et des équipements spécialisés pour la reconnaissance qu'il n'a pas été en mesure d'obtenir de l'US.

La valeur globale des permis délivrés par les gouvernements de l'UE pour les les ventes d'armes à Israël s'élevaient à 846 millions d'euros entre 2003 et 2007. Après la France, les plus importantes exportations provenaient d'Allemagne, de Grande-Bretagne, de Belgique, de Pologne, de Roumanie et de la République tchèque.

Dix des 27 États membres de l'Union affirment officiellement, cependant, qu'ils ne vendent pas d'armes à Israël. Il s'agit notamment du Portugal, de l'Irlande, de la Finlande et du Danemark.

Caroline Pailhe du GRIP, une organisation belge qui surveille le commerce des armes, a déclaré à l'occasion de la présentation du rapport à Bruxelles jeudi que l'attaque d'Israël contre le Liban à l'été 2006 semble n'avoir eu «aucune influence réelle» sur les exportations militaires vers Israël. La valeur des licences approuvées par les pays de l'UE n'est tombé qu'à 127 millions d'euros en 2006 par rapport aux 145 millions d'euros de l'année précédente. Mais il a ensuite grimpé à 199 millions d'euros en 2007.

Israël est en passe de devenir un acteur important dans l'industrie de la défense globale. Il est à la fois le sixième plus gros importateur et le quatrième plus important exportateur. L'an dernier a constitué une année record pour son industrie. Pendant les six premiers mois, Israël a vendu pour 5,3 milliards de dollars d'armes à l'étranger, à comparer aux 4,7 milliards de dollars pour l'ensemble de 2007, selon à la Chambre de commerce franco-israélienne.

Le développement de cette industrie a été fortement subventionnés par les États-Unis durant la période 1951-2006, les États-Unis ayant fourni à Israël 162 milliards de dollars. En comparaison, l'ensemble de l'Afrique sub-saharienne, la région la plus pauvre du monde, a reçu seulement 88 milliards de dollars.

Environ 75 pour cent de l'aide bilatérale des États-Unis à Israël a été fournie par le biais de deux programmes: le Financement militaire à l'étranger [Foreign Military Financing], qui subventionne les ventes d'armes américaines, et le Fonds de soutien économique [Economic Support Fund], qui alloue des subventions aux alliés stratégiques.

Gerald Loftus, un ancien diplomate américain, dit qu'il s'attend à ce que le Président Barack Obama ne réduise pas l'ampleur de l'aide à Israël.

Mais Leila Shahid, la représentante en chef de l'Autorité palestinienne à Bruxelles, fait une distinction entre le ton de la politique étrangère prônée par Obama et celle menée par son prédécesseur George W. Bush. «La peur a été le leitmotiv de toutes les politiques du président Bush», a-t-elle déclaré lors de la présentation du rapport. «Il a exploité la peur contre l'islam et la crainte d'un choc des civilisations. Obama a rejeté l'idée de la manipulation la peur.»

Pendant ce temps, l'ancienne présidente de la Knesset israélienne Colette Avital a critiqué les restrictions imposées par son gouvernement sur les livraisons de marchandises à Gaza.

Des pharmaciens dans la bande de Gaza affirment qu'ils sont incapables de vendre des traitements contre les poux des enfants, de vendre des appareils orthopédiques pour les genous aux personnes blessées à la jambe, et divers médicaments, car Israël ne permet pas à ces articles d'être transportés dans la bande. Livres et journaux ont également été interdits d'entrer dans la bande de Gaza.

Avital, l'un des principaux membres du Parti travailliste israélien, a déclaré à IPS qu'elle serait en faveur de veiller à ce que le matériel qui pourrait être utilisé comme explosif soit empêché d'entrer dans la bande de Gaza, mais que refuser l'accès à des produits qui sont disponibles ailleurs est «contreproductif».

«Je ne vois pas le but de ne pas autoriser certains biens qui ne sont pas destructeurs», a-t-elle dit lors d'une visite à Bruxelles, ce semaine. «Les livres et les médicaments doivent passer.»
Il me semble qu'on aurait le droit, en tant que citoyens français, d'être informés de ces faits par nos médias. Et, en attendant, d'être outré.

On peut aussi noter ceci:
Israël est le partenaire numéro un de l’Inde dans le domaine de la défense. Un contrat d’1,4 milliard de dollars a été signé entre les deux pays pour l’achat de systèmes anti-missiles chargés de protéger la côte maritime indienne.

Guysen News :

Considéré comme l’un des plus gros accords signés entre les deux pays, c’est également le plus gros partenariat militaire indien conclu avec un pays étranger, devant la Russie, la Suède, la Grande-Bretagne, la France et les Etats-Unis.
« Nous avons une relation très spéciale dans le domaine de la défense avec l’Inde », a déclaré récemment le Général Udi Shani, directeur de l’agence ‘Sibat export’ du Ministère de la Défense.

L’an dernier, un contrat d’armement de 2,5 milliards de dollars avait été conclu entre les deux pays.
Pendant ce temps, les méchants russes:
La Russie a gelé un contrat de livraison de chasseurs intercepteurs MiG-31E à la Syrie sous la pression d'Israël, a rapporté mercredi le quotidien russe Kommersant citant des sources au sein du complexe militaro-industriel.

Le contrat, signé à Damas au début 2007, prévoyait la vente à la Syrie de huit appareils pour un montant de 400-500 millions de dollars. Il devait être réalisé par l'usine aéronautique Sokol basée à Nijni Novgorod (Volga), écrit le journal.

Selon une source proche de Rosoboronexport, société publique russe chargée de la vente d'armes, la décision a été prise sous la pression d'Israël, voisin de la Syrie avec laquelle l'Etat hébreu reste officiellement en guerre.

25 mai 2009

L'affaire Hariri ébranle... les journalistes occidentaux

Après une période d'attention extraodinaire, au lendemain du meurtre de Rafik Hariri, avec quotidiennement de nouvelles analyses sur l'implication syrienne, l'affaire a plus ou moins sombré dans l'oubli.

Depuis quelques semaines, une série d'événements relayés par les dépêches d'agences ont atterri dans les rédactions. Le lecteur occidental n'aura cependant pu suivre ces nouveaux rebondissements que par de courts articles, sans qu'il soit réellement possible de les suivre avec une certaine continuité.

Mais, malgré une succession de rebondissements qui font tourner le machin au bazar le plus complet, depuis quelques jours, c'est un unique article du Spiegel que nos médias ont décidé de relayer.


Marwan Hamadé commente:
Ce tribunal est un tournant majeur pour le Liban et un exemple pour toute la région parce qu’il va démontrer que l’impunité a pris fin.
Mais, quatre jours auparavant, une information ne passionne pas les géo-stratèges de nos médias:
La justice libanaise a décidé de relâcher sous caution les frères Mahmoud et Ahmad Abdel Aal et le Syrien Ibrahim Jarjoura, soupçonnés d’avoir passé sous silence des informations et induit les enquêteurs en erreur après l’attentat qui avait coûté la vie à l’ancien premier ministre.
C'est suffisamment énorme pour que nos médias s'en contrefichent. Pourquoi relâcher, juste avant le lancement du tribunal, ceux qui sont accusés d'avoir orienté l'enquête sur la voie syrienne par des faux témoignages, faux témoignages dont beaucoup affirment qu'ils ont été achetés par la «majorité» libanaise?

Malgré le sujet (libération d'hommes accusés d'avoir porté les faux témoignages impliquant les 4 généraux libanais et les autorités syriennes, peut-être soudoyés par des proches de Saad Hariri), l'article de Libé ne développe que les accusations contre les généraux libanais («les quatre généraux ont été mis en examen pour “meurtre par préméditation”, “tentative de meurtre par préméditation”, et “perpétration d’actes terroristes”), et répètent les accusations contre la Syrie («Les deux premiers rapports de la Commission d’enquête de l’ONU, créée deux mois après l’assassinat du richissime homme d’affaires, avaient conclu à des «preuves convergentes» sur l’implication des renseignements syriens et libanais et cité les noms de proches du président syrien Bachar al-Assad.»). Accusations dont, à ce moment, les seuls «preuves» connues sont les faux témoignages des trois hommes qui viennent d'être spectaculairement relâchés juste avant l'établissement du TSL.

Le 2 mars, plein d'assurance, Laurent Joffrin est certain de ses preuves:
Tous ceux qui ont approché un tant soit peu le dossier Rafic Hariri savent que les services secrets syriens sont impliqués, de très près ou d’un peu plus loin, dans l’assassinat du leader libanais. C’est la conviction, en tout cas, des enquêteurs qui se sont succédé pour élucider le crime. C’est la raison d’être du tribunal international qui vient de se mettre en place aux Pays-Bas. Dans cette affaire, comme dans tant d’autres événements criminels au Liban, tous les chemins mènent à Damas.
Suivant ce que Joffrin définit explicitement comme une parfaite «enquête à charge», Jean-Pierre Perrin, lui, nous pond un dossier d'accusation complet dans le même numéro: «Un attentat à la syrienne».

De manière très spectaculaire, non seulement Laurent Joffrin sait après le meurtre que les Syriens en sont les auteurs sans avoir besoin d'un tribunal international, mais Jean-Pierre Perrin explique carrément que tout le monde savait qu'ils étaient les meurtriers avant même que l'attentat ne soit commis.

Les quatre personnes concernées sont les généraux Jamil Mohamad Amin El Sayed, Ali Salah El Dine El Hajj, Raymond Fouad Azar et Mostafa Fehmi Hamdan, a précisé le tribunal dans un communiqué.
Là encore, c'est énorme, et nos médias ont du mal à synthétiser la situation. Il n'y a plus de «piste syrienne» (en tout cas publiquement connue), puisque les quatre uniques inculpés du meurtre viennent d'être relachés. Quant à ceux qui avaient porté les faux témoignages à leur encontre, ils ont été libérés par la justice libanise fin février (on ne s'interrogera donc pas plus avant sur les commanditaires et le motif de ces faux témoignages).

Les médias occidentaux ont du mal à l'écrire: il n'y a plus aucun accusé, inculpé, ou emprisonné, dans l'affaire Hariri. Peut-on imaginer pire situation? Laurent Joffrin et Jean-Pierre Perrin se portent candidats au suicide par le ridicule (malheureusement, c'est une forme de suicide particulièrement longue et pénible, qui peut durer toute une carrière).

Au Liban, Hamadé et Saad Hariri prétendent faire confiance à la justice internationale, et ce genre de sornettes. Mais Robert Fisk explicite, le 30 avril, la nouvelle propagande de la «majorité antisyrienne» dans The Independent.
Once more the UN donkey, clip-clopping on to the world stage after the murder of Mr Hariri, has been proved a mule. [...] Barack Obama's new friendship with President Bashar al-Assad of Syria must be going great guns. [...] So who killed Rafiq Hariri? Until yesterday, the Lebanese, whose protests after the massacre forced the Syrian army out of Lebanon, thought they knew. And who was it who wanted, as President of the United States, to open a new door to the Syrians? President Obama. And who was it who stood next to Rafiq Hariri's son, Saad, in Beirut, three days ago, to assure him of US support? Why, Mr Obama's Secretary of State, Hillary Clinton, of course.
On se frotte les yeux. Selon la propagande haririenne, désormais: la Tribunal international est instrumentalisé politiquement par les États-Unis, et les États-Unis ont décidé de vendre le Liban à leurs nouveaux amis syriens. Évidemment, si vous aviez prétendu, quelques semaines plus tôt, que l'enquête internationale était instrumentalisée politiquement par les Américains, vous étiez un affreux propagandiste de l'axe irano-syrien.

Depuis, naturellement, toutes les théories «alternatives» ressurgissent.

La plus spectaculaire, ce sont les déclarations de Wayne Madsen sur Russia Today. Il prétend que c'est un «escadron de la mort» aux ordres de Dick Cheney qui a commis le crime. Il s'appuierait sur des révélations à venir de Seymour Hersh. Ce dernier a démenti, il y a quelques jours, avoir fait les déclarations qui lui sont imputées (ce qui semblait pourtant assez évident: Hersh n'est pas né de la dernière pluie, du genre à raconter ses scoops en «off» avant d'avoir terminé d'écrire un livre ou un article). Mais la vidéo et ces «révélations» ont déjà fait le tour des internautes libanais, par exemple sur ce site belge du mouvement aouniste.

Ignorant encore la décision du tribunal de libérer les généraux libanais, Georges Malbrunot se lance sur la piste d'«exécutants islamistes» venus d'Arabie saoudite et d'Irak (29 avril). Des exécutants qui seraient donc des islamistes sunnites, liés aux groupes déjà connus au Liban. Malgré les références à l'Arabie saoudite, à l'Irak et aux salafistes sunnites, Malbrunot se pose tout de même la question suivante:
Quels peuvent être les commanditaires du crime? La Syrie? L'Iran? Les deux, aidés par le Hezbollah?
Le 15 mai, Syria Comment profite de cette «piste islamiste» pour enfoncer le clou et expliquer que «la théorie la plus simple», c'est que ces groupes islamistes avaient leurs propres motifs pour assassiner Hariri et qu'ils peuvent très bien avoir agi de leur propre chef.

Et pendant ce temps-là, au Liban, on n'arrête plus d'arrêter des espions au service du Mossad. Et «la piste du Mossad» dans l'affaire Hariri est, évidemment, incontournable au Liban (et non, comme se l'imagine Libération, pour cause de paranoïa maladive du Hezbollah).

Richard Labévière est de retour et publie La Tuerie d'Ehden ou la malédiction des Arabes chrétiens, dans lequel il accuse le Mossad d'avoir organisé le massacre du clan Frangié perpétré par Samir Geagea en 1978. Rien à voir avec l'affaire Hariri, mais puisque Geagea est toujours là, que le Mossad aussi...

Bref, c'est la curée: la thèse jusque là soutenue par les occidentaux et leurs alliés au Liban s'est (au moins apparemment) effondrée, et les théories plus ou moins opposées, plus ou moins crédibles, poussent comme des champignons. Avec les élections législatives au mois de juin.

Toutes ces théories «alternatives» ont été soigneusement éloignées des pauvres oreilles des citoyens européens (pourquoi pas à raison). On s'est déjà fait balader une fois, on va peut-être faire attention désormais.

Sauf que. Le Spiegel publie un article en allemand annonçant de nouvelles «preuves», une nouvelle «piste»: l'enquête internationale détiendrait la preuve de la culpabilité directe du Hezbollah, et refuserait de rendre ces preuves publiques pour des raisons inconnues. Le Hezbollah dément, l'AFP en fait une dépêche.

L'article est republié le 23 mai en anglais, et les médias français s'emparent de ces «révélations» (le Journal du monde, ce soir sur LCI, offrait comme chaque jour un spectacle proprement sidérant).

La commission d'enquête chargée de faire la lumière sur l'assassinat de l'ancien premier ministre libanais Rafic Hariri s'orienterait désormais vers une piste menant au mouvement chiite Hezbollah, révèle l'hebdomadaire allemand Der Spiegel.
Quand au Figaro, il ne met aucun conditionnel dans son titre: «Assassinat d'Hariri : l'enquête accuse le Hezbollah»

Le principal souci avec cet article du Spiegel, c'est tout de même de présenter comme des preuves nouvelles, un tournant dans l'enquête, le contenu exact d'un article déjà publié par George Malbrunot dans le Figaro... le 19 août 2006, et intitulé «L'ombre du Hezbollah sur l'assassinat de Hariri».

Non seulement la piste est la même (le Hezbollah), mais la façon de résoudre l'affaire et de débusquer les responsables sont exactement identiques. On a un cercle d'utilisateurs de téléphones portables, utilisés pour traquer les déplacements de Rafik Hariri, puis ces téléphones ne sont plus utilisés à partir du jour de l'attentat. Mais l'erreur d'un de ses membres consiste, justement, à passer un unique coup de fil, qui permet aux enquêteurs de remonter tout le réseau.

Ce scénario est strictement identique dans la version de Malbrunot dans le Figaro du 19 août 2006 (qu'il tiendrait notamment d'«un proche de Saad Hariri») et dans la version du Spiegel du 23 mai 2009.

Trois ans d'écart, le même scénario, il suffit d'ajouter les termes «New Evidence», «new and explosive results» et «Intensive investigations in Lebanon are all pointing to a new conclusion»... pour que tous les médias français reprennent, y compris le Figaro, ce que le Figaro avait déjà publié comme des révélations «de source sûre».

Et George Malbrunot, qui continue pourtant d'écrire dans le Figaro, ignorait que sa «piste du Hezbollah» allait être réchauffée par les Allemands quand il évoquait, récemment, la piste des «exécutants islamistes» (sunnites).

Je ne suis pas totalement fâché que les médias d'ici n'évoquent pas toutes les théories «alternatives» quant au meurtre de Rafik Hariri. Un peu de recul et d'enquête avant de publier n'importe quoi ne fait pas de mal. Malheureusement, l'enthousiasme soudain pour les nouvelles «révélations» du Spiegel prouvent que ça n'était pas un souci de recul et d'enquête qui retenait nos journalistes.


Comment empêcher la Syrie et l'Iran de censurer le Web?

Régulièrement, les amis de la démocratie qui dirigent la Syrie trouvent une bonne raison de couper l'accès à Facebook. Aujourd'hui, ce sont les amis de la démocratie qui dirigent l'Iran qui coupent l'accès à Facebook. De manière moins médiatisée, il arrive que les amis de la démocratie qui dirigent les Émirats arabes unis coupent eux aussi l'accès à Facebook.

Ce sujet entre en plein dans les deux préoccupations de notre amoureux des libertés publiques qu'est Nicolas Sarkozy:
- dénoncer avec Carla la censure quand elle est pratiquée par les pays qui ne plaisaient pas à Georges W. Bush,
- instituer le contrôle de l'Internet à grande échelle en France sans qu'on le prenne pour un affreux islamofasciste.

Deux idées apparemment difficilement conciliables, auxquelles la World Company Microsoft vient pourtant de trouver une solution remarquable: censurer l'internet dans les pays de l'Axe du Mal avant même qu'ils ne puissent eux-même le faire!
Microsot a décidé cette semaine d'éteindre son service Windows Live Messener depuis cinq pays: Cuba, Syrie, Iran, Soudan et Corée du Nord. Ces cinq pays ont peu de choses en commun, hormis le fait que Microsoft se préoccupe apparemment que les États-Unis leur impose un embargo. Les usagers de ces pays se voient afficher l'erreur suivante: «810003c1: We were unable to sign you in to the .NET Messenger Service.» L'utilisateur n'est pas informé de la véritable raison de ce bloquage. Actuellement, on ignore l'étendue du bloquage ni sa durée.
Est-ce que ça n'est pas génial? D'une pierre deux coups: on censure à la source un service de l'internet, et en même temps on ridiculise les censeurs qui n'ont plus aucun moyen de le faire eux-même.

Et dire qu'avec Hadopi, on pensait faire la nique aux ricains!

Ceux qui veulent brûler les livres

Je m'auto-cite:

Un mouvement similaire a eu lieu pour le boycott du Salon du livre à Paris. Question qui n'a eu aucun écho médiatique, sauf une «préparation» en amont, contre le boycott. Le 16 février, au sujet du boycott du salon de Turin, Marek Halter titre sa tribune du Monde: «Au secours, on brûle les livres!». L'article est halluciné, ce qui fait que, certes, on brûle les livres, mais TF1 n'en fait pas la Une du lendemain. Le 13 mars, journée de l'inauguration, tout est prêt pour le Monde, qui fait soudain du sujet que tout le monde ignorait le thème de son éditorial, «Le Salon en otage» (l'appel au boycott est qualifié de «fatwa»: «Boycotter les livres, voire récuser une langue, a toujours été l'arme des dictatures.»), et complète avec un article pathétique de Caroline Fourest, «Israël, le boycottage et la raison» (ne pas aller au Salon du Livre «rappelle le temps où l'on brûlait des livres et des juifs après les avoir boycottés»). Le soir même, inaugurant le Salon, Shimon Peres, sans concertation aucune avec ce vaste mouvement d'indignation international contre le boycott, a ce commentaire totalement original: «Ceux qui veulent brûler les livres, boycotter la sagesse, empêcher la réflexion, bloquer la liberté se condamnent eux-mêmes à être aveugles, à perdre la liberté». Ce qui s'appelle une communication parfaitement maîtrisée.
Alors voilà:
La police israélienne a fait fermer le Théâtre national palestinien à Jérusalem-Est, samedi 23 mai, pour empêcher la tenue du Festival palestinien de littérature, rapportent le Guardian et le Palestine Telegraph.

Ce festival, qui devait durer tout le week-end, accueille des auteurs internationaux et palestiniens, dont Henning Mankell, Michael Palin et Ahdaf Soueif. Quelques minutes avant l'ouverture de l'évènement culturel, la police a fait fermer le théâtre, estimant qu'il s'agissait d'une manifestation à caractère politique, liée à l'Autorité palestinienne, rapporte le Guardian. Le festival est financé par l'Unesco et la Grande-Bretagne, notamment.

09 janvier 2009

Destruction de la société palestinienne: le modèle irakien

De nombreux commentateurs critiquent la manière employée à Gaza, sa violence, son terrible coût humain, les destructions massives... Nombreux également s'interrogent sur la possibilité pour Israël d'atteindre son but de guerre annoncé (faire cesser les tirs de roquette depuis Gaza, affaiblir durablement le Hamas...). En réalité, le simple fait de constater que la manière de mener la guerre revient, très exactement, à obtenir l'inverse du but annoncé (le Hamas sera renforcé, la violence durablement ancrée...), devrait mener à comprendre que cela n'est pas du tout la bonne façon d'aborder la question. À moins de prendre les israéliens pour des imbéciles capables de se lancer dans des guerres dont les buts politiques sont aussi évidemment impossibles à atteindre par de tels moyens.

Pour ma part, je pense que le modèle des évenements de Gaza est à trouver en Irak. Une autre guerre généralement analysée de travers, puisque là aussi on part du but de guerre annoncé, la démocratisation, ou d'un autre but suspecté (la prédation des ressources naturelles), pour s'interroger sur les moyens utilisés pour y parvenir.

Or, dans les deux cas, il est certainement plus constructif d'observer la manière de mener la guerre, de voir quels sont les résultats obtenus, de voir si ces résultats découlent logiquement de la manière de procéder, et donc de conclure que le but de la guerre était le résultat obtenu. Ce qui permet d'atteindre plus sûrement aux buts réels (potentiellement inavoués) qu'en partant des buts annoncés (possibles alibis) ou de buts supposés préconçus.

Alain Joxe a publié, en janvier 2007, une des analyses qui me semblent les plus pertinentes sur ce sujet: si l'on considère que le but de guerre réel n'est ni la démocratisation, ni la prédation, mais la destruction de la société irakienne elle-même, alors la guerre d'Irak est un succès terrible.

La «stratégie globale» des États-Unis et sa réalité, par Alain Joxe

L'analyse stratégique ne peut pas prendre au pied de la lettre les déclarations d'intention, même si elles font partie du dossier. On aurait donc tort d'accorder le moindre crédit à l'idée que le but politique de la guerre (le «Zweck», dans le vocabulaire de Clausewitz) n'ait jamais été réellement la démocratisation, car les Etats-Unis n'ont jamais mis en oeuvre aucun des moyens adéquats. En écrasant pratiquement sans combat sous les bombes et les bulldozers les forces armées irakiennes, en détruisant complètement toutes les institutions, en licenciant tous les fonctionnaires, les Etats-Unis ont plongé la société irakienne dans un chaos. Lorsqu'une armée d'occupation n'a pas les moyens d'une présence ubiquitaire répressive, combinée avec une reconstruction, et quand un pays, par ailleurs, regorge d'arsenaux, distribués pour la «défense populaire généralisée» puis récupérés au marché noir des milices confessionnelles, l'occupant est clairement en train de construire le chaos. La construction du chaos n'exige pas un suivi tatillon et policier; au contraire, elle repose sur la libération incontrôlée de toutes les violences, déchaînées par la peur, la précarité et l'insécurité qui règne dans l'état de guerre. Les troupes américaines se sont repliées rapidement dans des positions fortifiées et n'ont plus pratiqué que des expéditions punitives, sans jamais tenir ensuite le terrain. Bain de jouvence nécessaire du «néolibéralisme», le chaos d'Irak peut donc être considéré comme un succès sanglant. S'il requiert aujourd'hui des moyens accrus, c'est pour un nouveau but politique, peut-être hors de portée des Etats-Unis.

Des critiques militaires furent énoncées publiquement par l'armée de terre, au début, par des généraux retraités, réclamant plus d'effectifs, puis par des officiers d'active, réclamant un objectif politique réel. On peut donc dire que le militarisme de Rumsfeld n'est pas un militarisme militaire mais un choix politique. Les militaires voulaient plus de troupes pour réussir la démocratisation: ce sont là des naïvetés militaires. La guerre contre le terrorisme, entamée par Rumsfeld, était et reste pour le président Bush une «guerre de trente ans». Elle conduisait à détruire complètement tout ce qui pouvait encore faire surgir de l'Irak la société arabe, technologiquement la plus avancée du Moyen-Orient ­ un pouvoir d'Etat rationnel et éventuellement démocratique. La destruction permanente de l'Etat est un but politique atteint.
À tort, tous les commentaires actuels sur la guerre d'Irak la font débuter avec l'invasion de 2003.

La crainte de se faire taxer de «théoricien du complot» interdit d'ailleurs aux commentateurs de lier les événements qui ont pourtant frappé le même pays sans discontinuer pendant plus de quinze années (la première guerre du Golfe, l'embargo, l'invasion, le déferlement des mercenaires et des milices...) pour y lire une stratégie globale cohérente. Pourtant, les promoteurs de ces guerres, eux, n'hésitent pas à évoquer une stratégie à long terme:
Lorsqu’un officiel du Pentagone, décrit comme proche des super-hawks du groupe Wolfowitz-Perle, explique à l’Observer que «[n]ous voyons cette guerre comme une guerre contre le virus du terrorisme. Si vous avez un cancer des os, il n’est pas suffisant de couper le pied du patient. Vous devez faire le traitement entier de chimiothérapie. Et si cela signifie qu’il faut s’embarquer dans une nouvelle Guerre de Cent Ans, eh bien c’est ce que nous ferons.»
Pour les irakiens, il est évident qu'il faut, au moins, remonter à la guerre de 1991 (certains remonteront à la guerre contre l'Iran, qui a contribué à épuiser la société irakienne). Une formidable armada bombarde massivement le pays et détruit l'intégralité des infrastructures militaires, mais aussi civiles.

Puis, pendant douze ans, un embargo terrible frappe directement la population civile d'un pays qui n'a déjà plus d'infrastructures. Le coût humanitaire est monstrueux. Sophie Boukhari dresse un rapide bilan dans le Courrier de l'UNESCO en juillet 2000; elle cite le congressiste américain Tony Hall:
Même si les sanctions étaient levées rapidement, les gens que j’ai rencontrés en Irak auraient un sombre avenir, écrit-il. Parce que leurs enfants sont dans un triste état; un sur quatre est mal nourri et un sur 10 dépérit, affamé ou malade. La principale cause de mortalité infantile, la diarrhée, est 11 fois plus répandue en Irak que partout ailleurs et la polio, qui avait été éradiquée du Moyen-Orient, est redevenue une plaie. Les écoles et le système d’assainissement sont ruinés; les hôpitaux manquent d’équipements et de médicaments de base. Les gens ordinaires ont épuisé leurs réserves et leur santé à essayer de survivre avec deux à six dollars par mois... Il faudra attendre une génération avant que la population irakienne se relève.
C'est bien la société irakienne qui est la cible. Un rapport d'information de l'Assemblée nationale indique:
La situation humanitaire en Iraq a conduit plusieurs personnalités à protester contre le statu quo. Plusieurs hauts fonctionnaires des Nations unies ont successivement démissionné afin d'attirer l'attention sur «la destruction d'une société tout entière», selon les termes de Denis Halliday, ancien Sous-secrétaire général et coordonnateur des opérations humanitaires en Iraq, démissionnaire en 1998, et dont la démission a été suivie par celle de son successeur M. Von Sponeck en février 2000. L'on citera encore la démission, l'année dernière, de Mme Jutta Burghardt, responsable du Programme alimentaire mondial en Iraq.
L'invasion de 2003 n'est alors qu'une étape supplémentaire vers la destruction de la société irakienne, et non le point de départ d'une nouvelle «guerre».

Un point largement occulté dans la stratégie américaine est le déferlement de milices et de mercenaires sur le pays. Totalement caché, ou largement sous-évalué (on évoque 40000 mercenaires en 2006), le chiffre apparaît discrètement dans un article du Monde du 11 décembre 2008:
Au terme du traité de sécurité conclu en novembre entre l'Irak et les Etats-Unis, les 163000 «agents privés» actuellement employés par les Américains (ils étaient 230000 en 2006) seront soumis aux lois irakiennes dès le 1er janvier 2009.
Le scandale devrait être énorme, mais ce chiffre est quasiment inconnu du grand public: les américains ont établi en Irak beaucoup plus d'«agents privés» que de troupes régulières: en 2006, il y avait (selon le chiffre connu du Monde) 230000 mercenaires et miciliens en Irak payés par les États-Unis, pour environ 150000 soldats de l'armée américaine. Notoirement, les mercenaires et les miliciens n'amènent jamais la stabilité ou la démocratisation; ils ne peuvent qu'être les outils de la terreur des populations et de la destruction de la société.

Le chaos est ainsi obtenu via une attaque qui ne se limite pas à des campagnes de «shock and awe», dont l'inefficacité pour briser la résistance populaire est connue. Concernant les bombardements stratégiques, leur principal promoteur en 1942, Arthur Harris, les justifiait cyniquement:
Ce but est la destruction des villes allemandes, la mort des ouvriers allemands et l’interruption de la vie communautaire civilisée dans toute l'Allemagne. Il faut souligner que les buts acceptés et fixés de notre politique de bombardement sont les suivant : la destruction des maisons, des services publics, des transports et des vies humaines; la création d'un problème de réfugiés à une échelle inconnue; et la destruction du moral à la fois dans le pays et sur les fronts par peur de bombardements étendus et intensifiés. Ce ne sont pas des sous-produits de tentatives pour frapper des usines.
Les «dommages collatéraux» des bombardements massifs n'ont ainsi jamais été conçus pour être «collatéraux»: ils sont au contraire le but premier des bombardements massifs. Cependant, l'histoire a prouvé que ces bombardements ne sont jamais parvenus à briser la volonté du peuple qui les subit. En revanche, la liste de dommages établie par Harris (destruction des maisons, services publics, réfugiés...) est bien réelle, et elle est aujourd'hui utilisée pour produire un autre effet: instaurer un chaos durable dans la société visée.

Il s'agit d'un type nouveau de stratégie: une attaque systémique de la société elle-même. Outre les infrastructures militaires, c'est avant tout la société qui est brisée, via la destruction de toutes ses composantes: l'économie (jusqu'à la substistance qui est menacée), la santé, la culture, le savoir, l'enseignement, les infrastructures de subsistance civile, l'agriculture, la société civile...

L'arsenal militaire est, selon ce nouveau besoin, complété par une pléthore de spécialistes des sciences sociales. Le scandale des «anthropologues embarqués» éclate fin 2007; le Monde diplomatique titre «L'anthopologie, arme des militaires» en mars 2008.

Alain Joxe l'avait annoncé début 2007: «le chaos d'Irak peut donc être considéré comme un succès sanglant. [...] La destruction permanente de l'Etat est un but politique atteint.»

Revenons en Palestine.

C'est à mon avis cette stratégie irakienne que l'on voit désormais mise en œuvre à Gaza. Le but de guerre doit être ainsi formulé: la destruction de la société palestinienne elle-même. C'est ce que dit par exemple le professeur Salah Abdel-Jawad dans une interview du Monde du 5 janvier 2009:
Il ne s'agit pas simplement de détruire tel ou tel mouvement politique. Sinon pourquoi bombarder les ministères, l'Université islamique et l'Ecole américaine de Gaza? Tout comme le saccage des bâtiments publics opéré en 2002, lors de l'invasion de la Cisjordanie, ces actions participent d'un plan concerté. Il vise à détruire non seulement l'entité politique palestinienne mais aussi et surtout la société. L'objectif est de créer une forme de résignation, d'amertume, d'imposer une violence quotidienne, que les Palestiniens finissent un jour par retourner contre eux.
Témoignage recueilli par Amira Hass (Haaretz, 30 décembre 2008):
«Cette agression n’est pas contre le Hamas. Elle est contre nous tous, contre l’ensemble de la nation.»
Le but? Il est connu depuis longtemps: «une terre sans peuple». Dennis Collin le rappelle dans La Sociale (3 janvier 2009):
Cette situation elle-même n’est pas tombée du ciel. Elle découle directement de la colonisation sioniste en Palestine et de la proclamation de l’État d’Israël en 1948. Les Occidentaux ont pu se dédouaner à bas prix des crimes commis contre les Juifs en payant leur dette sur le dos des Arabes. Le mensonge inventé par la propagande sioniste (la Palestine: « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ») s’est vite heurté à la réalité et la création de l’État juif s’est faite par le massacre des populations civiles (par exemple le massacre de Deir Yassin perpétré par l’Irgoun de l’ancien premier ministre Menahem Begin) et la déportation en masse – ce qu’on n’appelait pas encore « épuration ethnique » nécessaire pour confisquer les terres et les biens des Palestiniens. Bref, une guerre de conquête coloniale typique, dont la nouvelle génération d’historiens israéliens commence à révéler la réalité.
Dans ce texte, il précise:
Ceux qui croient être utiles au peuple palestinien en comparant la politique d’Israël à l’extermination des Juifs par les nazis se trompent tout aussi lourdement. Israël n’a nul envie de détruire les Palestiniens en tant que tels.
C'est un point important. Il ne me semble pas pertinent de parler de génocide, puisque la destruction physique systématique des individus n'est pas possible. En revanche, puisqu'il n'est pas possible ni souhaitable d'éliminer physiquement l'intégralité des individus, la cible est la société palestinienne, qui doit être, elle, totalement détruite. Après avoir nié l'existence du peuple palestinien, les propagandistes israéliens ont nié l'existence d'une «société palestinienne» (on retrouve encore cet argument dans quasiment tous leurs écrits); il suffit donc de réaliser sur le terrain cette négation.

Ça n'est pas irréalisable, comme la destruction de la société irakienne l'a prouvé.

Sans remonter à 1948... on peut tracer une succession d'événements dont la similarité avec les événements irakiens est troublante.

Élections de 2006, le Hamas remporte les élections législatives. Les pays occidentaux s'allient à Israël pour imposer des sanctions lourdes pour punir les mauvais électeurs palestiniens. Les sanctions, déjà, frappent un territoire particulièrement fragile; le Hamas parvient à maintenir un minimum de services publics de santé et d'éducation.

En 2006, bombardements israéliens contre Gaza (opération «Pluies d'été»): l'unique centrale électrique du territoire est détruite. L'IRIN publie en janvier 2009 un intéressant document à ce sujet: «D'où vient l'électricité de Gaza - analyse».

Tout au long de 2006 et 2007, les États-Unis, avec l'accord d'Israël, arment et entraînent la milice de Mohammed Dahlan pour le Fatah. C'est la politique de constitution de mercenaires et de milices, qui changent profondément la nature des forces palestiniennes et leur rapport non seulement à l'occupation, mais aussi à la population. À la mi-2007, le Hamas éjecte le Fatah.

Pendant tout ce temps, Israël et l'Égypte imposent un blocus quasiment total de Gaza. L'inefficacité politique et militaire est évidente, mais l'impact sur la société palestinienne est énorme. Gaza est un enfer environnemental et, en décembre 2008, le Bureau des Nations unies pour la coordination des affaires humanitaires (UNOCHA) décrit le stade avancé de destruction de la société palestinienne: chômage de masse, accès à l'eau potable, aux soins, à l'éducation, à la nourriture, à l'électricité...
Selon un rapport de l'organisme onusien, cette situation est due au blocus imposé par Israël. L'UNOCHA affirme que le taux de chômage dans ce territoire palestinien est passé de 32 % à 49 % en une année.

Les 1,4 million d'habitants de la bande de Gaza ont le plus grand mal à assurer leur subsistance en raison des pénuries en nourriture. Ils sont également privés d'électricité jusqu'à 16 heures par jour.

L'eau potable, dont la qualité est à 80 % inférieure aux normes sanitaires, n'arrive qu'une fois par semaine à la moitié de la population locale, pendant quelques heures seulement.

[...]

Selon le rapport de l'ONU, 40 000 emplois permanents et temporaires ont été perdus dans les secteurs de la pêche et de l'agriculture.

Seulement 23 entreprises industrielles sur les 3900 existantes sont fonctionnelles de façon permanente.

Toujours selon l'organisation onusienne, 70 % des terres agricoles dans la bande de Gaza ne sont plus irriguées. Ce qui conduirait à une désertification.

En raison de l'absence de pièces de rechange et du manque d'électricité, les équipements médicaux sont devenus obsolètes.
En mars 2008, Matan Vinaï, vice-ministre israélien de la défense, promet une «shoah» aux Palestiniens:
Plus les tirs de roquettes Qassam s'intensifieront, plus les roquettes augmenteront de portée, plus la shoah à laquelle il s'exposeront sera importante, parce que nous emploierons toute notre puissance pour nous défendre.
Les bombardements et l'invasion actuels ne doivent plus alors être considérés, comme dans le cas de l'Irak, que comme une des étapes vers la destruction totale de la société palestinienne, et non comme un événément guerrier répondant à des objectifs propres. La succession des événements à Gaza est, en raccourci, très similaire aux événements qui ont frappé l'Irak: bombardements initiaux et destruction des infrastructures, blocus total, installation de mercenaires et de milices, et à nouveau une phase de bombardements achevant de détruire ce qui subsistait (et éventuellement relancer un nouveau cycle de délabrements sociétaux et d'affrontements miliciens).

Et à nouveau: «le chaos [...] peut donc être considéré comme un succès sanglant. [...] La destruction permanente de l'Etat est un but politique atteint.» Et les israéliens pourront clamer: «il n'existe pas de société palestinienne».

C'est un crime de sociéticide.