Children of «Intifada»
Je vous préviens tout de suite: ce billet est totalement anecdotique. Son intérêt est proche du zéro, puisque je m'en vais vous parler de cinéma. Je vais vous causer de Children of Men, le film anglais d'Alfonso Cuarón avec Clive Owen.
Aparté. Puisque je cause de cinéma, je vous signale que le plutôt mignon et rigolo Nacho Libre, avec Jack Black, est situé à Oaxaca. Oaxaca où actuellement il se passe des choses, et pas franchement dans le genre «lutteur masqué». Où alors, c'est l'épisode titré Santo contro los imperialistas neoliberales (dont voici l'affiche), malheureusement inédit en France. Fin de l'aparté.
Quand La guerre des mondes, de Spielberg, est sorti en 2005, toute la critique s'est répandue en commentaires admiratifs sur ce «grand film post-9-11». Là où, personnellement, je n'avais vu qu'un film de science fiction mou du genou, le film avait interpellé la presse toute entière au niveau d'un quelque part onzeseptembresque, avec des évocations qui lui parlaient du subconscient de la guerre au terrorisme, et des réminiscences d'images vues à la TV ce jour-là.
En revanche, depuis que Children of Men est sorti, je n'ai pas encore lu que c'était le premier film post-Abou Ghraib, qu'il contenait une foule de références à l'actualité, alors que pour le coup, c'est carrément évident.
Voici quelques plans tirés du film, qui me semblent particulièrement explicites (il y a évidemment une foule d'éléments implicites, le monde décrit étant une dictature fascisante combattue par des mouvements qualifiés de terroristes; éléments classiques de la science-fiction des années 70 – «Ils peuvent nous prendre notre liberté, mais ils ne prendront pas notre fierté», dit un des personnages, qui se prend pour Brave Heart). Veuillez pardonner la nullité des images, je fais avec les moyens du bord.
Il y a, dès le début du film, un long travelling sur la collection de photos et de coupures de presse qui racontent la vie du personnage de vieux contestataire baba-cool interprété par Michael Caine. Le plan permet à la fois d'introduire la vie de ce personnage, mais aussi d'exposer les événements qui ont mené à la situation présente.
Le lien avec l'Irak est explicite: le travelling commence par une affichette «Don't attack Iraq».
Puis l'enchaînement des événements est le suivant: l'apparition de la stérilité générale, la famine, les migrations massives, le tunnel sous la Manche fermé...
...jusqu'à l'explication de la raison pour laquelle la femme de Michael Caine est catatonique: sa photo est surmontée du titre «Le MI5 nie toute implication dans la torture d'une photojournaliste».
Beaucoup plus tard dans le film, les personnages sont emmenés dans un camp pour les étrangers. L'arrivée dans le camp contient des images directement reprises de la série de photographies d'Abou Ghraib.
Difficile à voir sur cette image (je n'ai rien de mieux, désolé), mais assez longuement présente en arrière-plan dans le film, l'image la plus connue d'Abou Ghraib, personnage debout, avec un sac noir faisant une pointe sur la tête, une sorte de poncho, les bras écartés:
Le travelling qui suit montre une série de sévices également très évocateurs, en se terminant par l'image d'hommes dévêtus menacés par un berger allemand.
Plus tard, de nombreuses images comparent ce camp à un camp de réfugiés palestiniens. De manière très explicite, une manifestation façon Hamas est montrée:
Une foule d'hommes cagoulés, avec des bandeaux verts écrits en arabe sur le front, transportent un corps, pointent des armes automatiques vers le ciel et crient «Allah Akbar».
Bon, j'ai trouvé que ça devenait un peu grossier dans le référentiel, mais la scène suivante montre une manifestation de Français qui défilent en chantant la Marseillaise; le manque de finesse de la référence précédente étant ainsi compensé par un truc un peu humoristique.
Histoire qu'être certain que tout le monde comprend bien l'évocation, il y a plusieurs graffitis en arabe sur les murs du camp, avant que celui-ci ne soit investi par les chars (façon attaque de Jénine). Par exemple, dès l'arrivée dans le camp:
Évidemment, on lit bien «The uprising», le personnage de la résistance évoque régulièrement ce terme («le soulèvement»), terme que l'on traduit en arabe par «intifada». Et, justement, il y a quelque chose d'écrit en arabe:
Bref: au-dessus de «The uprising», il est écrit un mot que l'on peut déchiffrer, en arabe, par «ANTIFADA».
Sauf que (et là, vous allez pouvoir briller dans les soirées): «intifada» ne s'écrit pas comme cela. La bonne orthographe, c'est:
La première lettre (à droite, donc) est un aleph simple, et surtout les deux dernières lettres sont totalement différentes. Cette faute apparaît sur plusieurs graffitis. C'est un peu comme si l'on avait écrit, en français, «Soulaivman».
Je vous propose donc ce sujet de discussion pour votre prochaine soirée en société: pourquoi cette faute d'orthographe en arabe? Tant qu'à écrire «intifada» en arabe, pourquoi ne pas l'avoir écrit correctement? Un budget de 80 millions de dollars, et ils n'ont trouvé qu'un analphabète pour écrire les graffitis en arabe?
Au fait, c'est quoi le message politique de ce film bourré de références politiques? Personnellement, je n'en ai aucune idée.
1 commentaire:
Bonjour,
En effet, curieuse cette faute. Je propose une tentative d'explication.
Remarquez que si l'on remplaçait le alif-hamza du début par un alif simple et le alif final par un ta marbûta (comme dans "intifada", l'orthographe correcte), on aurait un mot qui n'existe (semble-t-il) pas en arabe (masdar de la 8e forme de la racine nfd avec dâl), mais qui pourrait signifier le fait de s'épuiser, s'agiter en pure perte. Ce que les Palestiniens ont l'air de faire depuis un certain nombre d'années...
D'autre part, si l'on supprimait l'alif central, on aurait un mot qu'on pourrait lire "anta fidâ", ce qui signifie à peu près "tu es un bouc émissaire", ce qui, enfin, n'est pas trop éloigné de la réalité non plus.
Donc, peut-être que les Arabes de service chargés des graffitis dans ce film ont opéré une sorte de fusion consciente ou inconsciente des deux?
Simple hypothèse naturellement...
M.
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