L'État juif et l'intégrité du Liban
En complément à l'article «Coup d'État au Liban», voici un second document (lire aussi «Un vieux rêve israélien», article du Monde diplomatique de septembre 1982): il s'agit d'un article signé Yaacov Sharett (écrivain et journaliste israélien, fils de l'ancien premier ministre.), publié en décembre 1983 par Le Monde diplomatique. Il est constitué d'extraits du journal de son père, l'ancien premier ministre Moshe Sharett, complétés de commentaires de Yaacov Sharett (marqués ici en rouge). Il est titré «L'État juif et l'intégrité du Liban».
La polémique interne va grandissant en Israël entre, d'une part, les partisans de la guerre du Liban et du maintien de l'occupation de la région sud du pays et, d'autre part, ceux qui récusent cette politique, qui voient une différence de principe entre une guerre comme celle de 1948-1949, où il n'y avait «pas d'autre choix», puisque le pays était attaqué par des pays arabes qui cherchaient à empêcher son existence, et la guerre de 1982-1983, qu'Israël a consciemment entreprise dans le but d'«effacer» le problème palestinien. De jeunes Israéliens découvrent brusquement la problématique compliquée et inquiétante de la politique extérieure de leur pays voulant que la loi du plus fort soit le plus simple moyen de résoudre un difficile conflit entre deux peuples : en réalité, hormis leur ignorance, il n'y a là rien de nouveau. De nombreux jeunes, remettant en question l'«éthique» d'Israël, refusent d'effectuer leur service militaire au Liban, dans un pays déchiré par les conflits internes, où, de surcroît, ils découvrent à leur tour ce que Moshe Sharett, qui fut le deuxième chef du gouvernement et le premier ministre des affaires étrangères d'Israël, avait dès la première conquête de la bande de Gaza en 1956 appelé le «gouffre de l'occupation». Pour certains, l'origine de l'attitude israélienne envers le Liban remonte au lendemain de la première guerre mondiale, lorsque Français et Britanniques établirent artificiellement les frontières des États reçus en «mandat» de la Société des nations. À l'époque, les dirigeants du mouvement sioniste rêvaient déjà aux frontières d'un hypothétique «foyer national»; et, dans le projet qu'ils présentèrent à la conférence de la paix de Paris, en 1919, la frontière nord de ce «foyer» était marquée par le fleuve Litani. En fait, cette frontière ne devait pas voir le jour, et les dirigeants sionistes ne lui accorderaient par la suite aucune attention particulière; pas plus, en tout cas, qu'à ces vieilles cartes du mouvement révisionniste de Jabotinsky représentant un État d'Israël s'étendant loin au-delà du Jourdain. Cependant, moins de six ans après la fondation de l'État d'Israël en 1948, et comme pour confirmer les griefs arabes dénonçant un «expansionnisme congénital» du jeune État, apparut parmi les dirigeants israéliens une volonté farouche d'envahir le Liban pour y faire régner un «ordre nouveau» et s'approprier les territoires situés au sud du Litani. Trois hommes symbolisèrent alors cette volonté : David Ben Gourion, qui venait de démissionner de la présidence du conseil; Pinhas Lavon, une ancienne «colombe» qui se transforma en «faucon» dès l'instant où il fut désigné ministre de la défense, et le jeune chef d'état-major Moshe Dayan. Ils représentaient en cela toute une tendance politique envahie par un nouveau sentiment de puissance qu'illustraient les «actions punitives» menées par un tout jeune officier nommé Ariel Sharon. Les faits sont établis dans un document unique en son genre dont l'authenticité est prouvée: le Journal personnel de mon père, Moshe Sharett. Devenu chef du gouvernement, celui-ci réussit à deux reprises, en 1954 et 1955, à empêcher le gouvernement de prendre la décision d'envahir le Liban. Le Journal de Moshe Sharett a été publié en hébreu en 1978 (éditions Maariv, Tel-Aviv), et n'a jusqu'à présent été traduit dans aucune langue. Nous en donnons ci-dessous les principaux extraits concernant la politique israélienne à l'égard du voisin libanais.
Jeudi 25 février 1954
(...) On vient de m'annoncer par téléphone que le général Neguib (président de l'Egypte depuis le coup d'Etat des officiers en juillet 1952) a été renversé, et que Gamal Nasser s'est désigné chef du gouvernement (...). Malgré les bruits qui couraient depuis des semaines, c'est une énorme surprise.
Après une brève visite au ministère des affaires étrangères et une courte discussion sur les dernières nouvelles en provenance d'Egypte, je pars à Rehovot pour un déjeuner chez Mme Weizmann (veuve du premier président de l'Etat d'Israël). Parmi les invités, il y a Pinhas Lavon (ministre de la défense) et sa femme Lucie. Au milieu du repas, je suis informé par téléphone qu'une révolte a éclaté contre le président syrien, le colonel Adib Chichakli. La révolte semblerait être organisée par Bagdad.
Après le repas, Pinhas Lavon m'a pris à part. Selon lui, c'est le moment ou jamais de prendre possession des positions sur la frontière syrienne situées de l'autre côté de la zone démi-litarisée (instaurée à l'issue des accords de cessez-le-feu israélo-syriens de 1949). La Syrie se désagrège (...). C'est une occasion historique qu'il ne faut pas manquer !
Je me suis rendu compte que nous étions au seuil d'une aventure catastrophique. Je me suis demandé si Lavon proposait d'entrer immédiatement en action, et j'ai été stupéfait de voir que telle était son intention (...). Je lui ai dit que, pour l'instant, l'entrée des troupes irakiennes en Syrie n'était pas un fait établi mais seulement une menace, qu'on ne savait même pas encore si Chichakli avait été réellement renversé. Nous devons donc attendre et voir avant de prendre une décision. Lavon a répété que le temps nous était compté et que l'on ne savait pas si une telle occasion reviendrait jamais. A mon tour, j'ai rappelé que, dans les conditions actuelles, il n'était pas envisageable que je donne mon accord à une action de ce type. Finalement, j'ai proposé que l'on en discute avec Ben Gourion, chez lui, à Sdé-Boker samedi matin.
Vendredi 26 février 1954
Chichakli est tombé. La "une" des journaux annonce sa reddition et sa fuite de Damas (...). Ben Gourion vient à Tel-Aviv.
Samedi 27 février 1954
Chez Ben Gourion, à deux pas de mon appartement de la rue Hayarkon (...). On s'y retrouve avec Lavon et Dayan (...). Ceux-ci ont décrit les événements de Syrie comme une action purement irakienne. Mais Lavon a un peu rabaissé ses prétentions. Il ne parle plus d'entrer en Syrie mais seulement de prendre position dans la zone démilitarisée. Ben Gourion était tout à fait d'accord et galvanisé. Lorsque j'ai fait remarquer (...) qu'il y avait peu de chances pour que les Syriens restent sans réaction (...), Ben Gourion a dit alors que, bien entendu, si nous étions attaqués, nous tirerions (...). Mais alors, c'est la guerre que vous proposez ? A cette question, je n'ai eu pour toute réponse que des haussements d'épaules. J'ai annoncé que je m'élevais contre tout projet qui risquait de se terminer lamentablement. De plus, ce serait une véritable provocation contre le Conseil de sécurité (...).
Ben Gourion a commencé à parler d'autre chose. A son avis, le moment est venu de réveiller le Liban, c'est-à-dire les maronites, et de proclamer un Etat chrétien. Je lui dis que c'est là un vain rêve. Un Liban chrétien signifierait l'abandon de la région de Tyr, de Tripoli, de la Bekaa. Aucune force ne pourra ramener le Liban à ses dimensions d'avant la première guerre mondiale, d'autant qu'un tel Etat perdrait toute viabilité du point de vue économique. Ben Gourion réagit avec fureur (...). Si le fait est accompli, dit-il, les puissances chrétiennes n'oseront pas le remettre en question (...). Il faut donc envoyer là-bas des gens à nous et de l'argent. Mais il n'y a pas d'argent, ai-je fait remarquer. Il m'a répondu que c'était une imbécillité, que l'argent, ça se trouve, sinon aux finances alors à l'Agence juive, que, pour un tel objectif, on pouvait risquer 100000 dollars, un demi-million, un million même, pourvu seulement qu'il soit atteint. Un tel fait accompli provoquerait un bouleversement fondamental dans la configuration du Proche-Orient, ce serait le début d'une nouvelle période. J'étais las de lutter avec cette tornade (...). Je me suis dit : en fin de compte, c'est moi le chef du gouvernement, ce n'est plus lui, et cette fois je maintiendrai ma position en usant de mon autorité.
Lundi 28 février 1954
(...) En Syrie, la situation se stabilise (...). Avant le conseil des ministres, Lavon entre dans mon bureau, le visage tendu. "Tu m'accuses certainement d'avoir loupé le coche", lui ai-je demandé, et il m'a répondu : "Oui". Je lui ai alors expliqué qu'au contraire nous nous étions tenus à l'écart de gros ennuis (...).
Le conseil des ministres a été entièrement consacré aux événements de Syrie et d'Egypte (...). Lavon a défendu l'opinion que nous venions de manquer une occasion unique de nous renforcer. J'ai rétorqué que nous avions évité des complications. Lavon a expliqué que, justement, parce que les perspectives étaient sombres, que les États-Unis étaient sur le point de nous trahir et de conclure une alliance avec le monde arabe, alliance qui de toute façon serait dirigée contre nous, il nous fallait prendre les devants, manifester notre force pour montrer aux Etats-Unis qu'ils ne pouvaient pas se le permettre. J'ai répondu que ces calculs étaient trop compliqués pour les gens de Washington (...) et que, si nous avions envahi la zone démilitarisée, ils auraient plus simplement considéré notre action comme une tentative d'utiliser en notre faveur une situation anarchique au Proche-Orient à des fins de conquête et d'expansion. Les suspicions et les accusations qui ont cours dans de larges cercles politiques à notre encontre auraient reçu là une éclatante confirmation (...).
Les deux lettres suivantes, celle du citoyen Ben Gourion au chef du gouvernement Moshe Sharett et la réponse de ce dernier, figurent dans le Journal de Moshe Sharett. Deux conceptions s'y opposent nettement : d'un côté, celle du «visionnaire» qui cherche à changer le cours de l'histoire; de l'autre, celle du «réaliste» qui craint les conséquences du «viol» de l'histoire. Au-delà de la contribution qu'apportent ces documents pour aider à comprendre le «complexe libanais» d'Israël, ils nous renseignent sur les options politiques des deux hommes qui ont fondé l'Etat d'Israël, avant de s'éloigner l'un de l'autre après sa création. En fin de compte, le plus fort, David Ben Gourion, a vaincu son vieux compagnon et adversaire jusqu'à l'évincer du gouvernement. La conséquence de cette victoire de Ben Gourion fut, peu après son retour au pouvoir, la campagne de Suez, en octobre 1956, qui serait suivie des guerres de 1967 et de 1973.
Sdé-Boker, le 27 février 1954
Moshe,
En quittant le gouvernement, j'avais décidé de ne pas interférer dans les affaires politiques courantes. Et si vous ne m'aviez pas appelé, toi, Lavon et Moshe Dayan, je ne vous aurais pas donné mon opinion. Mais, à partir du moment où vous avez fait appel à moi, j'ai considéré qu'il était de mon devoir de faire ce que vous me demandiez, en particulier vis-à-vis de toi qui es chef du gouvernement. C'est pourquoi je me permets de revenir sur une affaire où tu ne partages pas mon opinion. Il s'agit de l'affaire du Liban.
Sans aucun rapport avec les événements courants (entre-temps Neguib a été de nouveau désigné président de l'Etat, c'est là une disposition très habile de Nasser et de sa bande), il est clair que le Liban est le maillon le plus faible dans la chaîne de la Ligue arabe. Hormis les coptes, toutes les autres minorités du monde arabe sont musulmanes. Mais l'Egypte est le pays le plus compact et le plus solidement établi de tous les Etats arabes, la très large majorité y constitue un bloc très solide, véritablement de même race, de même religion et de même langue. La minorité chrétienne ne peut réellement y remettre en cause l'entité politique et la nation. Cela n'est pas le cas des chrétiens au Liban. Ils représentent la majorité dans le Liban historique, et cette majorité a une tradition et une culture radicalement différentes de celles des autres populations de la Ligue. Même dans ses frontières élargies (et c'est bien la plus grave des fautes qu'ait commises la France que d'avoir élargi les frontières du Liban), les musulmans ne sont pas libres de leurs mouvements par peur des chrétiens, bien qu'étant peut-être majoritaires (et je ne sais pas s'ils le sont). La constitution d'un Etat chrétien est dans ces conditions quelque chose de naturel. Il aurait des racines historiques, et serait soutenu par des forces importantes dans le monde chrétien, aussi bien catholiques que protestantes. En temps normal, c'est quelque chose de presque impossible à réaliser, avant tout à cause de l'absence d'initiative et de courage des chrétiens. Mais, dans des situations de confusion, de troubles, de révolution ou de guerre civile, les choses changent, et le faible peut se prendre pour un héros. Il est possible (en politique il n'y a jamais de certitude) que maintenant le moment soit favorable pour provoquer la création d'un Etat chrétien à nos côtés. Sans notre initiative et notre aide, la chose n'aura pas lieu. Je pense qu'actuellement c'est notre tâche essentielle (c'est Ben Gourion qui souligne) ou tout du moins l' une (idem) des tâches essentielles de notre politique extérieure, et il faut investir des moyens, du temps, de l'énergie, et agir par tous les moyens de nature à entraîner un changement fondamental au Liban.
Il faut mobiliser Eliahou Sasson et tous nos arabisants. S'il y a besoin d'argent, il ne faut pas compter les dollars, même s'il se révèle que l'argent aura été dépense à fonds perdus. Il faut se concentrer de toutes nos forces sur cet objectif. Pour cela, peut-être faut-il faire immédiatement venir Reouven Shiloah. Manquer cette occasion historique ne serait pas pardonnable. Il n'y a de notre part aucune provocation à l'égard des Grands de ce monde. De toute manière, nous ne devons jamais agir "au nom" de quiconque. Mais il faut, selon moi, agir rapidement, à toute vapeur.
Sans un rétrécissement des frontières du Liban, cela n'est bien entendu pas réalisable. Mais, si l'on trouve des gens et des éléments au Liban qui se mobilisent pour la création d'un Etat maronite, ils n'ont pas besoin de larges frontières ni d'une population musulmane importante, et ce n'est pas cela qui sera gênant.
Je ne sais pas si nous avons des gens au Liban, mais il y a toutes sortes de moyens pour réaliser la tentative que je propose.
Bien à toi,
David Ben Gourion.
Le 18 mars 1954
À l'attention de Monsieur David Ben Gourion, Sdé-Boker.
Mille excuses pour le retard que j'ai mis à répondre à ta lettre concernant le Liban. Ma réponse négative à l'idée que tu émettais, je te l'avais déjà donnée sur place lors de notre rencontre à Tel-Aviv. Mais, après notre conversation, je me suis dit qu'il fallait vérifier cette affaire, et j'ai demandé à notre service de recherche de rédiger un rapport général sur les tentatives faites dans le passé afin de donner au Liban le caractère d'une communauté chrétienne, et sur les chances de pouvoir aujourd'hui susciter un mouvement politique pour atteindre cet objectif. Malheureusement, les gens de la recherche ont pris du retard (...). Je vais donc m'expliquer en usant de mes propres connaissances (...).
Je dois tout d'abord fixer un axiome fondamental que j'ai toujours respecté, à savoir que, si un facteur extérieur peut parfois fournir de bonnes raisons d'intervenir dans les affaires internes d'un pays pour y soutenir un mouvement politique qui vise un objectif précis, cela ne peut avoir lieu que si ce même mouvement manifeste une activité indépendante. Il n'y a par contre aucun sens ni aucun intérêt à essayer d'éveiller de l'extérieur un mouvement qui n'existe pas à l'intérieur. On ne peut aider à vivre que quelque chose qui existe déjà, mais on ne peut pas ressusciter les morts. Or, dans l'état actuel de mes connaissances, il n'existe aucun mouvement au Liban visant à le transformer en Etat chrétien, où le pouvoir serait concentré dans les mains de la communauté maronite. (...).
Je m'oppose à ceux qui veulent une «initiative forcée» parce que, justement, je n'écarte pas la possibilité que ce qu'ils proposent soit réalisable à la suite de bouleversements qui ébranleraient tout le Proche-Orient et provoqueraient de nouveaux regroupements en son sein (...). Mais, dans le Liban d'aujourd'hui, dans le cadre de son territoire, avec la composition de sa population et ses relations internationales, aucune initiative sérieuse ne peut émerger en ce sens (...).
[D'autre part, si nous intervenions pour susciter la création d'un Etat chrétien au Liban], quelles garanties avons-nous que la Ligue arabe abandonne le statut qu'elle possède aujourd'hui, grâce à la participation du Liban, sur la côte orientale de la Méditerranée, alors qu'elle a perdu les territoires qui, au Nord, ont été annexés à la Turquie et, au Sud, sont revenus à l'Etat d'Israël ? Quelles garanties avons-nous que la guerre civile qu'une telle intervention de notre part ne manquerait pas de déclencher nécessairement resterait circonscrite au seul Liban et n'entraînerait pas la Syrie dans l'affaire ? Et pourquoi les puissances occidentales resteraient-elles de côté en simples observatrices, sans intervenir, jusqu'à ce que notre entreprise réussisse, et diraient-elles ensuite «amen» à la «constitution» d'un Liban chrétien ? (...). Enfin, je ne peux imaginer qu'un organe politique quelque peu sérieux puisse soutenir un projet qui menace littéralement le Liban de suicide économique (...).
Je dois en dernier ressort ajouter que, si ce projet ne restait pas secret et était dévoilé - ce qui, au Proche-Orient, reste toujours possible, - je n'ose imaginer les dommages que cela nous causerait, tant à l'égard des Etats arabes que des puissances occidentales ; dommages que même la réussite de notre entreprise ne pourrait compenser.
M. S.
Là s'arrêtent les passages concernant le Liban dans le Journal de Moshe Sharett. Un peu plus d'un an plus tard, alors que Ben Gourion était revenu au pouvoir et cumulait les titres de chef du gouvernement et de ministre de la défense, Moshe Sharett ayant été remplacé comme ministre des affaires étrangères par Golda Meïr, la question d'un «ordre nouveau» pour le Liban revint sur le tapis. On en trouve confirmation dans les Mémoires de Moshe Dayan, lorsqu'il évoque les négociations menées à Sèvres entre Britanniques, Israéliens et Français pour mettre au point l'opération de Suez.
[Y.S.]
Le thème central fut abordé par Ben Gourion qui avertit d'emblée les Français qu'il allait leur soumettre une proposition qui pouvait paraître à première vue fantastique, ou au moins naïve. Il s'agissait d'un règlement complet des problèmes du Moyen-Orient. Selon lui, la Jordanie n'était pas viable en tant qu'État indépendant et devrait être partagée, la région à l'est du Jourdain allant à l'Iraq en échange de l'engagement d'accueillir et d'installer les réfugiés arabes sur son sol ; l'ouest de la Jordanie ferait partie d'Israël comme région autonome. Le Liban devrait également abandonner certains de ses secteurs musulmans pour garantir sa stabilité, désormais fondée sur les régions chrétiennes du pays... (1).
L'étape de la réalisation de ces ambitions se situe en juin 1982 (et non en 1978 lors de la «campagne du Litani», limitée dès le départ – tant du point de vue territorial que dans ses objectifs). L'Etat d'Israël est alors dominé par une troïka «visionnaire» par excellence – Begin-Sharon-Eytan – convaincue de la nécessité politique de la «poigne de fer» et qu'aucun obstacle ne peut retenir. M. Begin n'a-t-il pas déclaré au début de cette guerre que celle-ci apporterait «quarante années de paix» au pays? Mais, alors que Ben Gourion s'était heurté en 1956 au refus de Guy Mollet, Christian Pineau et Bourgès-Maunoury d'avaliser ses projets, en 1982 les dirigeants israéliens parviendront à obtenir le soutien des Etats-Unis, en la personne du secrétaire d'Etat Alexander Haig.
(1) Cf. Moshe Dayan, Histoire de ma vie, Fayard, Paris, 1976, p. 209. Voir aussi, dans le Monde diplomatique de septembre 1982, «Un vieux rêve israélien»: en 1954, Moshe Dayan proposait de «trouver» ou d'«acheter» un officier libanais qui accepte de jouer le rôle de «sauveur des maronites».
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