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29 décembre 2006

Don't cry for me Mesopotamia (Angry Arab)

Al Akhbar publie aujourd'hui un dessin d'Angel Boligan, illustrateur cubain pour le quotidien mexicain El Universal. Angel Boligan jouit d'une notoriété mondiale. Une recherche sur Google vous permettra de trouver d'autres illustrations.

Professeur de sciences politiques, As'ad Abu Khalil livre à chaud ses commentaires sur l'exécution de Saddam Hussein sur son blog, Angry Arab News Service. Voici une traduction de ce billet. Le lecteur voudra bien m'excuser les lourdeurs de la traduction: Angry Arab écrit dans un style très «parlé» (en anglais américain) difficile à rendre, et par ailleurs a des expressions propres qu'il utilise systématiquement dans un effet humoristique de dérision (par exemple, le gouvernement irakien est toujours associé au terme puppet).

Don't cry for me Mesopotamia: pas de larmes pour Saddam

Une fois de plus, l'administration Bush apparaît stupide exactement au moment où elle pense se montrer intelligente, ou au moment où elle pense qu'elle agit de manière stratégique.

Saddam Hussein n'était pas le tyran typique: il n'était même pas un idéologue cohérent – contrairement à ce que ses partisans aimeraient croire. Saddam changeait de positions et d'opinions, en fonction des intérêts de son régime tyrannique. Il a flirté (et plus que flirté) avec les États-Unis et Israël pendant la plus grande partie des années 80. Il était un païen et un athée dans les années 70 – vous pouvez le constater en consultant les biographies autorisées de cette époque (Iskandar, Matar, etc.) – avant de découvrir la piété après sa défaite en 1991 – voir mon article dans le journal Muslim World dans lequel je compare Nasser après sa défaite de 1967 et Saddam après celle de 1991, et où j'explique comment ils ont tous les deux introduit la religion et la Jabriyyah dans leur pensée politique [NdT: As'ad Abu Khalil, «Al-Jabriyyah in the Political Discourse of Jamal ‘abd al-Nasr and Saddam Husayn: The Rationalisation of Defeat», Muslim World, LXXXIV:3-4 (juillet-août 1994), p. 240-257.]

Mais une chose n'a jamais changé à son sujet: sa profonde jalousie pour Nasser, et sa profonde ardeur à rivaliser avec lui (de la même façon, cette profonde jalousie caractérise l'attitude de Walid Joumblat à l'égard de Hassan Nasrallah). Cependant, il n'avait aucune des qualités de Nasser: il ne menait pas une vie personnelle modeste, pas plus que les membre de sa famille – pour le dire de manière modérée – et il n'avait aucun des talents oratoires de Nasser.

Saddam devait payer pour obtenir des soutiens en dehors d'Irak; Nasser n'a jamais eu à débourser un mallim. L'éditorialiste libanais Samir ‘Atallah raconte l'épisode d'un journaliste arabe visitant Saddam pendant les années difficiles de la guerre Iran-Irak. Pendant que le journaliste était dans le bureau de Saddam, une énorme explosion s'est fait entendre, et cela a fait vibrer tout le bâtiment dans lequel ils se trouvaient. Saddam n'a pas bougé et n'a montré aucune émotion. Il s'est ensuite tourné vers le journaliste et a demandé: «Pensez-vous que Nasser se serait montré aussi calme?», ou quelque chose dans ce genre.

Le peuple irakien a bien évidemment le droit, s'il le désire, de décider d'une punition de Saddam pour ses crimes contre les irakiens (et d'autres). Mais l'exécution a été ternie par un certain nombre de questions qui vont se retourner par la suite contre le gouvernement de marionnettes en Irak et contre ses soutiens américains.

1. L'intégralité des processus légaux et politiques en Irak, y compris les élections hebdomadaires ou mensuelles, ne sont pas légitimes tant que la présence des occupants américains se prolonge. Toute la journée, les propagandistes de l'administration ont insisté sur le fait qu'il s'agit d'une décision irakienne. Ouais, c'est ça. Cette année, les officiels-marionnettes irakiens, y compris le précédent Premier ministre-marionnette, ont admis que le Premier ministre au pouvoir en Irak ne pouvait donner une mission à un policier sans l'autorisation des occupants américains. Et ils voudraient maintenant nous faire croire que les Irakiens ont agit de leur propre chef, comme s'ils en avaient la possibilité.

Et quant au moment choisi: il n'a pas été dicté par des calculs américains? Et l'Irak n'est-il pas censé être souverain et indépendant? Et les 140000 soldats américains ne sont-ils pas là que pour les besoins du contrôle du trafic routier dans le pays? Que ce soit pour des élections ou des procès, ces processus ne sont ni légitimes ni valides sous occupation étrangère, et certainement pas aux yeux de l'opinion publique arabe.

2. Le procès lui-même, comme tout ce que les États-Unis ont géré en Irak, a été un gâchis. Si le but des occupants américains était de montrer aux Arabes un processus juridique et une cour se comportant de manière différente de ce qu'ils ont dans leurs propres pays, alors les États-Unis ont échoué lamentablent, tout comme ils ont lamentablement échoué à traduire dans les faits la rhétorique de leurs promesses vides. Le procès a été, en fait, aussi parodique et aussi manipulé politiquement que les procès dans les pays arabes voisins. Des changements de juges (et qu'a-t-il bien pu arriver au juge qui a disparu dès qu'il a affirmé pendant le «procès» qu'il ne considérait pas Saddam comme un tyran?), au choix de ses crimes – dans le but clair d'éviter aux pays du Golfe, à l'Europe et aux États-Unis l'embarras de devoir expliquer leur soutien aux crimes de Saddam pendant les années de la guerre Iran-Irak. C'est la raison pour laquelle c'est Dujayl – parmi tous ses crimes – qui a été choisi. Et remarquez comme le procès d'Anfal a été précipité pour éviter d'établir le lien avec ses autres crimes durant cette période.

3. La décision d'exécuter Saddam va aggraver les tensions confessionnelles dans la région. Sistani a même été obligé de changer le jour de l'Aid Al-Adha. Même l'Aid peut être modifié par le plus lâche des prêtres – qui était lâche sous Saddam et qui est lâche sous occupation américaine.

Bien sûr, rien de tout cela n'était inévitable. En d'autres termes, si les marionnettes du gouvernement irakien n'employaient pas des méthodes aussi clairement confessionnelles – de la même façon que l'occupation américain a clairement tenté d'utiliser et d'exploiter, sans succès, les différences confessionnelles en Irak – le peuple irakien aurait pu se rassembler pour condamner les crimes de Saddam et accepter un procès équitable et légitime. Mais les gouvernements chiites sectaires successifs de l'Irak occupée, et leurs milices chiites sectaires, ont rapproché de nombreux sunnites d'Irak de Saddam. Et le soutien que le gouvernement de marionnetes d'Irak reçoit de la part de l'Iran et du Hezbollah – ouvertement ou pas, ça n'a pas d'importance – ne sert qu'à renforcer la composition confessionnelle du gouvernement de marionnettes au pouvoir. L'exécution apparaîtra comme une décision sectaire et non comme une décision politique ou légale, comme cela devrait être le cas, parce que le gouvernement au pouvoir (a) s'appuie sur une armée d'occupation étrangère, (b) parce qu'il emploie des escadrons de la mort de nature confessionnelle qui tuent des sunnites irakiens et des Palestiniens, (c) parce que ces escadrons de la mort sont inspirés par un (pas du tout) Grand Ayatollah qui n'a quitté sa maison qu'une fois en six ans. Al Arabiya (une arme virtuelle au service de l'appareil de propagande de l'occupation) a pensé qu'il était intelligent de demander à un prêtre chiite d'apparaître en premier pour louer l'exécution. Mais ce prêtre est justement connu pour être un propagandiste de l'occupation.

4. Cela ne va pas marquer la fin du parti Baas. En fait, le parti baassiste irakien est débarrassé de son passif le plus encombrant. Maintenant, malheureusement, le Baas peut se réunir et ré-émerger sans avoir de comptes à rendre pour les crimes de Saddam. Maintenant ils peuvent prétendre qu'ils ne savaient pas, qu'ils n'ont pas donné d'autorisation – que c'est entièrement de la faute de Saddam et de ses deux fils, qui sont désormais tous morts. Le parti Baas va revenir, de la même manière que les talibans semblent revenir – encore un signe de l'échec de la doctrine Bush. Aucun des buts de la doctrine n'a été atteint, et aucun ne le sera. Et le parti Baas, je l'ai toujours expliqué, est aussi brutal dans la clandestinité que lorsqu'il est au pouvoir.

5. Les régimes arabes sont plus à l'abri qu'ils ne l'ont jamais été – pas contre leurs propres peuples (qui soit dorment, soit sont outragés par des caricatures danoises) – mais contre la colère des États-Unis. Tous les régimes arabes savent maintenant que l'option d'une nouvelle guerre américaine contre un autre régime arabe est écartée pour une longue période. Cette option a été annihilée par la stupidité de cette administration, et par les erreurs abyssales de la doctrine Bush. Les régimes arabes sont maintenant confortés dans leur idée que les États-Unis vont recourir à des menaces, mais à des menaces d'une autre sorte. Cela explique le ton confiant depuis quelques temps des régimes iranien et syrien.

6. La valeur des marionnettes américaines à Bagdad a, d'une manière bizarre et malheureuse, augmenté la cédibilité de Saddam aux yeux de certains Irakiens et d'encore plus d'arabes non Irakiens.

7. Des attaques de rétorsion seront planifiées et exécutées, en Irak et au-delà. L'exécution de Saddam sera perçue, aussi bien par les baassistes que par les non baassistes, comme l'assassinat d'un «leader» et sera utilisée pour justifier l'assassinat de dirigeants au Moyen-Orient, surtout ceux qui sont proches des États-Unis.

8. Les gens dans la région se souviendront de Saddam avec nostalgie parce que les dirigeants arabes sont maintenant de plus en plus soumis et dociles au tandem États-Unis/Israël, et c'est de ses fanfaronnades et son emphase qu'on se souviendra.

9. C'est le signe que l'administration Bush n'a plus rien à offrir d'autre que la même vieille formule. Je suspecte qu'un esprit brillant à la Maison blanche a eu l'idée de l'exécution dans l'espoir que cela galvaniserait l'opinion publique américaine – ils ne pensent pas plus loin que cela.

10. Cela pourrait être un signe que les États-Unis sont prêt à se retirer d'Irak. Cela pourrait être une façon de resserrer les boulons avant de partir; ils essaieraient ainsi d'être certains que Saddam ne sera plus là après leur départ.

11. C'est justement parce que Saddam était un tyran tellement brutal qu'il méritait d'être jugé dans un procès réel et légitime, où un gouvernement non-confessionnel aurait pu lui faire rendre compte de ses crimes. Mais cela ne pouvait pas arriver avec un gouvernement de marionnettes sectaires soutenu par les occupants étrangers.

12. Je suis personnellement très heureux du fait que Saddam ne pourra plus produire de romans et de poésie. (Je n'arrive pas à croire que `Abdul-Bari `Atwan, dans son hommage hagiographique – grotesque – à Saddam, ait pu qualifier aujourd'hui ses élucubrations pendant le procès d'«éloquentes»!)

13. Je ne suis pas content du traitement qu'en fait Al Jazeera aujourd'hui. C'est beaucoup trop sombre et trop mélancolique, et ils ont passé sans interruption une déclaration du neveu de Saddam, toute la journée, de la même façon que la couverture par Al Arabiyya est beaucoup trop enthousiaste et mensongère dans sa volonté de masquer les aspects confessionnels dans la perception de l'exécution (qui est perçue comme un acte des milices kurdes et chiites, soutenues par les États-Unis, contre un «sunnite»). N'est-il pas ironique qu'Al Arabiyya mette en avant des voix chiites pour légitimer l'exécution, le jour même où un dignitaire wahhabite en Arabie Saoudite a officiellement proclamé l'infidélité des chiites?

14. L'histoire contemporaine de l'Irak va continuer à être sanglante.

J'avais à l'époque demandé à mon professeur, Hanna Batatu (cherchez les archives de mon site pour retrouver mon billet sur son excellent livre sur l'Irak [NdT: ou consultez sa fiche sur Wikipedia]) pourquoi il avait tant tardé à écrire un livre sur l'Irak. Il m'avait répondu que quand il avait terminé son analyse, il était prêt à la transformer en livre. Mais que le bain de sang du début des années 1960 et la pendaison des communistes aux poteaux électriques par les baasistes l'avaient amèrement affligé. Il n'arrivait plus à retourner à ses notes, m'avait-il expliqué.
Élément d'information anecdotique. L'exécution de Saddam Hussein a eu lieu le jour de l'Aïd El-Kebir. D'après la liste des 1057 exécutions aux États-Unis depuis 1977, aucune exécution n'a eu lieu à Noël (ni le 24, ni le 25). Une seule exécution (28 décembre 1984) a eu lieu pendant la semaine de Noël.

Je conseille par ailleurs la relecture du billet d'Obiter Dicta (le blog d'Ibn Kafka, encore plus pertinent qu'à l'accoutumée, puisqu'il est juriste) suite à la condamnation de Saddam Hussein. Billet qu'il compléta d'un second article sur le sujet, après la lecture d'un rapport de Human Right Watch.

Bien que partageant globalement les commentaires de ces deux sites, je dois cependant préciser que, contrairement à leurs auteurs, je suis abolitionniste. Posture d'autant plus courageuse de ma part qu'ici en France, la peine de mort est déjà abolie. On pourra lire dans la brève du Figaro annonçant l'exécution:
Le conseiller national irakien à la sécurité, Mouaffak al Roubaï, a déclaré que le condamné à mort était apparu comme un «homme brisé».
Ce genre de considérations navrantes me semble indissociable de la pratique de la peine de mort. Les Irakiens méritent la justice; on leur donne un spectacle de cirque.

27 décembre 2006

O Tannenbaum, O Tannenbaum... [chant de Noël]

L'information est sans doute trop compliquée pour les Français: d'après Google News, aucun média de chez nous ne l'a reprise (même pas une brève). Seul le site israélien francophone Arouts 7 publie ces informations en français.

Voici la traduction de la dépêche de l'Associated Press publiée par l'International Herald Tribune le 20 décembre.

L'Israélien libéré par le Hezbollah en 2004 reconnaît son trafic de drogue

JERUSALEM: Elhanan Tannenbaum, un colonel de réserve israélien enlevé au Liban, en 2000, dans ces circonstances troubles et retenu en captivité pendant plus de trois ans, a reconnu mercredi pour la première fois qu'il était un trafiquant de drogue, ont rapporté des médias israéliens.

Intervenant en tant que témoin dans une affaire de fraude fiscale impliquant d'autres suspects du même réseau de drogue, Tannenbaum a reconnu qu'il s'était rendu au Liban pour réaliser une opération de trafic dont il espérait tirer 200000 dollars (152000 euros), selon le rapport de la Radio de l'armée [Galei Tsahal].

Tannenbaum, un ancien officier de haut rang dans l'artillerie, était enfoncé dans ses dettes lorsqu'il a utilisé un passeport étranger pour se rendre au Liban, ce qui est illégal pour un israélien, puisque les deux pays sont ennemis.

Il a été capturé par le Hezbollah et emprisonné pendant plus de trois ans, et a été rendu à Israël en janvier 2004 dans le cadre d'un échange de prisonniers entre Israël et le groupe de guerrilla.

L'échange déséquilibré a provoqué la colère de nombreux israéliens qui considèrent qu'Israël a payé un prix excessif – la libération de 400 prisonniers Libanais et Arabes, un coup porté au prestige d'Israël et la promotion considérable du Hezbollah – en échange de Tannenbaum.

Tannenbaum avait initialement soutenu qu'il était allé en Israël pour obtenir des informations sur Ron Arad, un pilote de l'armée de l'air israélienne porté disparu depuis 1986.
On est prié de ne pas ricaner. Malgré cette nouvelle version des activités de Tannenbaum au Liban, Arouts 7 et la radio de l'armée s'inquiètent tout de même sur les éventuelles informations «extrêmement “sensibles”» que ce simple trafiquant de drogue aurait pu livrer au Hezbollah.

Histoire de la conserver, en cas de mise-à-jour inopinée, voici la «biographie» de «Elchanan Tannenbaum» publiée par la «Coalition internationale pour les soldats israéliens portés disparus» (je ne traduis pas, ça n'est pas un texte indispensable). Je suis curieux de voir comment la prochaine version de cette «biographie» parviendra à conserver sa structure actuelle (la première phrase évoque l'Holocauste, la dernière phrase Auschwitz et les camps de concentration) tout en évoquant cette histoire de trafic de drogue.
Fifty-four years old at the time of his abduction, Elchanan Tannenbaum, the son of Polish Holocaust survivors, immigrated to Israel in 1949, together with his father, mother and sister, after most of his relatives had perished in the Holocaust.

The family settled in Holon, where Elchanan spent his youth and matriculated from high school. He was an active organizer of the boys’ scout organization in Holon, and later became a member of the Scout leadership in Israel, representing the Israeli Scout movement in the USA.

At the age of 18, Elchanan enrolled in the Hebrew University of Jerusalem, studying economics and political science. During his academic studies, he began serving in the IDF. After graduation, he completed his army service as an officer, continuing to fulfill duties as a reserve officer as needed from time to time. In the reserves he achieved the rank of Colonel.

He continued his studies at the Tel Aviv University School of Business Administration. He then became a businessman, working alone and with partners.
Elchanan married in 1971, and is the father of two: a daughter, Keren (26), now studying philosophy and communications at Tel Aviv University, and a son, Ori (20).

Elchanan is chronically ill. He suffers from severe asthma, which requires daily medical treatment.

Elchanan Tenenboim has supported many families who have lost children in the ongoing Israeli-Arab conflict. He is devoted to his country, his family and friends, and is always ready to extend a helping hand.

Among their appeals, Tannenbaum's children have been unable to confirm the delivery of any asthma medications sent to their father via the Red Cross.
For Elchanan's 55th birthday (his first and hopefully his last in captivity), his children sent him via the Red Cross personal letters and Victor Frankl's book, Man's Search for Meaning -- a deeply moving personal essay by the founder of Logotherapy detailing his own imprisonment in Auschwitz and other concentration camps for five years, and his struggle during this time to find reasons to live.
Le lecteur curieux pourra constater au gré de ses recherches sur le Web que, selon les besoins de la communication israélienne, Elhanan Tannenbaum était souvent présenté comme un simple «citoyen israélien», ou un «businessman», les mentions de sa valeureuse activité de colonel de réserve n'apparaissant pas systématiquement. L'article de Arouts 7 «révèle» ainsi, plus de six ans après les événements, que:
Le général de brigade Raphy Noï, ancien responsable du QG de la région Nord, a confirmé sur les ondes de Galei Tsahal, que Tannenbaum avait participé à des exercices de son unité, dans le Nord d’Israël, quelques jours avant son enlèvement.
Ah bon.

24 décembre 2006

Selon Al-Akhbar, l'Allemagne ne coopère pas à l'enquête internationale

Al-Akbar confirme l'information d'Angry Arab selon laquelle le juge Detlev Melhis devait intervenir sur la LBC dans une interview avec May Chidiac, interview annulée au dernier moment suite à des pressions de l'ONU. Le 20 décembre, Ibrahim Al-Amine publiait, toujours dans Al-Akhbar, un article plus complet, suggérant des pistes sur le jeu politique de Detlev Mehlis et l'opposition entre lui et son successeur, Serge Brammertz.

Voici une adaptation de l'article d'Ibrahim Al-Amine (notez bien: ce n'est pas une traduction littérale, j'en serais bien incapable).

Conflit entre Mehlis et Brammertz: l'Allemagne ne coopère pas à l'enquête internationale
d'après l'article d'Ibrahim Al-Amine

Les évolutions locales et internationales de l'enquête sur l'assassinat du Premier ministre Rafik Hariri l'entraînent vers des étapes plus sensibles après le récent rapport du chef de la commission d'enquête Serge Brammertz et les fuites sur les réactions des parties concernées. Des sources concordantes indiquent que Brammertz a livré ses explications en comité très restreint auprès d'officiels des Nations unies pour justifier la prorogation de sa mission, exposant les objectifs atteints et les progrès face aux difficultés, explicitant les besoins techniques et matériels nécessaires, ainsi que le soutien moral nécessaire à la prochaine phase de l'enquête.

Il semble que, ces deux derniers jours, Brammertz soit intervenu d'urgence auprès du Secrétaire des Nations unies pour que celui-ci empêche, de manière ferme, son prédécesseur Detlev Mehlis de faire des déclarations de nature politique, Brammertz ayant reçu de nombreuses informations sur les activités de Mehlis dans les cercles politiques et médiatiques de Beyrouth et d'ailleurs.

Selon ces informations, Mehlis voudrait orienter ses critiques sur divers points, notamment en expliquant que les progrès sont trop lents, et que Brammertz néglige délibérément les stratégies d'enquête adoptées auparavant. Il voudrait aussi rappeler qu'il a lui-même obtenu de nombreux résultats, notamment sa découverte de nombreux éléments d'identification des auteurs du crime, expliquant ainsi que le dernier rapport de Brammertz confirme la thèse du van Mitsubitshi, thèse qu'il avait lui-même exposée dès le premier jour de son arrivée au Liban. Melis rejette aussi les critiques quant à son propre travail, qu'elles soient contenues dans le rapport Brammertz ou émises par ceux des officiels qui l'ont commenté, notamment celles portant sur ses demandes d'arrestations et d'autres éléments de procédures.

Il apparaît que Mehlis a dû annuler un certain nombre d'interviews dans les médias, mais il indique son intention de poursuivre ses déclarations aux journaux et à des officiels américains, et de continuer, avec son bras droit Gerhard Lehmann, à diffuser des informations auprès d'un certain nombre de médias, particulièrement en Allemagne, mais aussi auprès de personnalités politiques et médiatiques au Liban et dans le monde arabe, lorsque cela lui semblera approprié pour «défendre ce qu'il a fait, et attirer l'attention sur les erreurs commises par Brammertz», selon les mots d'une source qui a parlé avec le juge allemand.

Il semble que le conflit entre Mehlis et Brammertz dépasse les seules questions d'image. Ainsi il semblerait que ce que Brammertz évoque au paragraphe 103 de son dernier rapport, selon lequel «certains États ont livré des réponses tardives ou incomplètes, ou n'ont pas répondu du tout» et où il rappelle que «la Commission a bonne confiance qu'il obtiendra une coopération pleine et rapide de tous les États durant la prochaine phase de l'enquête», s'adresse au juge allemand, ainsi qu'à l'État allemand, qui aurait refusé plusieurs sollicitations de la part de Brammertz et auquel il aurait fait plusieurs demandes de collaboration d'équipes spécialisées dans la lutte contre le terrorisme et travaillant avec les services de renseignement allemands. Il a envoyé plusieurs lettres, mais la réponse a été négative, jusqu'à ce qu'il ne comprenne que Berlin protestait ainsi contre sa décision initiale de résilier les contrats avec tous les membres allemands de l'équipe qui travaillaient avec Mehlis et de ne conserver que les enquêteurs suédois.

Des explications diverses justifient cette situation. Certains expliquent que le travail de Brammertz nécessitait de nouvelles méthodes et donc de nouvelles équipes, indiquant que Brammertz critiquait la qualité du rapport final de Mehlis, qu'il pensait ne pas avoir quitté son poste de son plein gré, parce qu'il avait commis de nombreuses erreurs. D'autres attribuent ces tensions à la façon dont Brammertz gère la partie syrienne de l'enquête. Mehlis, pendant la phase libanaise de l'enquête, diligentait les arrestations des chefs des services de sécurité suspectés d'être liés à l'affaire ainsi que celles d'un certain nombre d'autres suspects. Il a recommandé que cette méthode soit également appliquée à un certain nombre d'officiels syriens. Brammertz, au contraire, a préféré se concentrer sur les aspects techniques de l'enquête, cherchant d'abord à déterminer tous les mécanismes du crime, et à identifier les personnes qui ont préparé les explosifs ainsi que l'auteur de l'attentat-suicide dont on a retrouvé de minuscules traces sur les lieux du crime.

Leur opposition concerne aussi la question des arrestations. C'est dans ce contexte qu'est rédigé le paragraphe 96 du rapport, qui indique qu'il est important d'établir «un rapport analytique sur la crédibilité d'un témoin», à cause de son impact sur «des personnes liées aux autorités libanaises».

Ce paragraphe concernerait le témoin syrien Mohammad Zuheir Saddik, dont les déclarations ont dû être comparées aux autres informations du dossier, qui le contredisent, laissant les autorités libanaises face à leurs responsabilités quant au sort des personnes détenues, notamment celui du Major General Jamil Sayyed, qui a à nouveau demandé au juge Elias Eid de lever le mandat d'arrêt prononcé à son encontre. Le rapport a été transmis au procureur général Said Mirza, qui à son tour a indiqué que la question devait être comparées aux autres informations et faire l'objet de plus amples discussions avant qu'une décision soit prise, renvoyant au juge Eid.
Les lecteurs intéressés pourront trouver l'intégralité du dernier rapport de Serge Brammertz, reproduit sur le site Ya Libnan. Le paragraphe 103 – cités dans l'article d'Ibrahim Al-Amine – qui dénonce le manque de coopération de la part de «certains États», ne fait, ainsi, clairement pas référence à la Syrie, puisque les paragraphes précédents indiquent que «the cooperation of Syria with the Commission remains timely and efficient».

23 décembre 2006

Joyeux Noël!

Quelques sondages. En se méfiant énormément du principe même de sondages. Cependant, il me semble intéressant d'en extraire quelques éléments qui contredisent l'enthousiasme général des médias et des politiques occidentaux lorsqu'ils évoquent un hypothétique «choc des civilisations», et/ou font ressortir la distance entre cet enthousiasme politico-médiatique et les citoyens.

Et en cette période de Noël, j'en profite de mettre en avant quelques chiffres qui risquent de faire de la peine au petit Jésus quant à la notion d'«Occident chrétien».

– Selon un sondage Ifop Metro/Acteurs public/LCP diffusé le 19 décembre, 75% des «électeurs» français souhaitent que le prochain président de la République mène une politique extérieure «éloignée» de celle des États-Unis:

«Une réponse qui porte évidemment l'empreinte du bourbier irakien mais qui doit aussi servir d'avertissement aux prétendants à l'Élysée et tout particulièrement à Nicolas Sarkozy et sa tentation “atlantiste”», écrit Métro.
Pour ce qui est de la notion à la mode de «candidat naturel de l'électorat juif», on peut noter que le sondage annuel de l'American Jewish Committee auprès des «juifs américains» (c'est-à-dire «personnes se déclarant juives»), publié le 23 octobre, indique que 54% des sondés se déclarent démocrates, 29% indépendants, et seulement 15% républicains. 46% n'«appartiennent» pas à une synagogue ou à un temple.

– Une remarque sur un sondage ICM/Guardian du 11 octobre. Le lecteur voudra m'excuser cette indignation très politiquement correcte, mais que peut-on penser de questions telles que:
Si vous êtes dans un train ou dans un bus, et si quelqu'un qui semble musulman s'assied à côté de vous, vous sentez-vous... très anxieux, un peu anxieux, pas très anxieux, pas du tout anxieux?
et:
Quelle affirmation décrit le mieux ce que vous pensez que vos voisins ressentiraient si une famille musulmane s'installait dans votre rue?
Il me semble que, si l'on mettait «juif» ou «homosexuel» à la place de «musulman», ces phrases seraient immédiatement perçues comme intolérables; alors comment en est-on venu à ce que le Guardian (qui n'est pas un quotidien d'extrême-droite) s'autorise ce genre de question?

Toujours est-il que 73% des britanniques interrogés se déclarent «pas du tout anxieux» et 15% «pas très anxieux» quand quelqu'un qui semble «juif» s'assied à côté d'eux dans le métro. Pardon, quand quelqu'un qui semble «homosexuel» s'assied à côté d'eux. Ah non, flûte, c'était «musulman» la question.

Sondage publié le 18 décembre dans le Financial Times:
Une majorité de citoyens vivant dans cinq pays européens estime que la religion ne devrait pas constituer un obstacle pour adhérer à l'Union européenne [...]. Le Financial Times ne précise pas le chiffre exact de cette majorité.

[...]

Bien qu'une majorité des habitants de ces cinq pays affirment que la religion n'est pas un obstacle, 35% des Français et des Allemands estiment que l'UE est avant tout un «club chrétien».

Plus des deux-tiers (69%) des personnes interrogées en Grande-Bretagne, France, Italie, Espagne et Allemagne, affirment par ailleurs ne voir aucune objection à ce que leur enfant se marie avec une personne d'une autre religion.

[...]

Le contraste entre les Américains et les Français est également perceptible en matière de religion déclarée: 32% des Français se disent athées, contre 4% des Américains.
Sondage ICM/Guardian publié le 23 décembre.
[Le sondage] dresse le portrait d'une nation sceptique, exprimant des doutes massifs sur l'effet de la religion sur la société: 82% des personnes interrogées déclarent qu'elles perçoivent la religion comme une cause de division et de tension entre les gens. Seulement 16% affirment le contraire.

[...]

La plupart des gens n'ont aucune foi personnelle, indique le sondage, avec seulement 33% des personnes interrogées se décrivant comme «une personne religieuse». Une majorité nette, 63%, affirme qu'ils ne sont pas religieux – en incluant plus de la moitié de ceux qui se décrivent comme des chrétiens.

Les personnes âgées et les femmes sont plus portées à croire en dieu, avec 37% des femmes qui se déclarent religieuses, contre 29% des hommes.

[...]

Les personnes aisées sont plus portées à se rendre à l'église pour Noël: 64% de personnes interrogées dans la classe sociale la plus élevée comptent s'y rendre, contre 43% pour ceux de la classe la plus défavorisée.

L'attitude généralement tolérante des britanniques face à la religion est soulignée par le faible pourcentage de ceux pour qui la meilleure description du pays est celle d'un pays chrétien. Seulement 17% des sondés le pensent. La nette majorité, 62%, est d'accord avec l'affirmation selon laquelle la meilleure description de la Grande-Bretagne est celle d'un «pays religieux avec de nombreuses fois».

18 décembre 2006

L'opposition fait de la peine au petit Jésus

Le discours confessionnel adopté par les partis gouvernementaux atteint les sommets du ridicule. Sans surprise, c'est dans L'Orient-Le Jour aujourd'hui.

Pour le chef spirituel des chrétiens maronites, le cardinal Nasrallah Sfeir, les rassemblements de manifestants dans le centre-ville sont «nuisibles»:

Concluant son homélie dominicale, consacrée à la famille, le patriarche a mis en garde contre des «rassemblements mixtes incontrôlés» qui se forment, à l’occasion du sit-in, et a affirmé qu’ils pourront «constituer un danger pour la famille».
«On nous a informés que certains participants au sit-in ont interdit à leurs filles de passer la nuit dans le centre-ville; voilà qui est sage», a affirmé le chef de l’Église maronite.
J'insiste, au cas où le lecteur français n'aurait pas bien compris: celui qui dénonce ici la «mixité» des manifestations, ça n'est pas un ayatollah envoyé d'Iran, c'est le patriarche maronite.

Le député Atef Majdalani, membre du Courant du Futur (Hariri), lui, recommande de collectionner les santons de Provence au lieu de manifester:
Le député Atef Majdalani s’est demandé hier comment certaines parties politiques se permettaient de priver les gens de fêter Noël en paix, faisant allusion au sit-in ouvert de l’opposition au centre-ville depuis le 1er décembre. «Faut-il que les chrétiens accueillent la naissance de Jésus dans cette atmosphère tendue?» a-t-il ajouté.
La «présidente du Rassemblement des femmes d'affaire libanaises» reprend exactement le même «argument»:
Abondant dans le même sens, Leila Salhab Karamé, présidente du Rassemblement des femmes d’affaires libanaises, a adressé au chef du Courant patriotique libre (CPL), le député Michel Aoun, une lettre ouverte, plaidant pour que les forces de l’opposition donnent la chance aux Libanais de fêter Noël. Dans son message, elle lui demande si «les enfants chrétiens n’ont pas le droit de vivre la fête en paix et sécurité».
Avec ça, le niveau du débat politique au Liban monte.

17 décembre 2006

Hezbollah: quelques idées (trop) simples pour les libertaires

Comme il a longtemps existé une communication à destination des courants libertaires européens faisant la promotion des aspects les plus gauchisants (ou prétendument tels) d'Israël, il existe également une communication négative à l'encontre du Hamas et du Hezbollah à destination de ces mêmes libertaires.

Il est certes important de ne pas tout confondre, et de ne pas se tromper de discours. Angry Arab, très à gauche, tout en soutenant les résistances libanaise et palestinienne, y compris lorsqu'il évoque leurs composantes islamistes, ne cesse de rappeler ses critiques de ces composantes; et, pour le moins, d'indiquer qu'il ne s'agit de mouvements ni marxistes, ni gauchistes, ni libertaires, qu'ils n'adoptent aucunement une analyse de classes... Et au Liban, les mouvement de Michel Aoun et Amal, leurs principaux alliés, ne peuvent sans doute pas non plus être considérés comme des groupes libertaires! Vouloir extraire des discours de Hassan Nasrallah des similitudes avec un discours de classes (ce que l'on constate parfois) est une erreur.

Pour autant, la séduction qu'une certaine critique prétendument «de gauche» opère sur les libertaires européens est inquiétante. D'accord pour une critique construite des buts politiques du Hezbollah et du Hamas, mais encore faut-il se baser sur des commentaires un peu honnêtes ou sérieux.

Cas d'école, la parution il y a quelques jours d'une mise au point intitulée «À propos du Hezbollah», signée Patrick Feldstein, pour l'Organisation communiste libertaire, sur le site de La Sociale.

Le choix des mots n'étant jamais innocent, on peut relever que, dès son introduction, l'auteur oppose «la résistance du peuple libanais» à «cette entité se faisant appeler le Hezbollah» («un mouvement se revendiquant clairement national religieux»). Ben voyons.

Le plus gros de l'article est constitué d'un «Rappel historique» suivi d'une présentation du «Culte du martyre». L'auteur indique en fin d'article que, parmi ses sources, il utilise «L'Orient-Le Jour, août 2006, Michel Hajji Georgiou et Michel Touma». En fait de source, il s'agit d'un copier-coller pur et simple de passages entiers d'un des trois articles de la trilogie publiée par ce quotidien. Largement reproduit sur le Web, on trouvera une version de l'article repompé sur le site du quotidien réunionais Témoignages: «La naissance du Hezbollah et les racines de son action politique».

Est-il nécessaire d'indiquer qu'utiliser, comme seules sources libanaises quant à la nature du Hezbollah, un article de L'Orient-Le Jour et une étude de l'Université Saint-Joseph, de la part d'un communiste libertaire, ça n'est pas bien sérieux. Complété d'autres sources, pourquoi pas, mais là, c'est ridicule. Il ne viendrait certainement pas à l'auteur l'idée de les utiliser comme uniques sources s'il voulait écrire un article sur l'histoire des mouvements marxistes au Moyen-Orient; alors pourquoi le faire au sujet du Hezbollah? J'insiste: en tant qu'éléments parmi d'autres sources, je veux bien; mais L'Orient-Le Jour comme unique source documentaire pour raconter l'histoire du Hezbollah et son «culte du martyre», c'est navrant.

Le succès, parmi les groupes de gauche, de l'«étude» de Michel Hajji Georgiou et Michel Touma est assez étonnant. Ainsi de Témoignages, le quotidien du Parti communiste de la Réunion; n'a-t-il rien d'autre à proposer à ses lecteurs qu'une «analyse» tirée de L'Orient-Le Jour?

La partie la plus «problématique» de la reprise de cette «étude» est, évidemment, l'importance accordée au «culte des martyres» au sein du Hezbollah. L'article de La Sociale reprend très longuement cette explication, et copie-colle par exemple l'explication suivante:

Tomber en martyr au service des préceptes de Dieu devient ainsi un honneur suprême pour tout jeune chiite. Et l’objectif sur ce plan n’est pas tant de remporter une victoire militaire directe et immédiate, mais plutôt d’avoir eu le privilège d’être martyr, de s’être sacrifié par amour du Tout-Puissant, d’autant que la vie dans l’au-delà promet le bonheur éternel. Rester attaché à la vie d’ici-bas, motivée par les contingences matérielles, est donc insignifiant devant l’honneur que représente le martyre au service de Dieu.
Pourtant, Patrick Feldstein prétend aussi se baser sur un article de Robert Pape dans The Observer, d'août 2006. L'article, intitulé «What we still don't understand about Hizbollah», rend pourtant totalement déplacée cette longue focalisation sur le «culte du martyre» des «chiites». On lit par exemple dans l'article de Robert Pape (mais ce passage n'est pas repris par Patrick Feldstein):
Pendant les recherches pour mon livre, qui couvre les 462 attaques-suicides qui ont eu lieu à travers le Monde, des collègues ont écumé les sources libanaises pour récupérer des vidéos de martyres, des photographies, des témoignages et des biographies de bombes humaines du Hezbollah. Sur les 41 personnes concernées, nous avons identifié les noms, les lieux de naissance et d'autres données personnelles pour 38 d'entre elles. Nous avons été choqués de découvrir que seulement huit étaient des fondamentalistes islamistes; 27 appartenaient à des groupes gauchistes tels que le Parti communiste libanais et l'Union socialiste arabe; trois étaient des chrétiens, dont une femme maîtresse d'école titulaire d'un diplôme supérieur. Tous étaient nés au Liban.

Ce que ces attaquants-suicide – et leurs héritiers d'aujourd'hui – partagent, ce n'est pas une idéologie religieuse ou politique, mais simplement leur engagement à résister à une occupation étrangère.
La focalisation de l'article «À propos du Hezbollah», tirée mot pour mot de l'«étude» de L'Orient-Le Jour, sur le «culte du martyre» des chiites du Hezbollah, est rendue totalement caduque par l'article de Robert Pape.

Quant au contenu des citations attribuées à un des membres du Hezbollah sur ce sujet, elles m'apparaissent assez évidentes. Tout groupe combattant ne disposant pas d'une supériorité militaire absolue (qui, seule, permettrait de zigouiller l'ennemi sans prendre de risques personnels) glorifie le «sacrifice ultime» et est bien obligé de souligner que ce sacrifice (dont l'ennemi est supposé avoir peur) mènera à la victoire. Ce discours de la part du Hezbollah n'est ni étonnant ni original; il ne le différencie même pas fondamentalement des «valeurs occidentales»: les propagandes des nations occidentales (presse, littérature, cinéma) lors des conflits qui impliquent de terribles «sacrifices humains» sont emplies de ce genre de considérations. La thématique de la rédemption par le sacrifice est tellement omniprésente dans la culture populaire occidentale qu'il semble difficile d'en conclure à une particularité chiite.

Est-il bien nécessaire de rappeler que cette volonté de réduire la résistance à l'occupation à un motif d'extrémisme religieux est un des éléments centraux de la propagande israélienne. En Palestine, elle prétend se justifier par un extrémisme (de fait) sunnite; passant la frontière du Liban, elle deviendrait une caractéristique chiite.

Tout une partie du (pourtant très contestable) article de L'Orient-Le Jour n'est pas reprise. Elle n'est pourtant pas sans importance, puisqu'on y lit par exemple:
C’est sans doute sur le plan doctrinal et idéologique que le document de 1985 revêt encore un certain intérêt, notamment en ce qui concerne la question de l’établissement d’un État islamique. Le texte établit clairement une distinction entre «la position doctrinale et le volet pratique». Sur le plan du principe, le Hezbollah se déclare favorable à l’établissement d’un État islamique, mais précise tout de suite que, dans la pratique, la réalisation d’un tel projet doit se faire sur base d’un choix libre de la part de la population et il ne saurait donc être imposé par une quelconque partie.
L'article de La Sociale rappelle l'aspect «social» des activités du Hezbollah. Pour conclure ainsi:
Le Hezbollah, par sa présence concrète sur le terrain du social, a pu ainsi développer un véritable clientélisme en répondant aux besoins des populations, ce que n’a jamais pu faire l’état libanais.
Il est assez admirable que «répondre aux besoins des populations», de la part du Hezbollah, ne peut être rien d'autre qu'un «véritable clientélisme». L'article omet de prouver cette accusation. De la même façon qu'il reproduit allègrement les assertions de L'Orient-Le Jour sur le fondement religieux du «culte du martyre» chiite, il aurait été intéressant que l'auteur s'attarde sur les fondements religieux, omniprésents et sans cesse rappelés par les partisans du Hezbollah, de la «générosité» à destination des pauvres. Analyse qui serait forcément peu marxiste, mais ce n'est qu'en occultant les impératifs religieux qui sous-tendent l'action sociale des mouvements islamiques qu'on peut prétendre à un simple «clientélisme».

Au détour de la présentation du «clientélisme» social, on tombe sur la traditionnelle imputation d'antisémitisme, sur fond d'informations particulièrement approximatives:
Il entretient également un vaste réseau d’écoles coraniques, de dispensaires et d’hôpitaux et dispose d’une radio et d’une chaîne de télévision, Al-Manar. Celle-ci a bien tenté de diffuser par le biais de chaîne satellite en occident, notamment en France, soutenue en l’occurrence par Dieudonné, mais le caractère clairement antisémite de ses programmes n’ont pas plu au CSA.
(Que vient donc faire ici la référence à Dieudonné?)

La paragraphe consacré au «financement controversé» n'étant pas sourcé (il est d'ailleurs extrêmement court), il n'offre pas grand intérêt. On note cependant un jugement de valeur au détour de la phrase suivante, qui fait l'économie d'une démonstration factuelle:
La fin justifiant les moyens, le Hezbollah n’a aucun scrupule à côtoyer la mafia internationale pour assurer une partie de son financement.
Après la présentation historique et le culte du martyre, la seule autre partie réellement développée de l'article concerne les relations entre «Le Hezbollah et la gauche libanaise».

Cette partie est proprement scandaleuse. Aucune source n'est indiquée pour cette partie, et pour cause, car cette partie est la simple réécriture d'une interview qui dit exactement le contraire de ce qu'affirme Patrick Feldstein.

Voici le passage présent dans le texte de Patrick Feldstein:
Comment la gauche a pu et continuer à travailler avec des groupes comme le Hezbollah, que certains dans cette même gauche qualifient même comme des islamistes intégristes fascistes?

Le meilleur exemple est celui concernant la position du parti communiste libanais, le PCL. Ce parti communiste libanais est l’un des partis les plus anciens et les plus sérieux dans la région et était aussi les plus influents. Le PCL, pour ce qui l’en reste, travaille à ce jour main dans la main avec le Hezbollah en s’efforçant d’avoir une alliance critique à l’égard du Hezbollah, sauf que ce parti a largement perdu son influence passée et sert finalement de caution de gauche au Hezbollah. Après 2000, date du retrait israélien du sud Liban, le PCL qui avait encore un peu d’influence, a considéré que le Hezbollah avait gaspillé, pour ne pas dire trahi, la victoire, parce que dans la politique interne libanaise, le Hezbollah s’est allié à ses ennemis, à ceux qui étaient contre la libération, la bourgeoisie néolibérale. À partir de 2003, il envoie régulièrement des gens pour participer au forum social mondial. Il recherche ainsi une reconnaissance et une crédibilité internationale dans les milieux alter mondialistes pour apparaître comme le seul mouvement de libération du Liban. Dans la foulée se met en place une alliance pratique et politique entre le Hezbollah et le Parti communiste libanais et le Parti du peuple – qui est un parti nationaliste de gauche. Ils se voient régulièrement et ne dissimulent pas les points de divergence. Le PCL par exemple reproche au Hezbollah de n’avoir jamais participé à des manifestations de revendications sociales, alors que sa base est une base composée de pauvres, de paysans, d’ouvriers et de la classe petite-bourgeoise défavorisée au Liban. Ce reproche est complètement justifié dans le sens où le Hezbollah a toujours développé une approche interclassiste en cohérence avec son projet religieux. Et ce n’est pas les pratiques de façade d’être au plus des gens et de leurs préoccupations qui masquera l’absence de contenu de classe de ce parti.
Ce qui lui permet de conclure:
En d’autres termes, la gauche libanaise n’a plus d’autre fonction que d’être l’imbécile utile d’un Hezbollah qui cherche désespérément une reconnaissance au niveau international comme un mouvement de théologie de la libération, d’où sa volonté de travailler avec les communistes, jusqu’au jour où ceux-ci perdront leur utilité et seront liquidés.
La source de ces informations, non mentionnée par l'auteur, est une interview de Nahla Chahal (coordinatrice des missions civiles en Palestine CCIPPP et chercheur à Paris) par Chris Den Hond (La Gauche, Belgique) et Nicolas Qualander (Rouge, France), disponible en ligne. Voici la dernière partie de cette interview:
– Est-ce que la gauche peut travailler avec des groupes comme le Hezbollah et le Hamas, que certains dans la gauche qualifient même comme des islamistes intégristes fascistes? Et si oui, quel type d’alliance est possible ou souhaitable?

– Je pars de la position du parti communiste libanais, le PCL. Ce parti communiste libanais est quand même un des partis les plus anciens et les plus sérieux dans la région et aussi les plus influents. Le PCL travaille main dans la main avec le Hezbollah. C’est une alliance critique à l’égard du Hezbollah.

Le PCL dit ouvertement au Hezbollah: «Là tu t’es trompé». Après 2000, le PCL a considéré que le Hezbollah avait gaspillé la victoire, parce que dans la politique interne libanaise, le Hezbollah s’est allié à ses ennemis, à ceux qui étaient contre la libération, la bourgeoisie néolibérale.

Je fais une différence dans les mouvements islamistes. Comme chez les communistes et les gens de la gauche, les mouvements islamistes ne sont pas les mêmes. Il n’y a aucun lien de parenté entre Ben Laden et le Hezbollah, aucun! C’est comme dans les mouvements de gauche. Quel rapport est-ce que nous avons avec le Khmers rouges? Pour moi ce sont des fascistes. Il y a des fascistes chez les islamistes comme chez des gens de gauche, mais il y a aussi des gens libérés, progressistes.

Je ne fais pas l’éloge du Hezbollah. Je connais les points de faiblesse. Le Hezbollah n’est pas encore assez conscient qu’il est un mouvement de théologie de la libération. Mais c’est le seul mouvement islamiste qui vient dans les forums sociaux mondiaux et européens. Depuis 2003, il envoie régulièrement des gens pour y participer. Il y a une alliance pratique et politique entre le Hezbollah et le Parti communiste libanais et le Parti du peuple – qui est un parti nationaliste de gauche. Ils se voient régulièrement et ne dissimulent pas les points de divergence.

Le PCL par exemple reproche au Hezbollah de n’avoir jamais participé à des manifestations de revendication sociale, alors que sa base est une base composée de pauvres, de paysans, d’ouvriers et de la classe petite-bourgeoise défavorisée au Liban. Le Hezbollah dit parfois : «Vous avez raison, on n’était pas assez conscient de cela». Il faut comprendre le Hezbollah comme un phénomène jeune, qui évolue beaucoup, qui écoute. C’est très important. C’est aussi un mouvement qui est libéré des dogmes hérités. Leur capacité à travailler avec les communistes est pour moi une forte indication de cela.
Au moins, l'auteur du texte de La Sociale n'est pas un plagiaire servile. S'il reprend des passages entiers d'une interview sans la citer ni la sourcer, au moins lui fait-il dire exactement le contraire de ce qu'avance Nahla Chahal. Le procédé est pour le moins malhonnête et violent...

Ce genre de procédés qui permet à l'auteur de conclure:
Non, pour nous le Hezbollah est d’abord un état dans l’état qui utilise la lutte légitime contre l’état d’Israël comme un moyen devant permettre l’instauration d’un état islamique au Liban.
Bref, «combattons» le Hezbollah:
Notre tâche reste à trouver les capacités autonomes de mobilisation pour le soutien au peuple libanais en refusant l’inféodation et donc l’amalgame avec un parti comme le Hezbollah avec lequel nous n’avons strictement rien à voir et que nous combattons.

15 décembre 2006

L'Orient-Le Jour vous recommande un grand auteur français

Pas grand chose d'intéressant ce matin, aussi je me contente d'une petite note.

Avant-hier, L'Orient-Le Jour rapportait qu'un membre du PSP (majorité) avait tué à l'arme à feu un membre du PSNS (opposition) et blessé un autre; puis le quotidien indiquait sans précisions (élément qu'on ne trouvait pas dans le récit d'Al-Akhbar sur le même événement), que des membres du PSNS étaient venus tirer à la roquette (sur qui, sur quoi?). Ahurissante scène de violence politique qualifiée sobrement par L'Orient-Le Jour, de «fâcheux incident».

Aujourd'hui, encore un (désormais habituel) éditorial haineux et méprisant, signé Ziyad Makhoul et titré «Bagatelles pour un massacre».

Tout d'abord, la promotion de Fouad Saniora semble à nouveau parodier la Pravda des années 70:

Un: transfiguré après la mort de son alter ego Hariri, transformé d’intelligent fonctionnaire en un admirable homme d’État, Fouad Siniora n’en restait pas moins ce théoricien désincarné, marqué encore par les zébrures inhérentes à tout ministre des Finances de la planète; qu’à cela ne tienne, les chefs du 8 Mars lui ont offert, au cours de ces deux dernières semaines, ce qui lui manquait férocement: une indiscutable, une gigantesque popularité que toutes les abayas du monde n’auraient pu lui garantir; ils lui ont donné, en plus de la tête, les jambes; l’ont placé d’office en pater familias de sa communauté.
Mon passage préféré, cette relecture de la guerre civile:
Trois : cette OPA du 8 Mars va bientôt finir de déssiller tous les yeux, de la banlieue sud de Beyrouth à Téhéran en passant par Najaf, va faire assimiler quelque chose d’essentiel, que les chrétiens ont compris après 1975 et avec la guerre civile et que les sunnites ont compris après Taëf et avec la tutelle syrienne: que, comme leurs compatriotes, les chiites du Liban ne pourront jamais gouverner seuls.
Oui, c'est assez raciste: les chrétiens («tous» les chrétiens?) ont compris la vérité après 1975, les sunnites après 1989, et les chiites seulement maintenant. Et à peine partisan, puisque cette chronologie permet de comprendre que pendant la guerre civile, de 1975 à 1989, les chrétiens avaient «compris» une vérité qu'aucun des autres n'avait perçu.

Enfin, pour comprendre comment L'Orient-Le Jour est devenu ce déversoir haineux et sectaire: le dernier paragraphe, citant Céline, se termine par ces mots admirables:
On peut accuser Louis-Ferdinand Céline de tout, tout lui nier, sauf d’avoir été l’un des plus éblouissants, des plus visionnaires génies. Et dans son infini dégoût du monde, se cachait le plus fou, le plus fort des espoirs.
Céline, génial et éblouissant visionnaire... en titrant cet éditorial de L'Orient-Le Jour du titre du pamphlet antisémite, «Bagatelles pour un massacre», il fallait oser.

Pour la semaine prochaine, je suggère une aimable divagation autour du slogan (génialement dégoûté, mais ô combien porteur d'espoir): «Viva la muerte!».

14 décembre 2006

Quand le Hezbollah a oublié de proclamer la république islamique

Parmi les techniques d'excitation confessionnelle déployées par les forces gouvernementales, il y a cette rumeur incroyablement répandue: ce que veut (et risque d'obtenir) le Hezbollah, c'est l'avènement au Liban d'une mini-république islamique, d'un mini-Iran. Les chrétiens devront quitter le pays, les sunnites seront égorgés et toutes les filles devront porter le voile à la mode de Téhéran.

Loin de moi l'idée de vouloir ridiculiser ces craintes. Elle sont réelles, très répandues sous différentes versions, et il n'y a rien de plus dangereux que de les balayer avec mépris (ou de forcer le jeu politique sans en tenir compte).

Certains tentent d'y répondre en mettant en avant la présence chrétienne (et d'autres confessions, d'ailleurs) dans les manifestations. Rien n'y fait: «les chiffres sur les chrétiens sont surévalués», «le Hezbollah a demandé à ses ouailles de mettre des vêtements oranges», «dans les villages, plus personne ne soutient Aoun», «c'est une marionnette de Damas – c'est prouvé»...

Il y aurait bien, également, les nombreuses citations de Hassan Nasrallah lui-même indiquant qu'il n'est pas possible d'instaurer une République islamique au Liban, et que donc le Hezbollah ne le fera pas. Argument guère plus efficace que le précédent.

Il me semble important, alors, de rappeler une période récente durant laquelle, brièvement, des rumeurs absolument similaires avaient secoué le Liban: le départ des israéliens du Sud du Liban en 2000. Au moins on pourra juger selon des comportements et des faits, et non d'après des estimations et des prétentions.

Ce qui suit est un extrait de livre de Georges Corm, Le Liban contemporain. On pourra certes toujours prétendre que ce passage est un peu trop enthousiaste quant au rôle du gouvernement libanais de l'époque, puisque l'auteur était alors ministre des finances du gouvernement de Salim Hoss. Cependant, d'innombrables autres témoignages racontent absolument les mêmes faits.

Devant le nombre de morts et de blessés, de plus en plus important, que l'armée israélienne subit au sud du Liban, Ehud Barak, candidat du Parti travailliste aux élections de 1998, promet le retrait du sud du Liban s'il est élu.

Longtemps, personne ne pensera que Barak se conformerait à sa promesse. Pourtant, c'est bien ce qu'il fera au printemps 2000, deux ans après son élection. Longtemps les Libanais retiendront leur souffle : quel piège les Israéliens ont-ils préparé au sud du Liban pour accepter ainsi de se retirer sans condition ? Le souvenir des retraits de l'armée israélienne en 1984 et 1985 et des massacres communautaires qu'ils avaient à chaque fois entraînés est encore présent dans toutes les mémoires. Est-ce que ce nouveau retrait, qui terminerait toute présence israélienne au Liban, n'entraînera pas des massacres entre chrétiens et musulmans et, en particulier, des représailles des combattants du Hezbollah sur les supplétifs libanais de l'armée israélienne et les membres de leur famille ? Ne serait-il pas plus sage de négocier ce retrait, moyennant quelques concessions, afin d'éviter un nouveau bain de sang entre Libanais?

En fait, ni le gouvernement ni le Hezbollah ne se laissent influencer par la peur qui s'empare des Libanais, lorsqu'il devient clair à la fin du mois d'avril 2000 qu'Israël entend bien se retirer. De nombreuses voix vont réclamer l'envoi de l'armée au sud du Liban, immédiatement après le retrait, pour éviter les désordres, vengeances et massacres. Cette demande est forte, en particulier du côté de l'opinion modérée chrétienne. Les États-Unis font aussi savoir qu'ils entendent bien que le gouvernement désarme le Hezbollah et envoie l'armée libanaise au Sud pour assurer la paix à la frontière. Les Israéliens ont d'ailleurs menacé avec virulence le gouvernement libanais de représailles massives, si un acte d'hostilité quelconque était commis à la frontière contre les villages israéliens.

L'opinion libanaise devient très inquiète ; sur le marché des changes, la tension reprend. Du côté chrétien, bien que la milice aux ordres d'Israël comprenne des combattants de toutes les communautés du sud du Liban (chrétiens, chiites et druzes), la nervosité est forte. Le chef de la milice est un officier chrétien dissident de l'armée libanaise et l'on s'interroge sur le sort des familles des miliciens chrétiens dans une région à prédominance chiite où le Hezbollah fera la loi si l'armée libanaise n'intervient pas. Cette atmosphère malsaine tourne à la panique lorsque l'armée israélienne se retire à une vitesse record en mai 2000 (en l'espace d'une nuit). Beaucoup de miliciens et leurs familles (environ cinq à six mille personnes) s'enfuient en Israel, abandonnant leur maison et leurs biens. Mais, divine surprise, en dehors de ce mouvement limité de panique, l'évacuation ne provoque aucun massacre ou règlement de comptes. Le Hezbollah fait montre d'une retenue totale et l'État s'efforce de faire acte de présence à travers ses institutions civiles. Quelques jours après l'évacuation, le Parlement libanais tiendra même une séance solennelle à Bint Jbeil, capitale de la zone occupée. Il n'y aura aucun règlement de comptes au Sud, grâce à l'initiative du gouvernement de faire passer en jugement les miliciens à quelque communauté qu'ils appartiennent.

12 décembre 2006

Témoignage: le pouvoir du peuple à la mode libanaise

Hier, la couverture par les médias occidentaux de l'immense manifestation de dimanche était pour le moins... déprimante. Et sans doute un peu déprimée.

Heureusement, l'envoyé de Reuters sur place, Crispian Balmer, a livré un témoignage contrastant avec la vulgate habituelle. Je vous livre une traduction de son article, «Witness – People power Lebanese style», sorti aujourd'hui.

TÉMOIGNAGE – Le pouvoir du peuple à la mode libanaise
par Crispian Balmer

Beyrouth, 12 décembre (Reuters) – L'art de décompter les manifestants est peut-être une discipline mathématique dans certains pays, mais pas au Liban, où il ressort souvent de l'exercice politique.

Les organisateurs gonflent régulièrement la taille de leurs manifestations, prétendant que des centaines de milliers de personnes sont descendues dans les rues, alors qu'en réalité seulement une petite partie de ce chiffre s'est déplacée.

Mais personne n'a nié l'ampleur énorme de la manifestation anti-gouvernementale de dimanche organisée par le parti chiite Hezbollah et ses alliés disparates, manifestation qui a emplit le centre de Beyrouth d'un véritable ras-de-marée humain.

«Il y a trop de monde pour qu'on puisse les compter», a reconnu une source sécuritaire, qui souhaite ne pas être identifiée, car le sujet est politiquement sensible. «C'est la plus grande manifestation qu'on ait jamais vue au Liban.»

En tant que correspondant de Reuters, j'ai couvert d'innombrables manifestations à travers le monde, de petits sit-ins aux émeutes anti-mondialisation, de rassemblements contre la guerre à des grèves syndicales.

Mais celle de dimanche était peut-être la mobilisation la plus emplie d'énergie et d'enthouiasme, la plus colorée et animée que j'ai jamais vue.

Frappant sur des tambours, agitant des drapeaux et chantant des slogans, l'armée des partisans du Hezbollah a défilé dans Beyrouth pendant des heures, vidant de leur population les villages et les faubourgs déshérités récemment détruits par la guerre de trente-quatre jours qu'Israël a menée contre les places fortes chiites et qui a dans le même temps provoqué beaucoup de destructions dans le nord d'Israël.

Dans une de ces nombreuses ironies de la politique libanaise, on trouvait dans la foule, coude à coude avec le Hezbollah pro-syrien, des partisans du leader chrétien Michel Aoun, un ancien général qui avait déclenché une guerre désastreuse contre les troupes syriennes.

Des filles chiites portant le tchador à la mode iranienne, qui couvre tout le corps de noir, à l'exception de leur visage, se pressaient aux côtés d'adolescentes chrétiennes en jean et t-shirt moulants.

Quel que soit sa foi ou son parti, chaque manifestant agitait au moins un drapeau libanais, rouge et blanc, frappé du symbole national du cèdre vert – jamais le cliché journalistique de «forêt de drapeaux» n'a été aussi pertinent.

Les raisons d'espérer

Des oiseaux de mauvaise augure ont prévenu que la crise politique, décrite à gros traits comme l'affrontement entre la communauté la plus pauvre, les chiites, contre l'élite sunnite au pouvoir, pourrait déboucher sur une nouvelle guerre civile.

Les stigmates de la guerre civile de 1975-1990 sont toujours nombreux à Beyrouth, avec des immeubles de logement criblés d'éclats d'obus, une église éventrée et un cinéma détruit, donnant un décor inquiétant à la manifestation.

Mais l'ambiance de carnaval de la manifestation semble devoir faire mentir ceux qui craignent qu'un conflit est imminent.

Il n'y avait rien de la colère palpitante que j'ai vue lorsque l'Albanie s'est effondrée en 1997, rien des courants violents qui parcouraient les manifestations anti-mondialisation en Italie, rien de l'inquiétude chargée de testostérone de certains affrontements sociaux en France.

Vu le nombre de manifestants, l'efficacité du discret service de sécurité a été remarquable.

Des soldats protégeaient les bâtiments du gouvernement, mais il n'y avait pas de policiers parmi la foule. À la place, des volontaires du Hezbollah contrôlaient les sacs, canalisaient les flux de manifestants et fouillaient les inconnus pour vérifier que personne n'essayait d'amener des armes.

Si l'estimation du Hezbollah de deux millions de personnes est clairement exagérée, des observateurs plus neutres ont avancé le chiffre d'un demi-million de manifestants – à rapporter à la population totale libanaise d'environ 4 millions d'habitants.

Malgré ces chiffres énormes, aucun incident n'a été rapporté. Au contraire, à la tombée de la nuit, on a allumé des feux de camp, les jeunes ont dansé en rondes tournant lentement, les hauts-parleurs ont diffusé des chants nationalistes et la foule est lentement retournée à la maison.

Mais l'histoire a montré que quiconque souhaitant créer des troubles au Liban y trouvera un terreau fertile parmi sa myriade de groupes religieux, et je me suis mis à me demander combien de temps ce mouvement pourrait continuer avant que des troubles n'apparaissent.

Certains discours tenus à la tribune pourraient sembler pousser au crime à des observateurs extérieurs, mais ils relèvent de l'exercice de style habituel au Moyen-Orient, et ils sont à peine plus enflammés que le discours ambiant.

À un moment donné, la foule a chanté: «Mort à l'Amérique, mort à Israël». Mais, bien que je sois clairement occidental, on ne m'a adressé que des sourires et des témoignages sincères de «bienvenue».

Et au cas où quelques jeunes excités auraient été tentés par la violence, quelqu'un avait affiché des photographies en noir et blanc de la guerre civile, montrant des hommes en tenue de combat tirant au fusil, des immeubles détruits, des femmes en pleurs et des cadavres dans les rues.

«Nous affichons ces photos pour rappeler au gens ce qui arrive pendant une guerre civile et pour les prévenir des conséquences de la guerre. Personne ne serait assez stupide pour suivre ce chemin, n'est-ce pas?» m'a expliqué Fady Yazbeck, un ingénieur de 23 ans.

Principe médiatique: ne jamais parler des encombrants amis français des Gemayel


C'est une de ces minuscules informations dont la presse préfère ne pas accabler ses lecteurs. D'une part, parce qu'on manque de place. D'autre part, parce que ça ne cadre pas avec le joyeux monde de Oui-Oui au Pays des Libanais que l'éditorialiste a décrit à ses lecteurs en première page.

Avec l'aide de Google News, je peux vous confirmer que rigoureusement aucun média occidental n'a repris cette information. À ma connaissance, seul L'Orient-le Jour l'évoque d'une phrase au détour d'un article traitant d'un autre sujet (la calendrier chargé d'Amine Gemayel). [Angry Arab reprend l'info, mais se focalise sur le Front national en général et omet d'indiquer qui est Thibault de la Tocnaye.]

C'est pourtant intéressant: hier, Amine Gemayel a reçu les condoléances du président du Front national (français) Jean-Marie Le Pen, par l'intermédiaire de Thibault de la Tocnaye, qui dirige depuis octobre le bureau des «Affaire étrangères» du Front national. Tout ce que vous pourrez en lire tient dans cette phrase (L'Orient-Le Jour):

M. Gemayel a, par ailleurs, reçu Thibault de la Tocnaye, membre du bureau politique du Front national, qui lui a transmis les condoléances du président du FN, Jean-Marie Le Pen.
Le Pen avait déjà transmis par communiqué de presse ses condoléances à la famille Gemayel, comme l'avait signalé Ibn Kakfa.

La rencontre hier entre Amine Gemayel et Thibault de la Tocnaye est nettement plus intéressante: l'homme n'est pas un inconnu au Liban et, pour les Gemayel, c'est un vieil ami de la famille.

Il est le co-fondateur de Chrétienté-Solidarité, lobby national-catholique français. Né en Algérie, fils d'Alain Bougrenet de la Tocnaye, membre de l'OAS condamné à mort (peine commuée en condamnation à vie) pour sa participation avec Marcel Prevost et Bastien-Thiry à l'attentat du Petit Clamart contre de Gaulle en 1962, Thibault est un dur de dur. Chrétienté-Solidarité est la vitrine politique du Centre Henri et André Charlier, fondé par Bernard Antony dans la ligne des idées de Charles Maurras. Chrétienté-Solidarité fournit de l'aide (et des paramilitaires) pour soutenir les mouvements «chrétiens» et anti-communistes dans des régions comme la Croatie, le Nicaragua, la Pologne, l'Indochine et le Liban.

À ce titre, Thibault de Bougrenet de la Tocnaye s'est engagé comme mercenaire en Croatie, et avec les Contras au Nicaragua. Côté mondanités, il représentait en 2002 la France à la commémoration des phalanges franquistes organisée à Madrid par Blas Piñar.

Dans les années 70, avec Jacques Arnould et Francis Bergeron, il s'engage au Liban pour combatttre aux côtés des Forces libanaises de Samir Geagea et Bachir Gemayel. Il raconte son passé de mercenaire du christianisme dans Les peuples rebelles; itinéraire d'un Français aux côtés des combattants de la liberté.

Lorsque Geagea était en prison, ses avocats étaient Jean-Baptiste Biaggi, président d'honneur du Comité Clovis, fondé par Bernard Antony, Wallerand de Saint-Just, conseiller régional FN de Picardie, membre du comité central du FN, et François Patrimonio. Tous trois sont des avocats de l'AGRIF (Alliance générale contre le racisme et pour le respect de l'identité française et chrétienne), autre création de Bernard Antony, association bien connue pour ses procès contre le «racisme anti-Français».

Le Mouvement du 14 Mars remercie donc la presse française d'avoir évité, à l'occasion de cette rencontre, de rappeler la proximité idéologique et les réseaux qui lient les fanatiques de l'extrême-droite européenne et la composante qui sert d'alibi chrétien au gouvernement Saniora.

PS. Pour être complet, je dois indiquer que, la même journée, Amine Gemayel a également reçu les condoléances de délégués de l'Internationale Socialiste. C'est totalement anecdotique, puisque Ségolène Royale (le PS français est membre de l'IS) s'est déjà dépêchée auprès d'Amine Gemayel, et que Walid Joumblatt s'est exprimé dès l'assassinat (le PSP est membre de l'IS). Je signale au passage que le parti travailliste israélien de Shimon Peres est également membre de l'Internationale socialiste. Et le Meretz-Yachad. Et le Fatah, aussi.

09 décembre 2006

Un ministre du gouvernement Saniora impliqué dans une affaire anglo-saoudienne de corruption sur des ventes d'armes

«Un milliardaire libanais est entraîné dans l'enquête sur les ventes d'armes en tant que “second intermédiaire des Saoudiens”», révèlait le quotidien britannique The Guardian, la semaine dernière.

Il me semble important de signaler que ce «milliardaire» est l'actuel ministre des transports et des travaux publics du gouvernement Saniora. Un trafic avec les Saoudiens, vous avez déjà deviné qu'il s'agit d'un membre éminent du Courant du Futur de Hariri.

Il est également intéressant de savoir que Jacques Chirac lui a fait remettre les insignes de la Légion d'Honneur l'année dernière. (Je trouve cette histoire caricaturale...)

Voici une traduction de l'article du Guardian.

Un milliardaire libanais est entraîné dans l'enquête sur les ventes d'armes en tant que «second intermédiaire des Saoudiens»

David Leigh, Rob Evans et Ewen MacAskill
dimanche 2 décembre 2006

Le nom d'un autre milliardaire intermédiaire des Saoudiens est apparu hier soir dans l'enquête du Bureau des fraudes graves (Serious Fraud Office, SFO) sur des ventes d'armes controversées aux Saoudiens. Le SFO cherche des informations sur tout compte bancaire suisse appartenant à Mohammad Safadi, un homme politique libanais qui est intervenu pour des proches du Prince Sultan, le prince héritier d'Arabie Saoudite.

M. Safadi n'a pas souhaité commenter hier depuis son bureau de Beyrouth, où il occupe le poste de ministre des travaux publics et gère le groupe Safadi. Sa société d'investissement a reçu des contrats de l'entreprise d'armement anglaise BAE et possède des investissements dans des immeubles de bureaux à Londres estimés à 120 millions de livres britanniques.

Ce récent développement de l'enquête internationale intervient après l'annonce que le SFO cherche à obtenir l'accès aux comptes suisses liés au riche intermédiaire en armement installé à Londres, Wafic Said, qui a agit pour les fils du Prince Sultan, Bandar et Khalid.

Ni M. Safadi ni M. Said ne sont eux-mêmes les cibles des enquêtes pour corruption menées par le SFO. Mais les enquêteurs veulent accéder à leurs comptes bancaires pour voir si BAE a fait transiter des fonds secrets à destination d'officiels saoudiens à travers eux. Ce qui pourrait constituer une infraction criminelle pour les dirigeants de BAE.

Depuis que le SFO s'est rapproché des autorités suisses avec des détails sur les comptes offshore sur lesquels il souhaite enquêter, une tempête politique souffle sur la Grande Bretagne, le directeur général de BAE, Mike Turner, prévenant que les Saoudiens pourraient annuler leur gros contrat d'armement avec BAE et le donner aux Français, à moins que l'enquête de la police soient interrompue.

Les rumeurs sur le fait que les Saoudiens auraient soumis à Tony Blair un ultimatum de 10 jours pour stopper l'enquête de la police n'ont été confirmée par personne hier soir. L'ambassadeur d'Arabie Saoudite a déclaré que ces allégations étaient «la resucée d'une vieille histoire». À Paris, où le fils du Prince Sultan, Bandar, a rencontré Jacques Chirac il y a une semaine pour une discussion privée, les Français ont déclaré qu'ils ne cherchaient pas à arracher le contrat de 6 milliards de livres britanniques, pour 72 avions Eurofighter, aux Anglais. Un officiel français a expliqué: «Il n'y a pas d'initiative de la part du ministère de la défense pour promouvoir le Rafale [l'avion de chasse français]. Nous n'essayons rien pour vendre le Rafale [aux Saoudiens]. C'est un contrat anglais.» Mais des sources dans l'industrie soutiennent que la France a fait du lobbying pour un contrat différent et est un concurrent de longue date des Anglais.

Hier soir, l'avocat général, Lord Goldsmith, a déclaré qu'il n'avait pas l'intention d'interférer avec l'enquête, à la suite de discussions avec le directeur du SFO, Robert Wardle. Un porte-parole a indiqué: «Son opinion générale est qu'il ne faut en aucun cas interrompre des poursuites pour des raisons politiques.»

Le SFO a expliqué qu'il travaillait «aussi rapidement que les circonstances le permettent». Des avocats familiers de telles affaires soulignent que de nombreux délais sont causés par la longueur des procédures suisses, avant que ceux-ci n'acceptent d'ouvrir des comptes bancaires, par tradition hautement secrets.

Des sources à Westminster expliquent que BAE a entravé l'affaire pendant plusieurs mois en refusant de dévoiler des fichiers de paiements aux agents, et en faisant intervenir des pressions politiques pour empêcher SFO de recourir à ses pouvoirs de contrainte pour obtenir les informations. Un porte-parole du SFO a expliqué: «Notre travail consiste à nous concentrer sur les enquêtes, et à le faire aussi complètement et aussi rapidement que les circonstances le permettent. Si des preuves indiquent qu'il y a de quoi poursuivre, nous présentons l'affaire devenant la justice.»

Hier soir, les militants contre les ventes d'armes ont accusé BAE d'exagérer l'impact sur les emplois en Angleterre si ce contrat était perdu. Nicholas Gilby, de l'association Campagne contre les ventes d'armes, a expliqué: «Le propre rapport d'Eurofighter indique qu'il y a au mieux 11500 emplois dépendant des exportations vers l'Arabie Saoudite dans toute l'Europe, et certainement 4500 en Grande-Bretagne.»

L'enquête du SFO, qui a commencé lorsque le Guardian a obtenu des documents en 2003 suggérant que BAE avait une caisse noire de 60 millions de livres britanniques destinées à corrompre les généraux saoudiens, s'est développée pour couvrir aujourd'hui des paiements occultes de BAE dans une demi-douzaine de pays, pour un total supposé de plus d'un milliard de livres.

Un témoin potentiel, qui a été interrogé par le SFO, a déclaré au Guardian: «Ils m'ont interrogé sur le rôle de M. Safadi. Je leur ai expliqué que son entreprise britannique, Jones Consultants, avait payé des factures pour le Prince Turki bin Nasser, cherf des forces aériennes saoudiennes.»

BAE a refusé de commenter les dernières révélations, ajoutant: «BAE Systems n'est pas en train d'entraver l'enquête de SFO d'une quelconque façon, et continue à pleinement coopérer avec l'enquête du SFO.»

08 décembre 2006

Le commentaire d'Angry Arab sur le discours de Nasrallah

As‘ad Abukhalil est universitaire aux États-Unis, libanais et auteur du blog en anglais Angry Arab (un arabe en colère). Il publie plusieurs billets très courts chaque jour, qui constituent essentiellement une revue de presse accompagnée de brefs commentaires très sarcastiques.

Très à gauche et laïc, extrêmement opposé au gouvernement Saniora, c'est un commentateur vachard (et souvent expéditif) des événements. Son site est un rendez-vous quotidien pour suivre l'actualité du Proche-Orient.

Il a livré ce matin un billet inhabituellement long, assez peu structuré mais très intéressant, sur le discours d'hier de Hassan Nasrallah. Discours qui n'a pas manqué de frapper par la force des accusations portées; un échelon dans l'affrontement politique a sans doute été franchi. Voici une traduction du billet de As‘ad Abukhalil, c'est un point de vue radicalement différent de ce que vous pourrez lire ou entendre dans les médias français.

Les gens m'ont demandé – et ma sœur m'a poussé à le faire – d'écrire quelque chose sur le discours de Nasrallah. Je ne l'ai pas suivi dans son intégralité. Je suis sur la route, aussi j'ai regardé des extraits sur New TV. Puis j'ai lu l'intégralité du texte.

J'ai été surpris. Le Hezbollah a décidé de devenir ferme et de forcer les événements face à ses ennemis – qui étaient ses alliés électoraux. C'est lui qui a installé ces mêmes personnes (Hariri et Joumblat) dans la majorité. C'est vrai, il y a des contradictions. Nasrallah a déclaré très clairement qu'il considère Saniora, Joumblat et compagnie comme des alliés d'Israël pendant la guerre – ce qui est évidemment vrai – et cependant il est encore près à former un gouvernement avec eux.

Je pense que l'opposition au Liban devrait se concentrer sur Saniora et d'autres symboles du mouvement du 14 Mars. Mais les exigences de l'opposition sont très limitées: rien n'est dit au sujet de l'un des aspects les plus dangereux de la politique du gouvernement, c'est-à-dire son programme économique terrifiant, qui se situe à la droite de la «campagne de libéralisation» de Pinochet. Il n'a rien dit à ce sujet, mais le Hezbollah a ignoré les questions de justice sociale depuis l'avénement de Rafic Hariri – ou en tout cas depuis son installation par les services secrets syriens.

Nasrallah traite avec habileté – beaucoup d'habileté – la question des tensions confessionnelles. Il ne fait aucun doute que le camp Hariri s'est engagé de façon flagrante sur la voie de l'agitation confessionnelle avec des manières qui sont sans précédent dans l'histoire contemporaine du Liban. Il ne lui reste rien d'autre à faire. Je veux dire: est-ce que vous connaissez qui que ce soit au Liban qui apprécie ou admire sincèrement Fouad Saniora – à l'exception de Samir Khalaf, mais qui se soucie vraiment de Samir Khalaf, cet homme qui pense qu'il n'est pas anti-chiite parce que sa famille avait une servante chiite, comme il me l'a expliqué un jour. Saniora compense son déficit de soutien populaire par l'agitation confesionnelle.

Les manifestations de l'opposition sont plutôt des réussites et sont très bien chorégraphiées. Sous l'angle théâtral, elles sont à mon avis bien meilleures que celles organisées par le mouvement du 14 Mars. Il est étonnant – ou pas du tout étonnant en fait – que les manifestations soient à ce point occultées par les médias occidentaux. Où se trouve le magazine Nation, lui qui ne couvre plus que les manifestations mises en scène et organisées par Saatchi and Saatchi? De plus, le magazine Nation avait aimé l'aspect «glamour» des leaders du mouvement du 14 Mars. Des hommes barbus et des femmes voilées (bien entendu, des dizaines de milliers de manifestants ne le sont pas) dans ces manifestations, cela rebute beaucoup de journalistes occidentaux.

Le plan de l'opposition semble taillée dans le marbre; et le groupe au pouvoir apparaît de plus en plus nerveux. Saniora devient chaque jour de plus en plus vulgaire. Et le disciple de Zarkawi au Liban, le mufti de ‘Akkar, est maintenant le principal soutien de Saniora. Il est également clair que le camp Hariri a tenté dès les premiers jours des manifestations d'entraîner l'opposition dans des affrontements confessionnels. L'opposition a habilement évité ce piège; elle était déterminée à ne pas se laisser entraîner là-dedans. L'alliance entre Aoun et le Hezbollah a sauvé le Liban de tensions et d'affrontements confessionnels supplémentaires, et l'entente a duré plus longtemps que ce à quoi les gens s'attendaient.

Il a été intéressant et positif que Nasrallah n'évoque ni l'Iran ni la Syrie, et qu'il s'oppose même au «wisayah» (tutelle, le terme utilisé pour décrire la domination syrienne sur le Liban) que ce soit de la part «d'amis ou de frères» – une référence habituelle à la Syrie.

L'opposition est par ailleurs parvenue à s'en tenir à des manifestations pacifiques – le mouvement du 14 Mars était violent: il comportait des attaques grossières contre de pauvres ouvriers syriens dans tout le Liban. Chaque assassinat au Liban a été suivi de meurtres ou d'attaques contre des ouvriers syriens.

À un moment – lorsqu'il a évoqué ceux qui avaient poussé les États-Unis à encourager l'attaque israélienne contre le Hezbollah – il faisait référence à Joumblat et Marwan Hamadé, sans cependant les nommer. Cependant, bien que l'opposition ait réussi à attirer des dizaines de milliers de chrétiens, on ne peut nier la division confessionnelle de l'affrontement au Liban. L'immense majorité des sunnites soutient le camp Hariri, tout comme l'immense majorité des chiites soutient le Hezbollah (et, à un moindre niveau, Amal).

Il est positif que Nasrallah ait finalement évoqué la milice Hariri (baptisée Forces de sécurité intérieures). Cela est bien connu des Libanais. Et le 14 Mars sait qu'il ne peut pas compter sur le gouvernement américain au-delà d'un déploiement de rhétorique. Et que peut faire leur allié saoudien pour les sortir de là? Au passage, j'aimerais que le quotidien Al-Akhbar abandonne cette habitude pénible de citer quotidiennement (en l'approuvant) l'ambassadeur d'Arabie Saoudite au Liban.

Du point de vue de la rhétorique politique, c'était un discours bien présenté et délivré avec force. Il avait l'air plus en colère que d'habitude, cela a peut-être plu à la foule qui avait retenu son envie de revanches après le meurtre d'un manifestant désarmé par les alliés de Bush au Liban.

J'ai lu que le roi Abdallah de Jordanie avait apporté son soutien à Saniora: voilà un homme qui n'est même pas soutenu dans son propre pays et qui souhaite distribuer du soutien à l'étranger. N'est-ce pas ironique? Qui cela va-t-il tromper, à part un éditorialiste du Washington Post que la Révolution du Cèdre avait tout excité. Je n'ai pas le temps de voir les commentaires de Friedman, Ignatius et les autres.

Et hier, Joumblat s'est rendu à nouveau à une conférence de socialistes européens. Je veux dire, je n'ai absolument JAMAIS eu le moindre respect pour les socialistes européens (parfois un peu pour les socialistes révolutionnaires), mais n'est-ce pas exemplaire? Les socialistes français célèbrent un chef de guerre confessionnel qui n'est au pouvoir que parce qu'il a hérité du féodalisme médiéval de sa famille. Les socialistes français célèbrent un homme qui presse les Libanais d'accepter la main-mise de la Banque mondiale et du FMI sur leur économie.

Le camp Hariri s'enfonce dans la voie de la guerre civile; espérons que l'opposition continuera à contrecarrer ce plan dangereux.

Mini-zapping: mais où est Hassan Nasrallah?

J'apprécie l'aspect résolument partisan des médias libanais. Ça donne une diversité d'opinions à la télévision libanaise infiniment plus vivante que la prétendue pluralité garantie par le CSA en France.

Hier, pour le discours de Hassan Nasrallah, c'était caricatural. Pour s'autoproclamer défenseurs du camp de la «démocratie», sur Future TV et la LBC, la meilleure solution consiste à faire comme si les manifestations monstre et les discours des personnalités de l'opposition n'avaient aucun intérêt.

Al-Jazeera: diffusion intégrale du discours.

LBC (Europe), chaîne pro-gouvernementale: sketchs d'humour drôle.

Future TV, la chaîne Hariri: émission de divertissement façon Berlusconi.

Pour ceux qui croient que c'est simplement parce que ces chaînes ne perturbent jamais leur grille de programmes de divertissement, il n'y a rien de plus faux; LBC passe chaque semaine une interview d'au moins deux heures de Samir Geagea par May Chidiac, et Future TV fait la même chose avec Saad Hariri, qui par ailleurs anime un talk-show régulier avec Gisèle Khoury sur al-Arabiya. (Oups, les apparences sont trompeuses, on me chuchotte dans l'oreillette qu'il n'est pas co-présentateur avec Gisèle Khoury, officiellement il ne serait que l'invité de ces talk-shows.) J'exagère à peine.

La veille des manifestations, ces deux chaînes avaient passé intégralement la très insipide adresse au peuple libanais de Fouad Saniora, dénonçant les manœuvres de l'opposition, perturbant ainsi la soirée des amateurs de téléfilms égyptiens. Dès le lendemain, ces mêmes chaînes snobaient allègrement les manœuvres de l'opposition dénoncées la veille (ah si, LBC a montré des images de la première manifestation, mais quelques heures avant son démarrage officiel, ce qui permettait d'expliquer qu'il n'y avait pas grand monde...).

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Au passage, un grand bravo à la personne qui choisit les films pour Future TV (la chaîne de The Truth - l'exigence de la vérité). Il y a deux semaines, les téléspectateurs de la chaîne des Hariri ont pu voir, en VO sous-titrée, JFK, d'Oliver Stone, puis Les hommes du Président, d'Alan Pakula. Le premier explique que l'enquête officielle sur l'assassinat de Kennedy a été bidonnée par les autorités américaines. Le second explique que la Maison blanche a menti au peuple américain dans l'affaire du Watergate. Dans les deux cas, le groupe politique dénoncé est le groupe politique qui entoure le président Bush. Le télespectateur est prié de n'en tirer aucune conséquence quant à l'enquête sur la mort de Hariri-père.

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Je profite de ce petit billet pour demander aux lecteurs de bien vouloir me signaler, s'ils le trouvent en ligne, le texte du discours de Nasrallah. Parce que ça n'est encore pas avec Reuters qu'on va être bien informé (la dépêche de Reuters ce matin est scandaleusement nulle: aucune mention du fait que Nasrallah offre les postes de députés revenant au Hezbollah à ses «alliés», et minoration des accusations de trahison extrêmement graves qu'il a portées à l'encontre de membres du gouvernement). Libération: rien. Le Figaro: rien.

En attendant:
[Addition, le même jour, 13h30 heure de Paris] Ça ne s'invente pas. En ce moment, allocution de Fouad Saniora. Voici ce qui passe en ce moment sur les chaînes sus-citées:


06 décembre 2006

Haaretz trouve des traces de Polonium 210 en Israël... en 1957

Voici la deuxième partie d'un article publié aujourd'hui dans Haaretz par Akiva Eldar, le spécialiste des affaires diplomatiques de ce quotidien israélien. J'ai publié dans mon précédent billet une traduction de la première partie du même article, consacré à un sujet différent (la Ligne verte dans les manuels scolaires israéliens)

L'article est curieusement tourné, faisant explicitement un lien avec les événements londoniens tout au long du premier paragraphe, sans pourtant rien raconter d'autre qu'un accident radioactif survenu il y a cinquante ans en Israël. Le livre cité a été publié en janvier 2006 (d'après le site de son éditeur). C'est donc un article à classer dans ce genre très particulier: «Je n'ai rien dit, hein, mais je vous laisse y réfléchir».

On ne conseille pas aux citoyens britanniques qui sont entrés en contact avec l'ancien espion russe Alexandre Litvinenko de s'approcher de trop près du dernier livre de Michael Karpin, «La bombe dans le sous-sol: comment Israël est devenu une puissance nucléaire, et ce que cela signifie pour le Monde» (chez Simon and Schuster). D'un autre côté, le livre est recommandé aux citoyens israéliens préoccupés par l'ambiguïté du gouvernement sur le nucléaire et les dangers d'une fuite radioactive. Karpin révèle dans son livre que le Polonium 210, la substance radioactive utilisée pour tuer Litvinenko, a tué plusieurs scientifiques israéliens il y a quelques décennies. Des scientifiques de l'Institut Weizmann ont été exposés à cette dangereuse substance, que l'on a trouvé à un certain nombre d'endroits à Londres que l'espion décédé avait visités, ainsi que dans trois avions de British Airways qui avaient volé sur la ligne Moscou-Londres.

Selon le livre, une fuite a été découverte en 1957 dans un laboratoire de l'Institut Weizmann contrôlé par la Commission à l'énergie atomique (AEC). Des traces de Polonium 210 furent trouvées sur les mains du professeur Dror Sadeh, un physicien qui faisait des recherches sur les matériaux radioactifs, ainsi que sur plusieurs objets au domicile du professeur. L'AEC a géré l'accident dans le plus grand secret. Après une courte enquête, dont les résultats n'ont pas même été présentés aux personnels, le laboratoire a été scellé hermétiquement pour plusieurs mois.

Un mois après la fermeture du laboratoire, un étudiant en physique est mort d'une leucémie. Quelques années plus tard, le professeur Yehuda Wolfson, le supérieur direct de Sadeh, est lui aussi mort, et le professeur Amos de Shalit, le directeur du département, est mort d'un cancer en 1969 à l'âge de 43 ans.

Quand la fuite a été découverte, Sadeh était terriblement anxieux, mais les tests ont indiqué qu'il était en bonne santé. Mais selon le livre de Karpin, les tests n'ont pas concerné sa moelle. Sadeh et sa femme cachèrent les faits à leur famille et à leurs proches, jusqu'à sa mort prématurée. La cause de son décès était un cancer.

Les autorités israéliennes n'ont jamais reconnu que la fuite et les décès étaient liés, mais des proches de Sadeh ont confirmé que l'État avait pris ses responsabilités dans l'accident et donné une compensation à sa famille.