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30 novembre 2006

22, v'là les FL...


«22, v'là les FL...», si avec ça je ne reçois pas le prix du titre le plus tiré par les cheveux de toute la blogosphère, c'est à désespérer. Évidemment, en supposant que les Libanais francophones comprennent l'argot (ce qui en général n'est pas le cas), et que les lecteurs européens sachent de quoi je parle. Et il y a peu de chance qu'ils le soient, l'arrestation des miliciens des Forces libanaises (FL) se caractérisant par une totale absence de traitement de la part des médias occidentaux.

Je vous invite donc à lire mon billet d'avant-hier: l'armée libanaise a arrêté neuf membres des Forces libanaises particulièrement bien armés, et selon les médias de l'opposition, dans trois véhicules tout-terrain ayant la même plaque d'immatriculation, et disposant de cartes de la région où habite Michel Aoun, ainsi qu'une photo de lui. Le patron de la chaîne de télévision LBC, Pierre Daher, a ensuite affirmé qu'il s'agissait de ses propres services de protection.

C'est toujours la joie avec les médias: l'information est quasiment impossible à recouper. Tous les médias de l'opposition font leur Une sur l'évènement, mais il est difficile de connaitre le nombre de sources, de savoir si les informations communes sont des recoupements ou de simples reprises d'une même source... À l'inverse, le silence quasi total de la presse pro-gouvernementale sur le sujet est exemplaire; au mieux, elle publie des dénégations au sujet d'informations qu'elle n'a jamais publiées elle-même. Dénégations facilitées par l'absence totale de publication d'éléments factuels dans ces médias.

L'Orient-Le Jour n'a, ainsi, publié que la déclaration de Samir Geagea: «Geagea regrette “le niveau déplorable de certains médias”»:

Tout en regrettant de «devoir aller dans les détails en raison de la prostitution politique de certains», Samir Geagea a révélé que la personnalité non politique en question (le directeur général de la LBCI en l’occurence, Pierre Daher) était invitée, au même titre que la journaliste May Chidiac, à un dîner au domicile de Jacques Sarraf, ancien président de l’Association des industriels, à Rabieh. «Et c’était le plan du chemin qui mène à cette maison que les hommes avaient sur eux et non des plans de la maison du général Michel Aoun!» a précisé M. Geagea.
Le lecteur du même quotidien n'a cependant jamais lu les éléments factuels produits par les autres journaux. Le «plan» en question est donc bien mystérieux, mais on est heureux d'apprendre (avec un point d'exclamation) qu'il ne s'agit pas d'un plan «de la maison du général Michel Aoun». Pour les plaques d'immatriculation trafiquées, les armes non enregistrées, l'identité et le passé de ces hommes qui semblent ne pas vraiment avoir le profil de gardiens de supermarché, aucune mention dans L'Orient-Le Jour. Geagea nie un évènement qui n'a auparavant jamais été évoqué par L'Orient-Le Jour.

La version anglophone du site Web du Nahar fait à peine mieux: «Les gardes du corps du patron de la LBC, Pierre Daher, arrêtés pendant un entraînement au tir». Le lecteur aura cette fois droit à une vague mention des informations livrées par Al Manar:
Cependant, la chaîne de télévision du Hezbollah, Al-Manar, a rapidement rapporté, dans ses informations de lundi soir, que les hommes arrêtés appartenaient à la milice des Forces libanaises du leader anti-syrien Samir Geagea. Le groupe a nié cette accusation.

Al-Manar a pointé du doigt le parti des Forces libanaises, l'accusant de réarmer ses membres après le désarmement de toutes les milices libanaises après la guerre civile 1975-1990 qui s'est terminée avec les accords de Taëf.
Outre qu'il soit assez douteux qu'Al-Manar ajoute la mention «leader anti-syrien» lorsqu'il évoque Samir Geagea, le Nahar précise (des fois que le lecteur du Nahar ne serait pas au courant...):
Le Hezbollah est le seul parti du Liban qui refuse de déposer ses armes, affirmant que celles-ci sont destinées à «combattre l'ennemi israélien».
Courrier International, le seul média français a évoquer l'affaire, assure le service minimum:
Les incidents et les frictions se multiplient au Liban et les armes se font entendre à nouveau. Ainsi, mardi 28 novembre, «les forces de police libanaises ont procédé à l'arrestation de neuf personnes se revendiquant des Forces libanaises (FL), qui s'entraînaient au tir dans le village chrétien de Chahtoul, situé dans le Kesrouan, au centre du pays. Ces personnes étaient en possession de Jeep américaines, de revolvers et de mitrailleuses israéliennes et américaines de type M15, M4 et MP5, de matériels de communication sophistiqués et de cartes de plusieurs régions du Liban», rapporte Al-Quds Al-Arabi.

[... Un paragraphe rappelant succinctement l'histoire des Forces libanaises...] Geagea, chef du comité exécutif des Forces libanaises, «a démenti tout lien entre son parti et les personnes arrêtées. Ces dernières font partie des services de sécurité privés de la chaîne de télévision libanaise LBC», précise Al-Quds Al-Arabi.
Malgré ce compartimentage total des informations dérangeantes, l'affaire semble se développer. Encore une fois, il est particulièrement difficile d'obtenir des confirmations, et notamment de savoir si les journaux de l'opposition ont des «sources» différentes ou reproduisent tous la même information (initialement livrée par Al-Manar).

Aux dernières nouvelles, sur la base de témoignages des personnes arrêtées, un vaste coup de filet a eu lieu, et ce sont maintenant 22 personnes qui seraient sous les verrous (au premier abord, il me semblait qu'elles avaient seulement été interrogées, mais on parle bien d'arrestation dans la presse). Difficile d'en trouver la mention dans les médias pro-gouvernement, surtout en ligne. Cependant, on trouve la trace d'un article du Nahar cité par le Daily Star:
Le quotidien Nahar a rapporté mercredi que 22 membres des Forces libanaises avaient été arrêtées.
La formule du Daily Star est ambiguë: «22 LF personnel» indiquerait plutôt, me semble-t-il des personnes employées que de simples membres. (Sinon: «22», d'où le titre de ce billet – je vous avais prévenu, c'est tiré par les cheveux.)

Puisque le Daily Star confirme que le Nahar aurait évoqué l'arrestation de 22 personnes (quelle affreux dérapage; le Daily Star a fait ce qu'il parvient habituellement à ne jamais faire, et cela avec un professionnalisme qui force l'admiration: il a publié une information), consultons la presse de l'opposition.

Le site officiel du mouvement aouniste reproduit aujourd'hui la traduction en anglais d'un article du Diyar (quotidien proche du PSNS – la version originale en arabe est également présente sur le site du Tayyar):
L'enquête a conduit à des aveux impliquant nominativement plus de personnes que celles initialement arrêtées par les services de renseignement, ce qui a porté le nombre de personnes arrêtées à 22. De plus, selon des informations fournies par des sources sécuritaires à la chaîne de télévision Al Manar, des raids ont été menés par l'armée dans le village de Hasroun, situé près de la ville de Bcharreh dans le nord du Liban. De plus, des hélicoptères de l'armée libanaise ont patrouillé au-dessus de la région où les raids ont eu lieu et dans les régions avoisinantes, à la recherche d'autres camps d'entraînement.

[...]

Les sources ont confirmé qu'un mannequin avait été trouvé sur le siège d'un des véhicules, avec une carte relativement grande de la région de Rabieh, montrant également la région de Bikfayyah, et une photographie du député le général Michel Aoun. Pierre Daher a déclaré que la carte n'est rien d'autre qu'une invitation au centre de l'Association des industriels du Liban pour le mariage de la fille de Jacques Sarraf, puis il s'est contredit en affirmant que l'invitation était destinée à une cérémonie en l'honneur de May Chidiac. Les sources sécuritaires affirment que l'armée a découvert la carte sous un siège, alors qu'ils perquisitionnaient le véhicule.

[...]

Selon nos sources, le groupe s'entrainait à intercepter un convoi de voitures, le mannequin remplaçant une personnalité politique à son bord. La session d'entrainement consistait en un convoi de véhicules, tous peints de couleur identique, interceptés par d'autres voitures qui ensuite fuiraient la scène, ce qui ressemble dangereusement au mode opératoire de l'assassinat du ministre de l'industrie Pierre Gemayel.
Comme on peut le constater, les accusations les plus graves sont quasiment explicites dans la presse de l'opposition. Les Européens sont, jusqu'à présent, totalement ignorants de ce que pensent les gens qui vont défiler dans la rue les prochains jours, et quelles sont les informations (vraies ou fausses) qui les motivent.

Le Safir donnait hier quelques autres informations (confirmant l'arrestation de 22 personnes):
Parmi les personnes arrêtées: Samir Youssef Ebeid [... le Safir fournit ici une liste de 9 noms, signalant qu'Antoine Abi Hanna Hanna en est le chef...]. Selon les informations fournies par les forces sécuritaires, le groupe qui a été arrêté à Kesrwan pendant l'entraînement au tir disposait de quatre voitures, dont trois avaient le même numéro de plaque d'immatriculation: 3165/B.
L'article du Safir explique que les Forces libanaises se préparaient à occuper les positions du Mouvement patriotique libre de Michel Aoun. Repris sur Tayyar.org (le site officiel du mouvement aouniste, «tayyar» en arabe), l'article n'y est semble-t-il plus référencé depuis quelques heures.

Une brève de l'agence de presse syrienne SANA indique que Michel Aoun aurait déclaré au quotidien italien La Repubblica:
«La partie qui a assassiné Gemayel a voulu provoquer la guerre civile au Liban et a attaqué les bureaux du courant national libre, alors que l'armée a arrêté un groupe de personnes qui était apparemment en train de préparer un attentat contre ma personne.»
Le site de La Repubblica ne donnant pas accès à ses archives, je ne peux pas vérifier la véracité de cette citation, ni l'exactitude des termes utilisés à l'origine. Si un lecteur a accès aux archives de La Repubblica (ou a acheté le numéro d'hier, ou a emballé du poisson au marché avec un exemplaire), je serais très intéressé par une confirmation. Si Aoun a prononcé cette phrase, on comprendra que ce serait une accusation terriblement grave: il accuserait ainsi les Forces libanaises de Samir Geagea d'avoir assassiné Pierre Amine Gemayel et de préparer un attentat contre lui (honnêtement, je doute un peu qu'il ait dit cela, il doit certainement y avoir une compilation de plusieurs phrases en une seule citation; de plus la version anglaise de la dépêche de SANA ne reprend pas l'intégralité de ce extrait).

[Ajout du 1er décembre] On trouvera, sur le site français du mouvement aouniste, la reproduction d'un article de L'Orient-Le Jour, dans lequel Michel Aoun émet là encore des accusations implicites très graves:
Tout en exprimant son étonnement face aux prévisions qui sont faites sur ce plan, il a rappelé que le député Gebran Tuéni, assassiné le 12 décembre dernier, lui avait montré au cours d’une visite un télégramme de la commission d’enquête internationale sur l’assassinat de Rafic Hariri, dans lequel il est précisé qu’il est une cible. Le général Aoun s’est interrogé sur le point de savoir pourquoi ceux qui ont prédit les assassinats n’ont pas communiqué leurs informations aux autorités judiciaires et pourquoi le silence s’est fait autour du réseau du Mossad qui avait été démantelé il y a quelques mois au Liban et qui était responsable de cinq attentats dans le pays. «N’est-il pas temps que l’acte d’accusation dans cette affaire soit publié pour que les accusés soient déférés devant les tribunaux? Nous devons tout savoir. Il se peut qu’il y ait un réseau interne protégé qui commet tous ces crimes et qui accuse qui il veut (d’en être l’instigateur ou l’auteur) comme ils l’ont fait avec nous, notamment à travers des personnes irresponsables qui se comportent de façon irresponsable dans la rue», a-t-il dit.
Ce vendredi à 15 heures, tous les partis d'opposition appellent au démarrage des grèves et des manifestations.

Or, chacun craint déjà que des confrontations auront lieu entres manifestants de l'opposition et Forces libanaises (notamment). En réalité, des bagarres ont lieu quotidiennement entre aounistes, awmiyés (PSNS) et Forces libanaises depuis l'assassinat de Pierre Amine Gemayel. Il faut bien comprendre que toutes ces informations, vraies ou fausses, sont en train de modeler les comportements de ces foules, qui promettent d'être extrêmement importantes.

28 novembre 2006

Les forces spéciales de Samir Geagea sont de retour

Nayla Muawad, Walid Jumblat, Samir Geagea, Amine Gemayel et Saad Hariri

Une expression libanaise dit: «Il le tue, puis il marche à ses funérailles.»

Évidemment, les médias occidentaux ont trouvé la manifestation pour les funérailles de Pierre Amine Gemayel beaucoup plus belle que les manifestations de l'opposition. L'AFP décrivait ainsi l'événement:
Une foule énorme, sous une marée de drapeaux libanais rouges et blancs frappés du Cèdre vert, s'est rassemblée sur la grande Place des Martyrs, dans le centre de la capitale, tout près de la cathédrale Saint-Georges des Maronites où a été célébrée la cérémonie des obsèques.
Vincent Hervouët, sur LCI, opposait cette manifestation à celles du Hezbollah, dont la foule serait politiquement orientée.

Pourtant, les photos de l'événement montrent tout autre chose: des drapeaux des Phalanges, des drapeaux des Forces libanaises, et des drapeaux libanais. Sur certaines photos, on peine même à repérer les drapeaux libanais.


Il faudrait expliquer à Vincent Hervouët et au rédacteur de l'AFP que le drapeau blanc avec un cèdre ceinturé d'un cercle rouge est le drapeau des Forces libanaises du bon docteur Geagea. Quand à celui qui orne le cercueil, un cèdre stylisé en triangle, il s'agit de celui des Phalanges.

On a également épargné au public européen les informations selon lesquelles, le soir de l'assassinat, les bureaux du PSNS à Bikfaya ont été saccagés, l'ancien Premier ministre Salim Hoss a été menacé à son domicile dans la nuit, des ouvriers syriens ont été agressés et que depuis, des heurts impliquant systématiquement des membres des Forces libanaises se multiplient dans le pays (pour rappel, Pierre Amine Gemayel n'était pas député des Forces libanaises). On avait déjà oublié de nous signaler les provocations de membres des FL, après la messe à la mémoire de Bachir Gemayel, dans le sud de Beyrouth, ce qui avait entraîné une intervention musclée des jeunes d'Amal. Petits détails dont la futilité ne doit pas perturber l'hommage de la France au grand Pierre Amine Gemayel (aucun média ne nous a non plus expliqué que Pierre Amine Gemayel n'était parvenu à se faire élire dans le Metn que suite aux accords électoraux entre Michel Aoun et Michel Murr qui lui avaient laissé un poste vacant).

Jusqu'à cette information ahurissante, dont je fais à nouveau le pari que nos médias ne nous en parleront pas (puisque L'Orient-Le Jour le passe sous silence). Une recherche à l'instant me montre qu'il n'y a actuellement aucun article référencé sur le sujet sur Google News en français. L'événement fait pourtant la Une du Safir et du Akhbar. C'est absolument énorme, cela confirme beaucoup des soupçons et des rumeurs qui circulent au Liban, ça dramatise la situation à l'extrême, mais... on ne doit pas en parler.

Voici une traduction de l'article du Safir (à partir de la traduction anglaise effectuée par le Tayyar). Pour ceux qui débarquent, les «Forces libanaises» ne sont pas l'armée libanaise, il s'agissait d'une milice chrétienne d'extrême droite fondée par Bachir Gemayel, soutenue et armée par les Israéliens. Elles sont aujourd'hui officiellement devenues un simple parti politique dirigé par son ancien chef, Samir Geagea. Vincent Hervouët, à force de lire L'Orient-Le Jour, semble ignorer qu'une immense majorité de Libanais craignent les Forces libanaises comme le groupe le plus dangereux du Liban, et considèrent Samir Geagea comme un tueur psychopathe.
Des militaires libanais et des sources de forces de sécurité ont confirmé que, après avoir reçu des informations crédibles quant à «l'entraînement en plein jour de groupes militaires dans la région de Shahtoul dans le Ftouh Kesrwan», l'armée libanaise a envoyé un groupe de commandos et des services de renseignement militaire dans cette zone et y ont trouvé un groupe de neuf hommes s'entraînant au tir sur cibles, dotés d'armes personnelles. Les hommes ont été immédiatement arrêtés et des fusils «M16» et «AKF», des viseurs «MT5», et plusieurs pistolets GLOCK ont été saisis, en plus de matériel de communication extrêmement sophistiqué.

Les neufs hommes arrêtés ont avoué qu'ils faisaient partie de l'appareil sécuritaire des Forces libanaises (LF). L'armée a confisqué leurs trois véhicules tout-terrain, qui avaient tous le même numéro de plaque d'immatriculation et qui étaient peints en marron et noir. Les détenus et trois 4x4 ont été emmenés aux barraquements de l'armée à Sarba, où une carte de la zone de Rabieh a été trouvée dans un des véhicules, ainsi qu'une photographie d'une personnalité politique libanaise importante, et un mannequin placé sur un des sièges.

Six des personnes interpellées ont reconnu que, avant la dissolution des FL en 1994, elles faisaient partie de l'unité «El Sadem» [«le choc»], constituée à l'époque de plus de 40 combattants, trente d'entre eux ayant été à nouveau recrutés par les FL il y a environ un an. La plupart d'entre eux vivaient à l'étranger, et l'un d'eux est actuellement chef de la sécurité de Samir Geagea dans son fief des Cèdres.

L'élément remarquable de l'affaire est que, quatre heures après l'arrestation du groupe, personne ne s'était rendu compte des événéments, et dès le moment où la chaîne Al Manar l'a annoncée, une série de déclarations contradictoires ont été émises, et tentaient d'orienter l'affaire dans la direction de personnels de sécurité de la LBC [la chaîne de télévision initialement fondée par les Forces libanaises de Bachir Gemayel].

À la fin de l'enquête préliminaire, les services de renseignement de l'armée ont déféré les neufs détenus et livré le matériel confisqué au tribunal militaire sous la direction du juge Jean Fahed qui entamera les actions légales nécessaires.

Les FL ont immédiatement et «sans équivoque» nié les informations d'Al Manar et les ont qualifiées de «mensongères», tandis que le PDG de la LBC, Pierre Daher, a fait savoir à l'armée libanaise et aux autorités judiciaires que les détenus sont des membres de l'équipe de sécurité de la LBC et sont également à son service personnel, et qu'ils effectuaient leur entraînement hebdomadaire du lundi. Mais Daher n'a pas pu fournir d'explications convaincantes quant au délai avant la découverte de l'absence du groupe, les armes non enregistrées, les sessions d'entraînement, la raison des documents trouvés dans les véhicules, et le problème des plaques d'immatriculations identiques pour les trois véhicules saisis, etc.

Le conseiller-média de Geagea, Antoinette Geagea, a par la suite affirmé que les détenus faisaient partie du service de sécurité de Daher, tandis que le département-média des FL a émis une déclaration expliquant clairement que les FL sont un parti politique qui obéit aux lois et qui pense que les armes devraient uniquement être aux mains de l'État libanais et de personne d'autre.

Ces derniers jours, des rumeurs ont circulé quant au retour au Liban d'un ancien commandant des FL, Ghassan Touma, et ses déplacements dans certaines zones du nord du pays. Mais les sources militaires libanaises qui suivent cette histoire nient ces rapports, indiquant qu'ils sont faux et totalement fabriqués.
Al-Akhbar donne d'autres précisions. Pour les noms des armes, le lecteur voudra bien m'excuser, je ne suis pas un spécialiste, et c'est translitéré depuis l'arabe.
La source [militaire] a indiqué qu'il avait été trouvé, avec ce groupe, des armes sophistiquées dont des pistolets de type Klolk, des mitraillettes israéliennes Uzi, des pistolets américains de type M15, M4, MP5 spécialisés dans les tirs de précision, un système de communication sans fil très sophistiqué et des cartes de différentes zones du Liban, dont la zone de Rabieh, montrant les emplacements des maisons du ministre Elias Murr et du général Michel Aoun, ainsi que des photographies de sa maison. Il est apparu que le groupe était dirigé par une personne nommée Antoine Abi Hanna Hanna; le groupe de Hanna inclut des éléments ayant précédemment travaillé pour l'unité «le choc» des Forces libanaises pendant la guerre civile.
Je me permets de faire remarquer que l'arrestation a été effectuée par l'armée libanaise, dont le commandant en chef reste Émile Lahoud, et non par les FSI du ministre de l'intérieur par intérim, Ahmed Fatfat; lesquelles FSI avaient justement été accusées, il y a quelques jours, par Michel Aoun, d'être un organe politique au service du 14 Mars.

Évidemment, si vous faites confiance aux médias occidentaux pour vous informer, vous n'avez jamais non plus entendu parler du réseau terroriste du Mossad démantelé au Liban en juin 2006. Vous n'avez pas non plus entendu parler des silencieux à destination de l'Ambassade des États-Unis à Beyrouth saisies par les autorités libanaises (la fiche Wikipedia sur l'assassinat de Gemayel indique que les tueurs ont utilisé des silencieux; celui qui a placé ce détail anodin sur Wikipedia avait évidemment une petite idée derrière la tête).

Au début des années 90, les forces spéciales des Forces libanaises faisaient leur publicité à la télévision.

Je ne trouve toujours pas de dépêche AFP sur l'arrestation de cette cellule de «forces spéciales» des Forces libanaises; en revanche, la même AFP parvient à évoquer les heurts entre aounistes et phalangistes sans penser que l'arrestation d'un groupe suspecté de préparer l'assassinat de Michel Aoun avait certainement un peu échauffé les esprits... (classiquement, quand on cache les informations qui permettraient de comprendre, on préfère adopter l'axe ethno-religieux, en parlant de «tensions interchrétiennes»).

Ce soir, C dans l'Air, d'un niveau encore plus bas que d'habitude, parvient à consacrer toute son émission (avec Marwan Hamadé et Antoine Sfeir) au Liban et aux assassinats sans jamais évoquer cette «bombe» médiatique qui vient de survenir: la découverte d'un groupe d'anciens spécialistes des actions spéciales des FL réintégrés au service de Geagea en train de s'entraîner au tir avec des armes de précision. Parions que, ce soir, Vincent Hervouët parviendra tout aussi élégamment à éviter le sujet.

J'insiste: c'est un scandale énorme. Les rumeurs et les soupçons autour de cellules des Forces libanaises sont permanentes au Liban depuis la libération de Samir Geagea (entraînement en Irak, entraînement dans le fief de Geagea, armement par les Américains...) Mais c'est, à ma connaissance, la première preuve tangible de leur existence révélée par la presse.

Une enquête internationale sur les activités occultes des Forces libanaises et l'interpellation de Samir Geagea ne sont pas à l'ordre du jour.

15 novembre 2006

«Former Republic of Lebanon»

Cela fait des mois que la rumeur circule au Liban: le 14 Mars voudrait imposer la fédéralisation du Liban (ce qui signifie, pour tout opposant au fédéralisme libanais: (1) pour commencer, légitimer et installer de manière durable le pouvoir absolu des chefs claniques et des anciens miliciens sur leurs «territoires», (2) puis permettre à moyen terme la partition du pays).


Aujourd'hui, le coup de force du gouvernement Saniora est vu par un certain nombre de Libanais comme la première étape vers l'imposition du fédéralisme. Selon L'Orient-Le Jour d'aujourd'hui:

L’ancien Premier ministre [Omar Karamé] a de plus ajouté qu’il y avait «des murmures laissant présager que, dès la semaine prochaine, certaines parties vont commencer à proposer le fédéralisme et c’est ce dont nous avions peur.»
Commentant la démission des ministres Hezbollah, Charles Ayoub a titré son éditorial du Dyiar de ce week-end: «Le gouvernement va vers le fédéralisme et refuse le gouvernement d'union nationale».

Pour ces opposants au 14 Mars, il est évident que ce «fédéralisme» renvoit, en réalité, au vieux plan émis par Odel Yinon, un ancien fonctionnaire des Affaires étrangères israéliens en 1982 dans la revue Kivounim:
La partition du Liban en cinq provinces (…) préfigure ce qui se passera dans l’ensemble du monde arabe. L’éclatement de la Syrie et de l’Irak en régions déterminées sur la base de critères ethniques ou religieux, doit être, à long terme, un but prioritaire pour Israël, la première étape étant la destruction de la puissance militaire de ces États.
Pour ceux qui ne l'ont pas encore lu, j'engage à relire mon billet «Coup d'État au Liban», publié le 19 juillet. Ceux qui l'ont déjà lu à l'époque peuvent le consulter à nouveau, j'y ai depuis ajouté des extraits de livres et d'articles supplémentaires complétant l'exposé.

On peut bien sûr considérer ces accusations de «fédéralisme» comme relevant du procès d'intention, surtout tant que l'adversaire politique n'a pas encore explicité son projet.

Et, si l'on prend le sujet du fédéralisme, il faut bien reconnaître qu'on n'en trouvait pas trace dans L'Orient Le Jour (devenu l'organe de propagande du mouvement 14 Mars et des Forces libanaises) avant la semaine dernière.

Seule mention: le 18 août 2005, Émile Khoury y spéculait sur les termes d'une rencontre entre Émile Lahoud et le patriarche maronite Nasrallah Sfeir. Il concluait:
Les sources citées croient enfin savoir que le patriarche et le président se sont encore une fois montrés d’accord pour estimer qu’il faut à tout prix promouvoir, dans ce pays, le langage de la modération. En luttant contre les pulsions confessionnalistes et en restaurant un dialogue constructif, unificateur, entre les Libanais. Ce qui reste d’ailleurs un moyen utile pour dissuader des parties qui recourent à des attentats terroristes aux fins, notamment, d’attiser les dissensions internes. Et aussi, évidemment, un bon moyen de couper court aux projets partitionnistes ou fédéralistes de certains.
On voit qu'il y a moins d'un an, L'Orient-Le Jour associait, dans ses commentaires, le fédéralisme et le partitionnisme aux dissensions internes, aux attentats terroristes et aux pulsions confessionnalistes; il leur oppose le langage de la modération et le dialogue constructif et unificateur.

Le Daily Star (quotidien libanais anglophone distribué avec l'International Herald Tribune) indiquait également que «Sfeir répète son rejet d'un système fédéral».

Mais les temps changent. On peut aussi penser que, tout simplement, les masques sont tombés.

Pour se faire une idée de l'évolution du discours des «14 Mars», on peut noter à titre d'exemple que, dans ce même numéro de L'Orient-Le Jour de l'année dernière, le président de la Ligue maronite et PDG de L'Orient-Le Jour expliquait (après le retrait syrien):
Le président de la Ligue maronite, Michel Eddé, a estimé hier que «la résolution 1559 du Conseil de sécurité avait été adoptée à la suite de pressions israéliennes, ce que les Israéliens ont eux-mêmes reconnu, mais qu’elle découle également des erreurs commises par les frères syriens, ce que le président Bachar el-Assad a également reconnu».

«Deux clauses importantes de la résolution ont été réalisées, à savoir le retrait syrien et les élections. Il reste la question des armes de la Résistance, qui ne saurait être réglée par la force par des parties libanaises. Les Libanais se sont entendus sur la nécessité de rejeter le désarmement de la Résistance par la force», a indiqué M. Eddé, dans le cadre d’un débat avec des jeunes. L’ancien ministre de la Culture a indiqué que «les Libanais et les Syriens avaient tous commis des erreurs», mais que «si la Syrie s’effondre, ce sera le dernier bastion de la lutte contre les plans sionistes qui tombera».
Essayez d'imaginer de telles affirmations, désormais, dans le même quotidien! Or, j'insiste, c'étaient là les paroles du PDG de ce journal, pas celles d'Omar Karamé ou de Charles Ayoub.

Le temps passe, une soldatesque hostile perturbe les déambulations touristiques au pays du Cèdre, et les masques sont tombés. Petit à petit, la rhétorique gouvernementale s'est durcie, jusqu'à épouser les pires suspicions que, un an plus tôt, seuls des «pro-syriens» paranoïaques osaient écrire.

Le 12 octobre 2006, Libanoscopie titre un billet: «L'Irak vote pour le fédéralisme, un exemple pour le Liban». Oui, l'évolution politique récente en Irak est présentée comme «un exemple pour le Liban». Tremblez braves gens:
Le Liban vit dans la même conjoncture des différences de culture qui ne permet jusqu'à l’heure aucune solution salutaire dans son système actuel. L’unité nationale qui peine à trouver des dénominateurs communs, face à la divergence des croyances et des traditions, semble vouée à l’échec dans la conjoncture actuelle.

Les propositions de trouver un terrain d’entente sur l’acceptation des différences constituant la mosaïque libanaise sont catégoriquement rejetées. Le secrétaire général du Hezbollah Hassan Nasrallah considère que toute tentative d’avancer une proposition dans le sens du fédéralisme est considéré comme acte de trahison.

Pourtant plusieurs composantes de la population libanaise pensent qu’un état composé, fédéral soit il, régional ou autonomie des régions, serait la solution idéal pour un Liban multiculturel.

Le dialogue entamé au Liban entre les diverses parties n’a jamais osé discuter de cette alternative. Mais on a assisté à plusieurs Talk-show sur les télévisions nationales de points de vues relevant cette nouvelle réalité.

Avec l’adoption de ce système en Irak, le Liban aura alors la possibilité de scruter un autre système que celui de l’état unitaire qui a prouvé son échec.
L'annonce «officielle» d'une campagne pour le fédéralisme n'est cependant arrivée que la semaine dernière. Le 6 novembre 2006, L'Orient-Le Jour, sous la plume de «M.T.» (Michel Touma, éditorialiste politique du quotidien, Secrétaire général de la rédaction), présente avec enthousiasme un «nouveau mouvement politique» qui fait la promotion du fédéralisme, «Helf loubnanouna». Je reproduis l'article dans son intégralité, parce qu'il n'est rien moins que sidérant:
Il s’agit évidemment d’une pure coïncidence. Mais le hasard fait bien les choses. Au moment où les ténors de la vie politique se débattent dangereusement dans des conflits inextricables, et à la veille de la relance, aujourd’hui, du dialogue interne à l’ombre d’une crise aiguë qui illustre les limites de la démocratie consensuelle censée caractériser le système constitutionnel en place, un rassemblement de jeunes et d’universitaires, mais aussi des moins jeunes, ont lancé hier un nouveau mouvement politique qui se positionne, dans son approche, aux antipodes des courants traditionnels : «Helf loubnanouna».

Objectif fixé: à partir d’une réflexion profonde sur les causes structurelles et sociologiques des différentes épreuves subies par le peuple libanais depuis la proclamation du Grand Liban, en 1920, et jusqu’à la tourmente actuelle, proposer un nouveau système politique fondé sur la reconnaissance et le respect du droit à la différence. En clair, dépasser la politique de l’autruche dans laquelle s’est cantonnée la classe politique depuis 1943 pour enfin élaborer une Constitution qui reconnaisse et gère le pluralisme libanais en accordant aux diverses composantes socio-communautaires les moyens de s’épanouir, de bénéficier d’une «totale maîtrise de leurs valeurs propres et de leur mode de vie». Ce respect de l’autre dans ses spécificités devant s’exprimer non pas dans un climat agressif et conflictuel ou de rejet de l’autre, mais plutôt dans un esprit positif et de recherche de l’enrichissement mutuel.

C’est au cours d’un meeting organisé hier au Collège des Saints-Cœurs de Sioufi, à Achrafieh, en présence d’un millier de personnes, que les principes fondamentaux et l’approche de ce nouveau mouvement ont été exposés. À l’ombre d’une organisation minutieuse reflétant un professionnalisme certain dans l’action, les slogans inscrits sur les banderoles aux couleurs du mouvement (bleu marine et rouge) ont illustré, d’emblée, les leitmotiv du jeune courant: modernisme; droit à la différence; pluralisme; transparence; liberté; démocratie.

Premier à prendre la parole, le président exécutif de la Fondation des droits de l’homme et des droits humanitaires (FDHDH), Waël Kheir, a commencé par relever la «schizophrénie aiguë» dont semblent atteints les Libanais sur le plan politique, soulignant, à l’appui de son point de vue, que ceux qui font l’éloge du système politique centralisé et unificateur se plaisent dans le même temps à se retrouver dans leur quartier ou village confessionnellement homogène. Et M. Kheir de donner un autre exemple significatif de cette schizophrénie politique: lors du dernier congrès général du Parti communiste libanais, a-t-il indiqué, la seule évocation de l’imam Khomeyni a provoqué un tonnerre d’applaudissements, les militants présents oubliant sans doute que le régime de la République islamique en Iran avait réprimé le Parti communiste iranien et instauré le régime de la «wilayat el-fakih» accordant un pouvoir politique absolu aux dignitaires religieux. Soulignant que cette schizophrénie se manifeste également au niveau du clivage existant entre la structure du système politique du Liban et les réalités sur le terrain, M. Kheir a conclu en indiquant que la plupart des experts en sociologie politique admettent aujourd’hui que le meilleur système envisageable pour gérer une société pluraliste est le fédéralisme.

M. Kheir a été suivi à la tribune de M. Albert Kostanian, l’un des douze membres du bureau central du nouveau mouvement, qui a évoqué le ras-le-bol des jeunes à l’égard de la politique traditionnelle et des pratiques politiciennes. Dénonçant le fait que l’ambition des jeunes Libanais soit aujourd’hui réduite à se trouver un emploi à Dubaï, M. Kostanian a déploré que nul n’ait encore songé à engager une réflexion sur les causes des différents conflits qui ont ensanglanté le pays au fil des ans, sur les raisons pour lesquelles le Printemps de Beyrouth n’a duré que quelques jours ou sur les causes de l’occupation syrienne et de la dernière guerre de juillet. «Mais nous sommes là aujourd’hui parce que nous ne voulons pas nous contenter de nous plaindre, nous voulons faire revivre l’espoir et nous avons décidé d’agir, de proposer quelque chose de nouveau et d’édifier ensemble la 3e République», a conclu M. Kostanian.

Troisième à prendre la parole, M. Sami Gemayel, l’un des six fondateurs et l’un des membres du bureau central, a commencé par relever que la plupart des jeunes membres du mouvement avaient milité dans les rangs du CPL, des Forces libanaises, du PNL et des Kataëb, en sus de nombreux indépendants. Évoquant les différentes crises qui ont secoué le pays depuis 1920, M. Gemayel a souligné que le slogan de l’intégration nationale s’est avéré être une supercherie qui s’est soldée par des échecs successifs du fait qu’elle visait à occulter le pluralisme libanais. «Il est temps d’accepter l’autre dans ses spécificités propres, a déclaré M. Gemayel. Nous devons permettre au fils de Tripoli, de Jounieh, de la banlieue sud ou de Tyr de vivre comme bon lui semble. Il faut cesser de vouloir imposer ses valeurs à l’autre et à chercher à éliminer l’autre.»

Et M. Gemayel d’ajouter : «Appelez cela comme vous le voudrez, régionalisme, décentralisation politique ou fédéralisme. Nous devons avoir le courage d’accepter nos différences telles qu’elles se manifestent. Nous devons reconnaître qu’il existe des différences dans la perception des événements et de l’histoire. Nous avons décidé d’agir pour construire l’avenir. Notre projet est destiné à tout le Liban et à tous les Libanais. C’est dans la mesure où chaque collectivité acceptera l’autre qu’il sera possible d’engager un véritable dialogue rationnel.» Et M. Gemayel de dénoncer en outre le principe de la «démocratie consensuelle, une notion erronée qui a eu pour effet de bloquer le système politique et de pousser les fractions antagonistes à recourir systématiquement à la rue, au lieu des institutions, pour trancher les conflits».

Le débat est ainsi lancé. Le nouveau courant proclamé hier a fixé haut la barre et il a, à cet égard, le mérite de sortir des sentiers battus et de proposer une alternative sérieuse et rationnelle pour redonner enfin espoir à la jeunesse libanaise.
Le passage sur Sami Gemayel et les anciens du CPL, des Forces libanaises, du PNL et des Kataëb indique qu'il s'agit d'un mouvement purement chrétien: les 4 partis cités sont des partis chrétiens, et Sami Gemayel est, sauf erreur de ma part, l'un des deux fils d'Amine Gemayel. On est en territoire connu...

Selon le principe démocratique désormais adopté par L'Orient-Le Jour, il est important de noter qu'une bande d'ultra-minoritaires issus d'une unique communauté, ayant réuni (selon cet article enthousiaste), «un millier de personnes» à Achrafieh, «a fixé haut la barre».

Michel Touma est heureux de souligner la déclaration d'Albert Kostanian, selon laquelle aucune réflexion sur les causes des différents conflits n'a encore été engagée, ce qui révèle que le mouvement s'adresse essentiellement aux citoyens qui n'ont jamais ouvert un seul livre de toute leur vie. [Principe médiatique néocon: si la réalité est gênante, il suffit d'inventer une autre réalité; les journaux servent à cela.]


L'année dernière, L'Orient-Le Jour associait le fédéralisme aux dissensions internes, aux attentats terroristes et aux pulsions confessionnalistes; aujourd'hui, selon le même quotidien:
À l’ombre d’une organisation minutieuse reflétant un professionnalisme certain dans l’action, les slogans inscrits sur les banderoles aux couleurs du mouvement (bleu marine et rouge) ont illustré, d’emblée, les leitmotiv du jeune courant: modernisme; droit à la différence; pluralisme; transparence; liberté; démocratie.
La visite du site des Loubnanounais confirmera cette fâcheuse impression; en fait de «nouvelle façon» de faire de la politique ou de «jeune courant», on est face à l'émanation d'une pensée archétypale qui n'a rigoureusement rien de nouveau.

Nos médias adoptent avec une facilité déconcertante la vision Hariri/néocons de la politique libanaise, et ressortent l'ineptie d'une opposition entre «pro-» et «anti-syriens», le mythe d'intérêts irano-syriens en train de conspirer pour faire entrer Michel Aoun dans le gouvernement libanais, et une hypothétique passion du même Aoun contre un tribunal pénal sur Hariri, dont aucun journaliste ne semble interroger le caractère d'urgence absolue, alors que le dernier rapport Brammertz était récemment présenté ainsi par l'AP (qui n'est pas franchement l'agence officielle syrienne):
Contrairement à son prédécesseur l'Allemand Detlev Mehlis, Serge Brammertz s'abstient de toute théorie ou spéculation sur les commanditaires ou les responsabilités. Ses rapports se révèlent être surtout des documents techniques, alors que ceux de M. Mehlis échafaudaient des hypothèses complexes sur l'implication présumée des services de renseignement syriens et libanais.
Pour ceux qui n'adhèrent pas à la propagande Hariri, le battage médiatique ferait plutôt sourire, si l'affaire n'était beaucoup plus grave. Là où une certaine bourgeoisie chrétienne et sunnite rêve, depuis des décennies, d'une «Suisse du Moyen-Orient», d'autres se souviennent que la dernière grande fédération basée sur des critères ethno-religieux pour laquelle la communauté internationale s'est passionnée, c'était la Yougoslavie. Pardon, «ex»-Yougoslavie.

12 novembre 2006

Qui a encore peur du gendarme du monde?

Je sais pas vous, mais moi je trouve qu'il y a comme qui dirait du relâchement, ces derniers temps. Genre ça prendrait ses aises, dans le petit monde de la politique internationale. Le gendarme du monde vient de se voter un nouveau Congrès et un nouveau Sénat, chacun semble pressentir la paralysie, pendant quelques temps, de la machine de guerre amerlocaine. Le gros bâton du gendarme est cassé; du coup, on s'autorise...

Angry Arab avait, d'un de ses perfides sarcasmes, rappelé vendredi quel était devenu l'enjeu pour certains Libanais au lendemain des élections:

Parmi tous ceux qui sont peinés par les résultats des élections du congrès des États-Unis, personne n'est plus affligé que les néo-conservateurs arabes, en particulier le mouvement du 14 Mars au Liban.
Samedi, Ibn Kafka rappelait que les jours de John Bolton à l'ONU sont comptés:
Nommé par le président, il [John Bolton] n'avait pu être confirmé, comme l'exige la Constitution étatsunienne, par le Sénat, alors à majorité républicaine. Il ne risque pas de l'être maintenant que ce Sénat deviendra démocrate.
On note qu'un sénateur républicain, important pour ce processus, a rejoint les démocrates dans leur opposition à la nomination de Bolton.

Toujours samedi, le quotidien libanais Al-Akhbar publiait un article indiquant que, au lendemain de la défaite de Bush, la diplomatie française semblait vouloir reprendre un peu d'indépendance. En effet, la France serait selon Al-Akhbar beaucoup plus ouverte à l'ensemble des parties en présence au Liban.

Samedi soir, les partis chiites Amal et Hezbollah annoncent leur démission du gouvernement libanais. Nabih Berri, chef d'Amal, président de l'assemblée nationale libanaise, initiateur du «dialogue national», s'envole pour l'Iran (non sans avoir auparavant rencontré Hassan Nasrallah, selon Charles Ayoub du Diyar). Ces négociations autour de la recomposition du gouvernement libanais, expliquées ici dans un précédent billet («La semaine de tous les dangers»), étaient totalement au point mort, le gouvernement du 14 Mars pouvant se prévaloir de la déclaration menaçante de la Maison blanche selon laquelle le «renversement» du gouvernement Saniora serait une violation des résolutions 1559, 1680 et 1701.

La Maison blanche isolée, la menace perd de sa prégnance sur les débats libanais, et l'opposition tente sa chance.

Au passage, nouvelle erreur de calcul de nos médias, qui reprennent tous le chiffre de cinq ministres démissionnaires (il en faudrait plus de huit pour faire sauter le gouvernement – on pourra consulter la Constitution libanaise sur le site du Conseil constitutionnel, voir en particulier l'article 69). Il se trouve que l'actuel ministre de l'Intérieur, Ahmad Fatfat, n'a que le titre de ministre par intérim – statut intéressant au regard de la constitution libanaise – en remplacement de Hassan Sabeh, titulaire du poste mais démissionnaire après l'incendie de l'ambassade danoise (affaire des caricatures). Ce qui nous fait donc déjà six ministres démissionnaires.

Ça devient drôlement culotté de la part de Nasrallah: rendez-vous compte, le Hezbollah défie désormais l'Amérique en... démissionnant. (Au même moment, le Premier ministre palestinien, membre du Hamas, Ismaïl Haniyeh, se propose aussi de démissionner. Je suggère que la démission soit désormais considérée comme un acte terroriste.)

Fouad Saniora annonce qu'il refuse la démission des ministres Hezbollah et Amal. Le lecteur curieux sera étonné d'apprendre qu'il n'a toujours pas accepté la démission de Hassan Sabeh, pourtant posée en février 2006. C'est donc désormais un schéma mental récurrent.


Ce dimanche, c'est le président Lahoud qui pousse le bouchon en dehors des limites tolérables par les États-Unis. Il déclare carrément que le gouvernement Saniora n'a plus de légitimité constitutionnelle[1]:
Selon le président, toute réunion du cabinet des ministres est désormais anticonstitutionnelle.
Ça ne plaisante pas. Comme Saniora prétend adopter la création du tribunal sur la mort de Hariri dès lundi, la situation est plus que tendue. (Ça devient ironique: en refusant Michel Aoun dans son gouvernement, il s'est privé de sa précieuse expérience en matière de coup constitutionnel...)

On pourrait avoir une lecture de l'évolution en Palestine selon une logique similaire. On pourrait ainsi considérer que, ce soir, les larbins arabes de Washington se rebiffent: «Les pays arabes lèvent leur blocus financier contre les Palestiniens»:
Les pays arabes ont décidé dimanche de se désolidariser du blocus financier international imposé aux Palestiniens en réponse au veto opposé par les États-Unis à un projet de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui condamnait Israël.

«Il n'y aura plus de blocus international», a résumé le ministre bahreini des Affaires étrangères Cheikh Khalid bin Ahmed Al Khalifa.
Encore au même moment (décidément, quelle soirée vertigineuse!), il semblerait que Mahmoud Abbas (soutenu, financé et armé par les États-Unis) vienne de s'accorder avec le Hamas (ni soutenu, ni financé, ni armé par les États-Unis) sur le nom du futur Premier ministre palestinien. Cela pourrait donc être vu comme un geste courageux vers l'unité nationale, le Fatah se joignant au Hamas.

Mais on pourrait tout aussi bien penser que cet accord marque la défaite du Hamas (les résultats de l'élection démocratique sont annulés par le blocus et par l'agression israélienne), défaite récompensée par le levée de l'embargo, ce qui a toujours été le plan annoncé depuis la victoire électorale du Hamas.

Manquerait plus que l'Union européenne prenne une décision indépendante et courageuse en matière de politique internationale, ou que les candidats français à la présidentielle de 2007 prennent position contre les agressions israéliennes.

Mais il ne faut pas trop rêver non plus.

[Additif lundi, 9 heures] Dépêche de l'AP: «Démission d'un sixième ministre». Encore une fois: le compte est donc de sept ministres démissionnaires.

[1] Selon L'Orient Le Jour, voici les motifs invoqués par le président Lahoud:
Dans sa prise de position, Émile Lahoud s’est appuyé sur le paragraphe «j» du préambule au texte de la Constitution qui prévoit que «tout pouvoir qui viole le pacte de coexistence devient illégitime», sur le paragraphe «i» («la répartition de la population sur base de n’importe quelle appartenance que ce soit est prohibée; de même que le morcellement, le partage et l’implantation»), sur le paragraphe «d» («le peuple est la source des pouvoirs. Il détient la souveraineté qu’il exerce par le moyen des institutions constitutionnelles») et sur l’article 95C qui stipule que «les communautés seront équitablement représentées dans la formation du ministère».

11 novembre 2006

Les ventes d'armes israéliennes selon IsraelValley

Billet étonnant sur le site IsraelValley, le site de la Chambre de Commerce France-Iraël (site qui indique que «Le Peuple d'Israël [est] formé de quelques 6 millions d'Israéliens et de 6 millions de Juifs dans le reste du monde» et qui souligne qu'un boycott des produits israéliens nous ramènerait au «Moyen-Âge en termes d'espérance de vie, de médicaments, d'ordinateurs ou de téléphones portables»).

Le titre de ce billet est assez énigmatique: «Le commerce des armes d'Israël: la France facilite involontairement la vie des exportations d'Israël».

L'article rappelle l'importance du marché de ventes d'armes (45 à 55 milliards d'euros par an; je suppose qu'il s'agit du marché «officiel», puisqu'il s'agit d'un chiffre attribué au ministère de la Défense), puis souligne que les États-Unis, la Grande-Bretagne et la France représentent «plus des trois quarts» des exportations.

Le titre étonnant du billet est explicité dans deux passages:

Les israéliens bénéficient du “non” de la France pour certaines exportations car souvent les israéliens fabriquent des armes que la France ne peut pas vendre en raison de la loi.
Tiens donc? De quelle «loi» s'agit-il? De la loi française, des conventions internationales, d'accords bilatéraux entre la France et d'autres pays? Quelles sont ces «lois» qui limitent les ventes françaises et que les Israéliens, eux, s'autorisent à contourner?

Le dernier paragraphe indique:
L’exportation de matériels de guerre est interdite sans l’autorisation expresse de l’Etat français: en 2005, la Commission interministérielle concernée a refusé 76 autorisations, se conformant à des engagements internationaux.
Encore une fois: quels sont ces «engagements internationaux» que la France s'interdit de violer et qui n'embarrassent pas les Israéliens?

La Chambre de commerce France-Israël serait-elle en train de se vanter de ce que, d'ordinaire, on voudrait éviter d'ébruiter, c'est-à-dire qu'un des intérêts stratégiques d'Israël est de permettre de contourner les lois internationales et le contrôle du Congrès américain sur son propre exécutif: par exemple pour soutenir des campagnes de terreur massives en Amérique centrale et coutourner les embargos frappant l'Afrique du Sud, l'Iran ou la Rhodésie. Se vante-t-on des ventes à la Colombie, le Guatémala, l'Uruguay, l'Argentine, le Chili, la Birmanie, Taïwan, le Zaïre, le Libéria, le Congo, la Sierra Léone?

La question, en effet, mériterait une réponse: quels sont les engagements internationaux de la France qui, dans 76 occasions en 2005, ont justifié le refus de la Commission interministérielle, qu'Israël aurait tout loisir de ne pas appliquer. Quelles sont ces situations où les intérêts stratégiques de la France et d'Israël sont si radicalement différents? Pourquoi mettre en avant la facilitation involontaire apportée par les Français, sans évoquer toutes les limitations du Congrès américain que l'implication d'Israël ont permis de contourner?

Au passage, faut-il comprendre que les ventes d'armes françaises sont plus morales que les ventes d'armes israéliennes? Non, je plaisante.

09 novembre 2006

Robert Gates, «équilibré et solide», mais un peu barbouze sur les bords

J'imagine la panique, hier après-midi, dans les rédactions: «Robert Gates remplace Donald Rumsfeld». Le journaliste qui couvre les élections américaines est effondré: «Robert qui?» Sauf que pour le titulaire du desk americain, ça fait un peu débile de ne pas connaître le nouveau Secrétaire à la Défense. Il se tourne alors vers son stagiaire (32 ans, Bac+14, agrégé de sciences politiques, agrégé de philosophie, maître de conférence en sociologie) et lui lâche:
– «Bon, mission de confiance, je te charge de me faire l'encadré sur “Robert Gates”, on boucle dans une heure, je te laisse trente minutes.»
– «Robert qui?»
– «Ben Robert Gates voyons! Pfff, pas étonnant que tu sois encore stagiaire, toi!»

Alors le stagiaire recopie ce qui lui tombe sous la main. C'est-à-dire, en gros, la fiche fournie par l'ambassade des États-Unis. C'est de l'info coco, et de la bonne.

Dessin publié sur le site d'Al-Akhbar, 11 novembre 2006, attribué à Peter Bismistrovic, Autriche.

Le Figaro nous présente donc un gars qui a servi les Républicains et les Démocrates, un homme qui permettra d'arriver à des compromis:
Détail important : au cours de sa carrière Bob Gates a servi 6 présidents américains… des deux camps. Alors que la démocrate Nancy Pelosi, qui devrait devenir présidente de la Chambre des représentants, a appelé à «un changement de direction sur l'Irak», Bob Gates devrait permettre à cette dernière et à George Bush de trouver un compromis sur la future stratégie.
Dans Le Monde, un encadré rien que pour lui, titré «Robert Gates, “un leader équilibré et solide”». Le seul jugement de valeur étant le paragraphe final:
“C'est un leader équilibré et solide qui peut aider à faire les ajustements nécessaires dans notre approche pour faire face à nos défis actuels”, a déclaré George W. Bush en le présentant mercredi.
Oui, la seule opinion fournie est celle de Georges W. Bush. Le lecteur est ainsi drôlement bien informé.

Chez RFI, c'est carrément «la main tendue de Bush»:
La première concession marquante est venue dès hier: la démission du secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld annoncée lors de la conférence de presse présidentielle. Nommé pour prendre sa suite: Robert Gates, un ancien directeur de la CIA, proche de Bush père, et connu pour son pragmatisme en matière de politique étrangère.
Évidemment, à la télé, même son de cloche: un gars équilibré, presque consensuel, un pragmatique pas idéologue pour deux sous, un bon tâcheron du renseignement qui a gravi un à un les échelons à la force de ses petites mains, bref le prolo quasiment sympathique. Même les Démocrates devraient l'adorer.

Il est assez incroyable de voir l'ensemble de nos médias oublier, en moins de quelques heures, que les néo-conservateurs sont systématiquement autoritaires, incroyablement mesquins, infiniment revanchards et qu'ils ne nomment aux postes clés que des extrémistes issus de leurs rangs.

Malgré la neutralité bienveillante de notre presse, il y a pourtant une dépêche de l'AFP qui suggère une autre personalité... C'est titré «Robert Gates, un homme du sérail proche du clan Bush». Quand on connaît le goût de l'AFP pour les titres insipides, on doit avant tout remarquer que ce titre est excessivement provocateur. «Sérail», «clan»? Hum, faut-il comprendre que le gars Gates n'est ni «un homme neuf», ni «équilibré», ni apprécié par les Démocrates?

La dépêche de l'AFP se conclut par ce paragraphe, typique du style «tout le monde le sait mais on ne peut rien prouver»:
En 1991, lors des auditions au Congrès pour sa confirmation en tant que directeur du renseignement, Robert Gates avait été interrogé à plusieurs reprises sur l'Irangate, cette affaire où des armes avaient été vendues à l'Iran pour financer des actions au Nicaragua contre les sandinistes.
Robert Gates est depuis quatre ans président de l'université A & M du Texas (sud), l'État de George W. Bush.
Ce style allusif se retrouve dans tous les documents qui évoquent Robert Gates. Il faut comprendre l'inconfort des médias. Lorsqu'on aborde la biographie d'un homme à la carrière telle que celle de Robert Gates, on est confronté à la dissimulation, à la manipulation et aux coups tordus. Une carrière à la CIA, c'est l'assurance d'un curriculum vitae parfaitement falsifié, d'activités caractérisées par une extrême et vitale discrétion, ainsi que les plus hautes protections politiques de la planète.

Consultons donc la fiche Wikipedia de Robert Gates, très prudente dans ses tournures, pour se faire une idée générale.
Il fut proposé pour devenir Director of Central Intelligence au début de 1987, mais retira sa candidature quand il est devenu clair que le Sénat la rejeterait à cause de la controverse au sujet de son rôle dans l'affaire Iran-Contra. Les membres du Sénat remirent plus tard sa nomination en cause pour la raison supplémentaire que Gates avait prétendument livré des renseignements à l'Irak pendant la guerre Iran-Irak.
Gates fut assistant du Président pour les affaires de Sécurité nationale (Deputy Assistant to the President for National Security Affairs) de mars à août 1989, et fut assistant du Président et conseiller pour la Sécurité nationale (Assistant to the President and Deputy National Security Adviser) d'août 1989 à novembre 1991.
Il fut proposé (pour la seconde fois) pour le poste de Director of Central Intelligence par le président Bush le 14 mai 1991, fut confirmé par le Sénat le 5 novembre et prêta serment le 6 novembre.
(Le Director of Central Intelligence, selon Wikipedia, dirige non seulement la CIA, mais aussi toute l'Intelligence Community.)

Pour se rafraîchir la mémoire, le Président en question est Georges H. W. Bush («Bush père»), du 20 janvier 1989 au 20 janvier 1993. La première guerre du Golfe («Tempête du désert») débute dans la nuit du 16 au 17 janvier 1991. Noter aussi que, sauf erreur de ma part, Georges Bush père fut le seul président à avoir été directeur de la CIA (du 30 janvier 1976 au 20 janvier 1977 – sous la présidence de Gerald Ford, remplaçant non élu de Richard Nixon). On peut aussi se souvenir qu'avant de libérer les forces de la démocratie au Moyen-Orient, les néo-conservateurs s'ébattaient gaiement dans les grands espaces de l'Amérique latine.

Sa présidence à la tête de l'université A & M du Texas est complétée par d'autres informations:
Gates est devenu le 22e président de l'Université A&M du Texas le 1er août 2002, après avoir occupé le poste de doyen par intérim de l'École George Bush d'administration (George Bush School of Government and Public Service) de l'université A&M du Texas de 1999 à 2001.
Doyen d'une école «George Bush»? Oui, c'est un métier. Poursuivons:
Il a été membre du comité directeur (board of trustees) de Fidelity Investments, et du comité des directeurs (board of directors) de NACCO Industries Inc., de Brinker International Inc. et de Parker Drilling Company Inc.
Plus inquiétant, l'ancien patron de la CIA et nouveau chef du Pentagone s'intéresse à l'industrie de la démocratie:
En 2002, Gates était membre du comité des directeurs de Votehere, une entreprise d'audit d'élections et de machines de vérification.
Votehere, dont le slogan est: «Votehere prouve que chaque vote a été correctement compté». De la part d'un proche du clan Bush, c'est tout de suite très suspect... Société certainement bien servie par la loi de 2002, «Help America Vote Act», qui a obligé les États à remplacer leur matériel de vote périmé. Oui, en 2002, c'est sous George W. Bush, élu en 2001, très attentif depuis à ce que chaque vote soit «correctement» compté. (Au passage, d'après La Presse canadienne, le scrutin de novembre 2006 a été perturbé par des problèmes techniques.)

À ce stade, l'image d'un simple «pragmatique» qui a servi les deux camps est, me semble-t-il, déjà très loin.

Mais la partie la plus croustillante est celle qui concerne le scandale Iran-Contra: ventes d'armes à l'Iran pour financer les terroristes (mercenaires des États-Unis) des Contras au Nicaragua.
De part son statut élevé dans la hiérarchie de la CIA, Gates était proche des plusieurs personnalités ayant eu un rôle important dans le scandale Iran-Contra et était en position de connaître leurs activités. Les preuves fournies par le Conseil indépendant (Independent Counsel) n'ont pas permis de confirmer les accusations portées contre Gates pour son rôle dans le scandale Iran-Contra, ou pour ses réponses aux enquêtes officielles.
Pour information l'Idenpendent Counsel est une structure d'enquête «indépendante» (indépendante du pouvoir exécutif) qui fournit des rapports au Congrès, dont le procureur le plus célèbre a été Kenneth Starr. Wikipedia poursuit le récit:
Gates fut très tôt le sujet d'une enquête du Conseil indépendant, mais l'enquête sur Gates s'intensifia au printemps 1991 dans le cadre d'une enquête plus large sur les activités d'officiels de la CIA dans l'affaire Iran/Contra. Cette enquête reçu une impusion supplémentaire en mai 1991, lorsque le président Bush proposa Gates comme Director of Central Intelligence. Le président et le vice-président du Comité de sélection du Sénat pour le renseignement demandèrent par écrit au Conseil indépendant, le 15 mai 1991, toute information qui pourrait «influer de manière significative sur le choix» de Gates pour le poste à la CIA.

Gates a témoigné de manière constante qu'il a entendu parler pour le première fois, le 1er octobre 1986, de la bouche de Charles E. Allen, l'officier des renseignements le plus proche de l'initiative iranienne, que le revenu des ventes d'armes à l'Iran avait peut-être été détourné pour soutenir les Contras. D'autres preuves démontrent, cependant, que Gates avait reçu un rapport sur les détournements, pendant l'été 1986, de la part du DDI Richard Kerr. Le sujet fut de savoir si le Conseil indépendant pouvait prouver au delà du doute raisonnable que Gates avait menti délibérément lorsqu'il avait prétendu ne se souvenir d'aucune référence au détournement avant sa rencontre avec Allen en octobre.

Les règles du secret du Grand Jury ont entravé la réponse du Conseil indépendant. Cependant, afin de pouvoir répondre à des questions sur des témoignanges précédents de Gates, le Conseil indépendant a accéléré son enquête pendant l'été 1991. L'enquête fut close le 3 septembre 1991, et le Conseil indépendant affirma que les activités de Gates dans l'affaire Iran-Contra et ses témoignages ne justifiaient pas de poursuites.

Le Conseil indépendant a fait dépendre sa décision d'éléments qui auraient pu justifier de réouvrir l'enquête, notamment le témoignage de Clair E. George, l'ancien directeur adjoint aux opérations. Lorsque le Conseil indépendant a décidé la clôture de l'enquête, il était toujours possible que George fournisse des informations poussant à reconsidérer le rôle de Gates. George refusa de coopérer avec le Conseil et fut mis en examen le 19 septembre 1991. George a cité Gates comme témoin de la défense lors de son premier procès à l'été 1992, mais Gates ne fut jamais appelé.
Pour rappel, l'Irangate impliquait lourdement Israël dans les ventes d'armes à l'Iran, l'entraînement des paramilitaires des Contras et leur approvisionnement en armes.

L'auteur de la dépêche AFP a raison de rester allusive. En 2004, Gary Webb, le journaliste auteur d'une enquête sur la vente de crack à Los Angeles pour financer les contras (la CIA étant d'après lui complaisamment au courant de l'opération), a été retrouvé mort. Le médecin légiste déclara un suicide, constat assez évident puisque Gary Webb se serait tiré deux balles dans la tête.

Notons enfin que Robert Parry, l'un des journalistes qui avait «sorti» de nombreuses informations sur l'affaire Iran-Contra, a récemment publié sur son site un long historique des relations troubles entre le clan Bush et les iraniens. L'article repose beaucoup sur les témoignages du très trouble Ari Ben-Menashe, auquel il semble cependant apporter plusieurs corroborations, et implique notamment, dans les barbouzeries de l'époque, Robert Gates, George Bush et Ariel Sharon (en fait, le lecteur trouvera beaucoup d'articles évoquant Robert Gates sur ConsortiumNews). Il cite également un témoignage de l'époque de David Satterfield. Le monde est petit. À prendre avec des pincettes (c'est un genre journalistique dans lequel les vérifications et les recoupements sont très difficiles à effectuer), mais sans aucun doute très intéressant à lire.

08 novembre 2006

Nancy Pelosi: démocrate, femme et... intégriste pro-israélienne

Un petit billet rapide sur les élections amerlocaines, je dois m'absenter aujourd'hui. Si nécessaire je compléterai dans les prochains jours.

Si j'ai bien suivi mon Google News, le prochain speaker de la Chambre des représentants des États-Unis est une femme. Quelqu'un peut-il me confirmer que le féminin de speaker est bien speakerine? Son nom est Nancy Pelosi.

Je suppose que nos médias vont gloser sur le fait qu'elle est une femme, qu'elle est démocrate, que les Américains (ceux que nos chroniqueurs fréquentent) considèrent qu'elle est très à gauche, et que la nouvelle Chambre veut une nouvelle politique sur l'Irak, sur les impôts, sur l'éducation et tout ça.

Pour le Figaro de ce matin:

À San Francisco, on la prend pour une centriste, mais sur la colline du Capitole, elle est jugée de gauche: elle a voté contre le Patriot Act, contre les baisses d'impôts généralisées, contre la guerre en Irak, mais pour le financement des troupes une fois sur place; issue d'une famille catholique d'origine italienne, elle soutient le droit à l'avortement, s'oppose à la prière à l'école et défend les peines de substitution.
Je vous fais aussi le pari qu'aucun de nos médias n'évoquera les positions de cette gentille gauchiste sur la politique israélienne. Ça n'est pourtant pas rien, surtout lorsqu'on parle de la «politique irakienne» à tout bout de champ.

En mai 2005, Nancy Pelosi donne un discours remarqué devant l'AIPAC (le lobby israélo-américain):
«Il y a ceux qui affirment que le conflit israélo-palestinien est entièrement dû à l'occupation de la Cisjordanie et de Gaza par Israël. C'est un non-sens absolu. En vérité, l'histoire du conflit n'a jamais été au sujet de l'occupation, et ne l'a jamais été: elle ne tourne qu'autour du droit fondamental d'Israël à exister... Les États-Unis soutiendront Israël maintenant et pour toujours. Maintenant et pour toujours.»
En juillet 2006, en plein massacre des Libanais par les Israéliens, Nancy Pelosi a passé le communiqué de presse suivant:
«La critique par le premier ministre irakien Malaki du droit d'Israël à se défendre est inacceptable. À la Maison blanche ce matin, M. Malaki n'a pas retiré ses commentaires sur Israël et, à nouveau, n'a pas critiqué le Hamas et le Hezbollah pour leurs activités terroristes. À moins que M. Malaki ne désavoue ses commentaires critiques à l'égard d'Israël et ne condamne le terrorisme, il serait malvenu de l'honorer par une session conjointe du Congrès.»
Cette opposante à la politique néo-con en Irak a soutenu avec ferveur le Syria Accountability Act, en reprenant l'argumentaire néo-con:
«Le peuple d'Israël et la cause de la paix au Moyen-Orient ont toujours été les cibles traditionnelles des groupes soutenus par la Syrie, mais l'attaque aujourd'hui contre le convoi américain à Gaza rappelle que les États-Unis, et nos intérêts dans le monde, sont en haut de la liste des cibles des terroristes. Régler le problème du terrorisme doit être notre principale priorité.»
Pour terminer, dans le scandale d'espionnage mené par l'AIPAC, selon Alain Gresh:
«Nous apprenons aussi que la membre de la Chambre Jane Harman (D-Calif.), un faucon démocrate qui est la plus importante représentante de son parti à la Comission du renseignement de la chambre, est sous investigation, dans le cadre de l’enquête sur l’AIPAC. Un de ses assistants a déjà été suspendu pour avoir transmis des informations du rapport “National Intelligence Estimate on Iraq” au New York Times (...). La question toutefois posée par l’histoire Harman-AIPAC est: à qui d’autre son bureau transmettait-il des informations et dans quels buts?»

«On peut répondre au moins partiellement à la seconde partie de la question avec l’article du Time Magazine sur l’enquête autour de Harman: on y apprend que Nancy Pelosi, chef de la minorité démocrate à la chambre, a lancé une campagne, avec l’appui de l’AIPAC et de poids lourds pro-Israël comme Haim Saban pour tenter de maintenir Harman à son poste. (...)»
[Ajout du 8 novembre, en soirée.] En octobre 2006, Jimmy Carter s'apprête à publier son livre Palestine: Peace, Not Apartheid. D'après Shmuel Rosner, correspondant en chef de Haaretz aux États-Unis, «Nancy Pelosi l'a supplié d'en reporter la sortie. Elle a publié un communiqué au sujet du nouveau livre de Jimmy Carter déclarant:»
«Avec tout le respect dû à l'ancien Président Jimmy Carter, il ne parle pas pour le parti démocrate au sujet d'Israël. Les démocrates ont été immuables dans leur soutien à Israël depuis sa naissance, en partie parce que nous reconnaissons que faire cela est dans l'intérêt de la sécurité nationale des États-Unis. Nous soutenons Israël maintenant et nous soutiendrons Israël pour toujours. Il est erroné de suggérer que le peuple juif pourrait soutenir un gouvernement en Israël ou n'importe où ailleurs qui institutionaliserait une oppression basée sur des critères ethniques, et les Démocrates rejettent vigoureusement cette affirmation.»

07 novembre 2006

Children of «Intifada»

Je vous préviens tout de suite: ce billet est totalement anecdotique. Son intérêt est proche du zéro, puisque je m'en vais vous parler de cinéma. Je vais vous causer de Children of Men, le film anglais d'Alfonso Cuarón avec Clive Owen.


Aparté. Puisque je cause de cinéma, je vous signale que le plutôt mignon et rigolo Nacho Libre, avec Jack Black, est situé à Oaxaca. Oaxaca où actuellement il se passe des choses, et pas franchement dans le genre «lutteur masqué». Où alors, c'est l'épisode titré Santo contro los imperialistas neoliberales (dont voici l'affiche), malheureusement inédit en France. Fin de l'aparté.

Quand La guerre des mondes, de Spielberg, est sorti en 2005, toute la critique s'est répandue en commentaires admiratifs sur ce «grand film post-9-11». Là où, personnellement, je n'avais vu qu'un film de science fiction mou du genou, le film avait interpellé la presse toute entière au niveau d'un quelque part onzeseptembresque, avec des évocations qui lui parlaient du subconscient de la guerre au terrorisme, et des réminiscences d'images vues à la TV ce jour-là.

En revanche, depuis que Children of Men est sorti, je n'ai pas encore lu que c'était le premier film post-Abou Ghraib, qu'il contenait une foule de références à l'actualité, alors que pour le coup, c'est carrément évident.

Voici quelques plans tirés du film, qui me semblent particulièrement explicites (il y a évidemment une foule d'éléments implicites, le monde décrit étant une dictature fascisante combattue par des mouvements qualifiés de terroristes; éléments classiques de la science-fiction des années 70 – «Ils peuvent nous prendre notre liberté, mais ils ne prendront pas notre fierté», dit un des personnages, qui se prend pour Brave Heart). Veuillez pardonner la nullité des images, je fais avec les moyens du bord.

Il y a, dès le début du film, un long travelling sur la collection de photos et de coupures de presse qui racontent la vie du personnage de vieux contestataire baba-cool interprété par Michael Caine. Le plan permet à la fois d'introduire la vie de ce personnage, mais aussi d'exposer les événements qui ont mené à la situation présente.

Le lien avec l'Irak est explicite: le travelling commence par une affichette «Don't attack Iraq».

Puis l'enchaînement des événements est le suivant: l'apparition de la stérilité générale, la famine, les migrations massives, le tunnel sous la Manche fermé...

...jusqu'à l'explication de la raison pour laquelle la femme de Michael Caine est catatonique: sa photo est surmontée du titre «Le MI5 nie toute implication dans la torture d'une photojournaliste».

Beaucoup plus tard dans le film, les personnages sont emmenés dans un camp pour les étrangers. L'arrivée dans le camp contient des images directement reprises de la série de photographies d'Abou Ghraib.


Difficile à voir sur cette image (je n'ai rien de mieux, désolé), mais assez longuement présente en arrière-plan dans le film, l'image la plus connue d'Abou Ghraib, personnage debout, avec un sac noir faisant une pointe sur la tête, une sorte de poncho, les bras écartés:

Le travelling qui suit montre une série de sévices également très évocateurs, en se terminant par l'image d'hommes dévêtus menacés par un berger allemand.


Plus tard, de nombreuses images comparent ce camp à un camp de réfugiés palestiniens. De manière très explicite, une manifestation façon Hamas est montrée:

Une foule d'hommes cagoulés, avec des bandeaux verts écrits en arabe sur le front, transportent un corps, pointent des armes automatiques vers le ciel et crient «Allah Akbar».

Bon, j'ai trouvé que ça devenait un peu grossier dans le référentiel, mais la scène suivante montre une manifestation de Français qui défilent en chantant la Marseillaise; le manque de finesse de la référence précédente étant ainsi compensé par un truc un peu humoristique.

Histoire qu'être certain que tout le monde comprend bien l'évocation, il y a plusieurs graffitis en arabe sur les murs du camp, avant que celui-ci ne soit investi par les chars (façon attaque de Jénine). Par exemple, dès l'arrivée dans le camp:

Évidemment, on lit bien «The uprising», le personnage de la résistance évoque régulièrement ce terme («le soulèvement»), terme que l'on traduit en arabe par «intifada». Et, justement, il y a quelque chose d'écrit en arabe:
Bref: au-dessus de «The uprising», il est écrit un mot que l'on peut déchiffrer, en arabe, par «ANTIFADA».

Sauf que (et là, vous allez pouvoir briller dans les soirées): «intifada» ne s'écrit pas comme cela. La bonne orthographe, c'est:
La première lettre (à droite, donc) est un aleph simple, et surtout les deux dernières lettres sont totalement différentes. Cette faute apparaît sur plusieurs graffitis. C'est un peu comme si l'on avait écrit, en français, «Soulaivman».

Je vous propose donc ce sujet de discussion pour votre prochaine soirée en société: pourquoi cette faute d'orthographe en arabe? Tant qu'à écrire «intifada» en arabe, pourquoi ne pas l'avoir écrit correctement? Un budget de 80 millions de dollars, et ils n'ont trouvé qu'un analphabète pour écrire les graffitis en arabe?

Au fait, c'est quoi le message politique de ce film bourré de références politiques? Personnellement, je n'en ai aucune idée.

05 novembre 2006

L'assassinat sous forme de tableau Excel

La lecture de l'article de Patrick O'Connor, «Israel's Large-Scale Killing of Palestinians Passes Unreported», sur Electronic Intifada, est terrifiante. O'Connor souligne l'augmentation de la disproportion entre le nombre de Palestiniens tués par rapport au nombre d'Israéliens tués, absolument insensée depuis le dernier trimestre.

Il fournit une courbe de cette évolution:
Alors que, depuis le début de l'intifada, le nombre de Palestiniens tués pour chaque Israélien tué se situe entre 2,5 et 7,6, sur l'année 2006 ce ratio passe à 22. Sur le troisième trimestre 2006, il passe à 71 Palestiniens tués pour chaque Israélien tué. O'Connor indique qu'on peut certainement voir là une rupture complète des pratiques israéliennes, et s'indigne que les médias occidentaux continuent à parler d'un «conflit israélo-palestinien», alors que la disproportion des morts interdit d'utiliser un terme («conflit») qui suggère un équilibre entre deux parties en guerre.

Ayant l'esprit matheux, j'ai pensé que la création de courbes pourrait donner une certaine impression de l'évolution actuelle. J'ai donc recopié les chiffres fournis par l'ONG israélienne B'Tselem dans un grand tableau, et j'en ai tiré les courbes suivantes. Il me semble que ces courbes sont très parlantes.

Ces deux tableaux illustrent la disproportion du nombre de morts de chaque côté. Je n'ai retenu, dans les chiffres de B'Tselem, que les personnes tuées par l'autre camp. Le premier tableau est constitué des chiffres bruts du nombre de morts, par trimestres (en haut-bleu: les morts palestiniens; en bas-rouge; les morts israéliens).

Le second tableau, très impressionnant, est le même que celui d'O'Connor: c'est le nombre de Palestiniens tués pour chaque Israélien tué. La différence est que, dans ma présentation, je fais apparaître chaque trimestre. L'évolution sur 2006, jusqu'à 71 morts palestiniens pour 1 mort israélien, interdit effectivement de parler de «conflit». «Tir au pigeon» serait plus fidèle à la réalité.


Ce tableau illustre la notion d'«armée la plus morale du monde»: c'est le pourcentage de mineurs parmi les tués. En haut les Palestiniens; en bas les Israéliens. Par exemple, sur l'année 2005, 26% des Palestiniens tués sont des mineurs; et 12% des Israéliens tués sont des mineurs. En 2006, ces pourcentages de mineurs passent à 22% pour les Palestiniens, et 5% pour les Israéliens.

Dans le témoignage receuilli par Sylvia Cattori, on lit: «Les soldats ont l'ordre de tirer sur le haut du corps: ils visent la poitrine, près du cœur, la tête». Au début de l'intifada, parmi les Palestiniens, on compte 32 blessés pour un mort; le trimestre suivant, 24 blessés pour un mort. Au troisième trimestre 2006, on ne compte plus que 2 blessés pour un mort. Les nouvelles bombes tuent beaucoup mieux, semble-t-il.

Le tableau ci-dessus ne prend en compte que le nombre de blessés par balle ramené au nombre de morts. Là encore, l'«efficacité» mortelle des soldats israéliens est spectaculaire. Resté longtemps autour de 1,5 blessé par balle pour un mort, depuis le milieu de l'année 2005, le nombre de morts est supérieur au nombre de blessés par balle. Sur le dernier trimestre, nouvelle évolution: le nombre de blessés par balle est de 0,4 fois le nombre de tués. Shoot to kill.

Ajout du mardi 7 novembre. Le graphique ci-dessus indique la répartition des morts palestiniens (en bas-bleu), du nombre de blessés par balle (live ammunition, en rouge), du nombre de blessés par armes de bombardements (en jaune, «injuries mostly due to bomb fragments and shrapnel») et le nombre de blessés par armes non-léthales (en vert, total de «rubber/plastic bullet» et de «tear gas»).

La part des dégâts dus à des armes non-léthales est passé de 67% en 2000 à 29% en 2006, selon une évolution plutôt régulière. Sur le troisième trimestre 2006, on atteint le pourcentage extrême de 6% de dégâts dus à des armes non-léthales.

[Mise-à-jour du 10 novembre] L'association B'Tselem vient de publier les chiffres macabres pour le mois d'octobre complet. Les chiffres de ce mois ne modifient les courbes ci-dessus que de manière très faible.

Noter que, au mois d'octobre, il n'y a aucun mort israélien recensé, pour 59 palestiniens tués. Cela me semble important: voici le nombre d'Israéliens tués par des Palestiniens ces derniers mois: mai 1, juin 3, juillet 2, août 1, septembre 1, octobre 0. Ces chiffres peinent à prouver qu'Israël est en train de lutter pour sa survie.

02 novembre 2006

La semaine de tous les dangers

Dans l'habituel «deux poids deux mesures» qui caractérise le traitement médiatique du Moyen-Orient, un des éléments consiste à relater régulièrement l'activité politique interne israélienne (remaniements du gouvernement, déclarations des ministres, critiques de l'opposition...) et à ne jamais évoquer la vie politique interne de ses voisins. Passée l'agression israélienne, le Liban n'apparaît plus dans les médias occidentaux que sous des angles bien choisis, et en tout cas jamais pour présenter la vie démocratique, le jeu politique, les critiques et les commentaires, pourtant extrêmement riches et importants qui s'y déroulent. L'effet est spectaculaire: l'impression est qu'il y a une vie démocratique en Israël, et nulle part ailleurs.

Pourtant, depuis la fin de l'agression militaire, le Liban traverse une phase d'ébullition extrême, le «conflit» s'est déplacé vers le débat politique interne, au travers d'une «guerre des mots» dénoncée dès avant la fin des hostilités par Georges Corm lors d'un rassemblement sur l'esplanade du Trocadéro, et la parole de l'opposition, tétanisée et diabolisée après l'assassinat de Rafic Hariri, semble «libérée» (Michel Aoun qualifiant carrément le gouvernement actuel de «cleptocratie»).

Les jours qui viennent sont à hauts risques. Non seulement parce que le jeu politique interne est tendu, mais parce que les influences étrangères sont particulièrement dangeureuses. Pour tout vous dire, je recommence à craindre pour la sécurité de mes amis libanais.

Avant de commencer, sur le régime politique qui prévaut au Liban, je vous invite à relire mon (extrêmement long) document intitulé «Une mafiocratie contre son peuple». J'y décris la confiscation du pouvoir par l'alliance d'anciens parrains de l'ordre milicien, de spéculateurs du béton et d'une bourgeoisie affairiste. Cette caste ayant été, depuis le début des années 90, au pouvoir avec le soutien de la puissance syrienne, l'explication que j'expose dans cet article permet d'envisager la politique libanaise sous un autre angle que les imbéciles alibis «Pro-syriens autoritaires contre démocrates anti-syriens» ou «Méchants chiites contre gentils laïcs libanais» en vogue en Occident.

Depuis la fin de l'agression militaire israélienne, la grosse affaire politique interne est la demande d'un remaniement ministériel au Liban et la constitution d'un gouvernement d'union nationale.

De nombreux éléments légitiment l'idée d'un remaniement ministériel.

1. Le pays sort d'un conflit qui l'a ravagé. L'idée qu'un nouveau gouvernement (qui plus est, d'«union nationale») soit nommé à l'issue de ce cataclysme est tout à fait normale. Cela a lieu, dans un tel cas, dans n'importe quel pays démocratique, et c'est considéré comme tout à fait naturel. On peut noter que le gouvernement israélien lui-même se remanie.

2. La popularité des grandes figures de ce gouvernement a semble-t-il beaucoup souffert de leur «gestion» du conflit. Un sondage de septembre dernier indiquait que Samir Geagea, Walid Joumblatt et Saad Hariri, les trois grandes figures de l'actuelle «majorité», étaient les hommes politiques recueillant le plus d'opinions négatives; et que Hassan Nasrallah, Nabih Berri et Michel Aoun, les trois figures de l'opposition, obtenaient le plus d'opinions positives. Évidemment, le bon Républicain occidental affirmera que ça n'est pas la rue qui gouverne, mais les chiffres sont tout de même impressionnants, et le pays sort d'une guerre!

3. L'image générale du gouvernement est d'être pro-américain, favorable aux résolutions franco-américaines sur le Liban, alors qu'une immense majorité des Libanais considérent que les États-Unis ont soutenu les bombardements israéliens et retardé l'adoption d'un cessez-le-feu. La situation politique peut se lire assez simplement: le gouvernement du Liban est allié des États-Unis, soutenu par eux, alors que 70% des Libanais pensent que les États-Unis sont un ennemi de leur pays.

4. L'équilibre politique qui avait permis la constitution de la «majorité» actuelle a changé, et cela bien avant l'agression israélienne. Le Hezbollah avait permis la naissance de ce gouvernement, en passant des alliances locales avec les forces de Saad Hariri. Et le parti de Michel Aoun, pourtant clairement «antisyrien», avait été rejeté dans l'opposition. Depuis février 2006, le Hezbollah, tout en participant au gouvernement, est repassé dans l'opposition et s'est allié à la première force chrétienne du pays, le CPL de Michel Aoun. Cette recomposition des équilibres politiques libanais, avec l'un des plus importants partis du pays qui quitte la «majorité» pour rejoindre l'opposition, milite encore en faveur d'un remaniement.

5. Le rapport Mehlis, dont les «fuites» ont accompagné la campagne législative de juin 2005 et ont permis de «criminaliser» les partis qualifiés de «pro-syriens» dans une ambiance d'hystérie générale, est retombé comme un soufflé. Témoins manipulés qui se rétractent, grossièreté de l'intervention franco-américaine lors des «révélations» d'Abdel Halim Khaddam, et finalement le récent rapport «Bremetz», du nom du successeur de Mehlis, accouche d'une souris. La «dénonciation» des assassins de Rafic Hariri n'est plus un ressort politique bien pertinent, désormais identifiée comme une manipulation politique par le grand public. À cela s'ajoute le fait que continuer à diaboliser la Syrie alors même que c'est Israël qui vient d'assassiner la population libanaise n'est pas d'une grande intelligence politique (c'est pourtant ce que vient de faire François Hollande lors de sa récente visite – merci Ibn Kafka pour la copie de L'Orient-Le Jour). Au final, la principale raison légitimant le gouvernement (la dénonciation des «commanditaires syriens» de l'assassinat) s'est quasiment effondrée.

6. Je l'ai déjà évoqué en introduction, mais l'une des conséquences inespérées de l'agression israélienne a été de libérer la parole au Liban. La diabolisation et la culpabilisation de l'opposition, à la suite de l'assassinat de Hariri, ne suffit plus à éteindre la contestation. Tout revient désormais sur le devant de la scène politique: la corruption, les influences étrangères, les détournements des fonds de la reconstruction, passée et actuelle, l'instrumentalisation politique des confessions religieuses, les terribles inégalités (un article récent de al-Akhbar indique par exemple que 2% de la population possède 60% des dépôts en banque, «une situation qui n'existe même pas au Brésil, où 18% de la population possède 60% des dépôts») , et même la prétention «anti-syrienne» des membres du gouvernement est désormais ouvertement remise en cause, toutes critiques qui étaient moins visibles (ou plus feutrées) avant l'agression israélienne.

Pour le moins, la demande d'un simple remaniement, comparée à l'ampleur des destructions, la violence des attaques politiques (accusations de trahison et de collusion avec l'ennemi), semble l'option minimale. Pourtant, c'est ce qui est demandé par l'opposition et (pour l'instant) rien d'autre: il s'agit essentiellement de faire entrer le bloc de Michel Aoun dans le gouvernement. Pour le Hezbollah, rien de changé: il avait déjà deux ministres au gouvernement.

Depuis de nombreuses semaines (quelques semaines après la fin des bombardements), il y a donc une demande ouverte de la part du mouvement aouniste, relayée par le Hezbollah, d'un remaniement ministériel (et aucunement d'un renversement pur et simple de Saniora, remplacé par une monopolisation du pouvoir par Amal-Hezbollah-Aoun).

À l'inverse, le gouvernement ne veut rien entendre de ce remaniement. La lecture de L'Orient-Le Jour suggère que ce serait le retour des «pro-syriens» au gouvernement. Cette idée est idiote, puisque le seul «ajout» dans ce gouvernement serait celui du groupe de Michel Aoun, qu'il faut tout de même beaucoup de toupet pour le classer parmi les «pro-syriens»! Quant à une volonté de blocage de la constitution d'un tribunal international pour juger les assassins de Rafic Hariri, cela n'est pas non plus logique: tous les groupes politiques libanais, y compris ceux de l'opposition, ont depuis longtemps accepté le principe d'un tel tribunal. La seule discussion sur ce sujet est le refus de l'instrumentalisation politique et de la manipulation du tribunal, comme cela s'était fait lors de l'enquête et du rapport Mehlis. Les demandes du Président Lahoud portent explicitement sur cela, alors que les habituelles «fuites» vers la presse proche des Hariri ont déjà commencé (ainsi le Nahar, très proche du gouvernement, vient de publier le projet de tribunal spécial, pourtant en cours de négociation), et que l'exemple d'impartialité du dernier tribunal constitué à l'initiative des américains n'est franchement pas encourageant...

En termes de politique politicienne, des enjeux plus prosaïques existent: c'est le parlement qui élit le Président de la République. De fait, outre les habituels enjeux de pouvoir (et de corruption) liés au contrôle du gouvernement, s'ajoute le problème du calendrier. Si la «majorité» tient, elle peut espérer faire nommer un Président de la République qui lui est proche. Si elle ne tient pas, le risque est celui d'élections législatives anticipées, avec une victoire d'une alliance Hezbollah-Aoun (et autres...), et la perte d'absolument toutes les positions politiques par l'actuel «majorité» (Amal étant déjà à la tête du Parlement).

Surtout, concernant les chancelleries étrangères qui intriguent de longue date au Liban et tiennent ce gouvernement à bout de bras (rappelons que, pour les Américains, dès les premiers jours des bombardements, la seule limite fixée aux atrocités israéliennes était de ne pas faire tomber le gouvernement Saniora), on peut comprendre leurs craintes:
– chute de la maison Hariri, avec promesse d'une enquête sur l'argent de la dette et les détournements de l'argent de la reconstruction; luxe pénible pour la maison Chirac;
– montée d'un pouvoir chiite, cauchemar d'une Arabie Saoudite déjà propriétaire du pays;
– très forte représentativité de la Résistance libanaise, cauchemar absolu d'Israël et des États-Unis.

Dans le cadre de l'«instabilité constructive» chère aux néo-conservateurs, la chute du gouvernement Siniora signifierait que, en tirant à pile ou face, la pièce est retombée du mauvais côté... Imaginez le cauchemar: le Hezbollah renforçant sa légitimité électorale, Michel Aoun président, Salim Hoss premier ministre (par exemple), Nabih Berri toujours président du Parlement et une enquête publique sur la corruption et les détournements gouvernementaux depuis 1992...

Pour le gouvernement «14 Mars» et ses soutiens étrangers, l'alternance politique (et démocratique) n'est pas une option envisageable.

Rappelons tout de même que l'actuel gouvernement se targue d'être l'héritier des manifestations du 14 mars 2005. C'est même le nom de son «rassemblement». Le 14 février 2005, Rafic Hariri est assassiné. Le 14 mars, l'«opposition» (l'actuelle «majorité») organise une manifestation monstre. Le gouvernement d'Omar Karamé «tombe» sous la pression de la rue. Le 14 avril, le «plutôt pro-syrien» Najib Miqati est nommé Premier ministre d'un gouvernement de transition chargé d'organiser les législatives de juin. La «transition» se déroule parfaitement et l'actuel gouvernement est issu des urnes. À cette époque, le recours à la rue est unanimement considéré dans les chancelleries et les médias occidentaux comme le signe d'une grande vigueur démocratique.

Après des semaines de tergiversation, c'est le président du Parlement, également chef du parti chiite Amal, Nabih Berri, qui a annoncé des négociations globales pour la constitution d'un gouvernement d'unité nationale. Ces négociations devaient commencer cette semaine, elles sont déjà reportées au 6 novembre. La proposition de Berri devient un ultimatum fixé aux prochains 15 jours.

Face au blocage, le Hezbollah a annoncé pour les prochaines semaines un recours «démocratique» (comprendre: non violent) à la rue: manifestations et sit-ins. Cette fois, la demande n'est plus cantonée à une ouverture du gouvernement aux forces aounistes, mais à des élections anticipées. On décrit ainsi une série de manifestations qui rejoindraient Beyrouth, aux alentours du 13 novembre; des «contre-manifestations spontanées» seraient alors sponsorisées par le milliardaire Saad Hariri pour bloquer les cortèges du Hezbollah et des aounistes. Chacun craignant des provocations qui feraient dégénérer les manifestations.

Parallèlement, les figures politiques libanaises sont toutes en contact avec l'«arbitre» saoudien, les quotidiens bruissent de ces rencontres plus ou moins officielles.

On peut dire que la situation est très tendue... La tension politique étant par ailleurs doublée de violences mystérieuses en plein Beyrouth. Une lettre ouverte de Youssef al-Ashkar à l'ambassadeur des États-Unis à Beyrouth, publiée par le Dyiar, dénonçait la semaine dernière la présence de «forces spéciales» américaines au Liban. Le lendemain, al Akhbar publiait une enquête révélant l'interception, par les services libanais, de silencieux pour armes de guerre destinés à un bien étrange diplomate (Mark Sauvageau) de l'ambassade américaine. Le surlendemain, un article du L.A. Times expliquait que 14000 armes destinées aux forces de sécurité irakiennes avaient disparu; les rumeurs sur l'armement de milices pro-Hariri et pro-Geagea avec des armes amenées d'Irak sont anciennes au Liban. Quant au recours désormais sytématique aux mercenaires par les gouvernements occidentaux, une enquête de l'ONG War On Want l'a remis en lumière cette même semaine. Tous éléments certes disparates, mais dans lesquels certains voient évidemment une grande cohérence.

En tout cas, l'initiative de la rue inquiète tous les acteurs du gouvernement du «14 Mars» (l'actuelle majorité). La contre-offensive des forces gouvernementales ne cesse d'inquiéter.

Tout d'abord, il y a la menace du recours à l'armée contre la foule. Le ministre de la Défense a annoncé hier: «L’armée sera très ferme dans le maintien de l’ordre, et il est hors de question de laisser des manifestants couper les routes et encercler des institutions publiques comme le Sérail ou le Parlement.» (source: L'Orient-Le Jour). Il est admirable que l'armée libanaise, qui n'a pas tiré une seule cartouche contre l'armée d'invasion israélienne, annonce désormais sa fermeté contre ses propres civils.

Il y a, surtout, la crainte d'une intervention étrangère. Dès l'appel de Nabih Berri, Walid Joumblatt s'est envolé pour Washington. Beaucoup soupçonnent qu'il tente d'y obtenir une nouvelle résolution de l'ONU visant à réorienter l'action de la FINUL vers des objectifs plus «intérieurs» au Liban (un article d'al-Akhbar, que j'ai reproduit ici, présentait déjà un «plan» de Joumblatt en septembre dernier).

Dans ce cadre, on peut avoir une lecture (certes paranoïaque mais, n'est-ce pas, même les paranoïaques ont des ennemis) des menaces israéliennes contre les forces allemandes de la FINUL. Pour rappel, selon le Figaro, trois accrochages assez sérieux ont eu lieu, ces derniers jours, entre l'armée de l'air israélienne et la marine allemande. Alors même que personne n'imagine que des soldats allemands aillent s'aventurer à tirer sur des militaires de l'État juif. Pour Libération, bien informé, le navire allemand était un navire-espion qui espionnait... Israël (évidemment, cette «information» n'est pas sourcée). Parallèlement, la presse mondiale est censée avaler cette baliverne: le Hezbollah reconstruit ses installations militaires sous le nez de l'ONU (à la lecture de l'article, on doit comprendre qu'un journaliste trouve les caches du Hezbollah en se promenant dans Bent Jbeil et en demandant aux gens, alors que les Israéliens en ont été incapables pendant un mois de guerre ouverte). Bref, campagne de presse et intimidations contre la passivité et la duplicité de la FINUL. De là à croire qu'effectivement, certains tentent d'obtenir un durcissement de la FINUL à l'encontre des forces politiques libanaises, il n'y a qu'un pas.

Enfin, le premier novembre, la Maison blanche a tranché: il n'y aura pas de remaniement. Rentrez chez vous, braves gens, la démocratie, c'est fini pour vous. Le texte est parfaitement mensongé, les amalgames entre action démocratique légitime et violence politique sont permanents, et surtout l'ingérence est absolue:

Le soutien à un Liban souverain, démocratique et prospère est un élément-clé de la politique états-unienne au Moyen-Orient. Nous sommes donc de plus en plus préoccupés par des preuves croissantes que les gouvernements syriens et iraniens, le Hezbollah et leurs alliés libanais préparent des plans pour renverser le gouvernement démocratiquement élu du Liban, mené par le Premier ministre Siniora.

N'importe quelle tentative pour déstabiliser le gouvernement démocratiquement élu du Liban, par des tactiques telles que des manifestations et de la violence orchestrées, ou en menaçant physiquement ses dirigeants seraient, pour le moins, une violation claire de la souveraineté du Liban et des résolutions 1559, 1680 et 1701 du Conseil de sécurité des Nations Unies.

Il y a des indications sur le fait qu'un des buts du plan syrien est d'interdire au gouvernement libanais actuel d'approuver le statut d'un tribunal international qui jugerait les personnes accusées de participation à l'assassinat de l'ancien Premier ministre Rafic Hariri. Une telle tentative d'empêcher la création du tribunal échouera, cependant, car la communauté internationale peut en décréter la création, quoi qu'il arrive dans les affaires internes au Liban. Les États-Unis travaillent avec leurs associés internationaux et avec le gouvernement légitime du Liban pour s'assurer que le tribunal sera rapidement établi et que tous les responsables des assassinats de Rafic Hariri et des autres patriotes libanais depuis 2005 seront menés devant la justice.
Nous voilà prévenus: des manifestations démocratiques qui conduiraient à la chute du gouvernement Siniora constitueraient donc des violations des résolutions 1559, 1680 et 1701. Au passage, à nouveau, nous sommes censés croire que ce sont les Syriens et les Iraniens qui manigancent pour... faire entrer Michel Aoun au gouvernement libanais. Précisons qu'à part L'Orient-Le Jour, tout le monde fait le lien entre cette déclaration et le déplacement de Joumblatt aux États-Unis.

En clair: en cas d'alternance politique au Liban, il y aura une action des États-Unis, de l'ONU et de la FINUL, et une intervention israélienne sera légitime, puisque cette odieuse preuve de la vigueur démocratique libanaise contreviendrait au cessez-le-feu garanti par la 1701.

(Est-il nécessaire de rappeler que, le Hezbollah étant sur la liste des groupes terroristes du Département d'État américain et considéré également comme tel par Israël, la viabilité d'une alternance démocratique au Liban qui impliquerait un renforcement du rôle politique du Hezbollah est aussi acceptable pour eux que la victoire électorale du Hamas en Palestine.)

Pendant ce temps, le silence de nos médias prépare le grand public occidental à «comprendre» que le Hezbollah et ses alliés syriens ont tenté un coup d'État au Liban.

[Additif: je découvre, au moment de publier ce billet, que RFI consacre un article à ce sujet. J'espère que d'autres médias couvriront ces événéments avec un minimum de rappel du contexte.] [Additif du 2 novembre: Alain Gresh consacre un billet de son blog au même sujet.]