a

19 juillet 2006

D'après L'Orient Le Jour, les chiites aiment mourir

Et revoilà les petites saloperies qu'on espérait ne plus jamais lire ou entendre au Liban, surtout pas maintenant, surtout pas sous les bombes, surtout pas en jouant les démocrates modernistes.

Dans son éditorial de ce jour (19 juillet), texte par ailleurs entièrement constitué de mensonges et de contresens, Issa Goraieb lâche cette phrase insensée dans L'Orient Le Jour: «Ce n’est pas en mettant à l’épreuve le culte du sacrifice inhérent à la communauté chiite que l’on peut, l’espace d’une campagne militaire, dresser celle-ci contre le Hezbollah.»

Le culte du sacrifice inhérent à la communauté chiite?

Où est-il, le culte du sacrifice inhérent de ces braves gens du Sud, victimes jusqu'en 2000 d'une occupation humiliante et invivable, terrorisés et racketés par les collabos subventionnés par Israël, déportés pour un oui pour un non dans des centres de torture comme Khiam, qui depuis cultivent au milieu des champs de mine dont Israël refuse de fournir les cartes? Faut-il vraiment un sens inhérent du sacrifice des chiites pour constater que ce ne sont ni l'armée libanaise ni la communauté internationale qui les ont libérés?

Où est-il, le culte du sacrifice de ces populations pauvres et dignes que les politiques libanaises oublient, même depuis la fuite des Israëliens? Où est-il, ce culte du sacrifice lorsque, dignes et aimants, abandonnés par les politiques économiques de l'après-guerre, ils n'ont pour leurs enfants que les seuls écoles, systèmes de soins, protection sociale que ceux créés par le Hezbollah (successeur du «parti des deshérités»)?

Où est-il, d'ailleurs, le culte du martyre de tous ces chiites qui, souvent, reconnaissent l'action de la Résistance mais n'adhèrent en rien au programme politique et religieux du Hezbollah? Ou encore, tous ces chiites qui, comme de plus en plus de Libanais, refusent d'être identifiés d'abord selon leur religion et sont lassés d'un système où ils ne peuvent être représentés que comme chiites (Amal ou Hezbollah) et non comme ce qu'ils revendiquent avant tout: être Libanais.

Où est-il, le culte du sacrifice des centaines de milliers de petits commerçants qui tentent de vivre de leur petite boutique, partout, à Tyr, à Saïda, à Beyrouth, à Tripoli, dans la Beeka (chiite ou pas, «Hezbollah» ou non, d'ailleurs), alors que les gouvernements ne rêvent que de centres commerciaux géants? Où est-il, le sens du martyre de ces gens qui reconstruisent, s'organisent, sans jamais profiter des investissements et de la dette (chiite ou pas chiite, il suffit d'être pauvre pour n'avoir pas profité de l'argent de la dette)?

Où est-il, le culte du sacrifice de tous ceux qui réclament du progrès social, des salaires décents, et que L'Orient Le Jour disqualifie au motif, justement, qu'ils seraient proches du Hezbollah? En 2004, les revendications sociales au Liban ont été violemment balayées (par l'armée et par la presse aux ordres) au motif que la CGTL, proche du Hezbollah et du PSNS, «tentait de destabiliser le gouvernement» (on suppose donc qu'un syndicat n'est légitime que s'il est proche du gouvernement). Argument qui leur fut à nouveau opposé cet hiver. Réclamer des salaires décents pour nourrir ses enfants relevait-il, déjà, de ce sens du martyre inhérent aux chiites?

Où est-il, le culte du sacrifice chiite de ces populations que le gouvernement et ses thuriféraires (dont L'Orient Le Jour) prétendent conduire à marche forcée vers des modes de vie et de pensée totalement occidentalisés, tout en leur imposant un système économique qui les oblige, plus que jamais, à recourir aux formes de solidarité traditionnelles pour survir?

Où est-il, le culte du sacrifice de ces pauvres gens d'Aytaroun qui enterrent à nouveau leurs morts, dans ce village innocent tant de fois martyrisé (auquel Marcel Khalife avait, il me semble, consacré une chanson évoquant un premier massacre israélien dans les années 70)?

Où est-il, le culte du sacrifice de ces chiites expatriés partout dans le monde qui, comme tous les libanais, s'inquiètent pour leurs proches, leurs parents, leurs amis, restés au village? Où est-il, le culte du sacrifice de ces pauvres gens jetés sur des routes bombardées, qui ont encore tout perdu? De quelle forme de culte du sacrifice relève le fait de mourir dans le bombardement de sa maison?

Où est-il, même, le culte du sacrifice de ces chiites qui ont réussi, dans le monde et au Liban, qui contribuent au développement du pays, commercent avec le monde entier? Où est-il, ce culte morbide, chez ces jeunes bourgeois chiites qui, à Beyrouth et dans le monde entier, adoptent un mode de vie occidental et libéral, tout en essayant de préserver leurs propres valeurs, la religion et l'amour du pays?

Et inversons la proposition. Les Libanais qui ne sont pas chiites ont-ils moins chéri leurs martyrs, ont-ils moins glorifié leurs héros, moins construit de monuments à leur mémoire, sont-ils moins fiers d'avoir survécu à une guerre interminable et odieuse? Selon quel critère juge-t-on que le sacrifice guerrier relève d'une déficience génétique plutôt que de sa propre conscience politique?

Comme tous les Libanais, les chiites n'héritent à la naissance que d'un unique atavisme pour le sacrifice: celui qui les pousse à travailler, construire, reconstruire pour ceux qu'ils aiment et pour leurs enfants.

Que L'Orient Le Jour affiche, comme une large partie de la bourgeoisie libanaise, un mépris de classe qui ferait frémir même à Neuilly-sur-Seine, cela n'a rien de nouveau. Mais par pitié, pas les préjugés racistes aussi énormes qu'une fascination morbide des musulmans chiites pour le martyre qui leur serait inhérente.

Laissez cette propagande aux Israéliens et aux Américains.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

Il est beau, votre texte, Nidal. Tout en colère retenue, limpide, pure. Je vous envie de pouvoir mettre en mots une saine révolte, en ces temps où 350 morts Libanais sont évacués en quelques secondes de JT en France.
Je suis africain, du Niger, mais humain d'abord. Toutes mes prières vont vers les Libanais qui souffrent aujourd'hui de la barbarie de l'armée israélienne et de son gouvernement dans une indifférence criminelle de "la communauté internationale".

Anonyme a dit…

Cela fait deux ans que je suis en France,et je commence à comprendre un peu la rhétorique à la française.
En amont, je te rappelle que l'Etat israëlien existe par la bénédiction de la Communauté internationale, laquelle se trouve aujourd'hui juge et coupable de la situation au proche-Orient.
Tes comparaisons entre la société française et la libanaise, prouve que tu ne connais pas le Liban, et que tu n'as rien compris à la mentalité ni à la politique libanaise. Le reproche que tu fais à une population qui a le droit de vouloir vivre en paix tout comme toi, est de mauvais goût et déplacé.
On est une fois de plus la cible, -pour payer à ta place-, le prix de la paix. Car finalement ce qui arrive aujourd'hui n'est malheureusement que les conséquences des actes d'une Europe qui se donnait bonne conscience en acceptant l'instauration de l'Etat israelien.
Pour se faire pardonner l'impardonnable on sacrifie un peuple , palestinien au départ et de temps en temps libanais.
Au lieu de fustiger l'Orient-le-Jour, j'aurai préféré que tu fustiges les Européens, -entre autres la France qui est à la botte des américains,- et les états-uniens qui sont à la botte d'un buscher. Mais comment reprocher à un gouvernement de vouloir préserver la paix des citoyens? Ce n'est pas l'Orient-le-jour qui se trompe de cible, c'est bien toi.
Certains libanais, non des moindres, veulent établir la paix bon gré malgré tous.
Seulement ce qu'il faut que tu comprennes que certains libanais ont le droit d'aspirer à vivre en paix sans pour autant payer le prix. Tu ferais mieux de faire preuve d'humilité et de nous épargner ta soi-disant connaissance du Liban. La politique libanaise ne peut être comparée à la française, ni même la société. Ce sont deux histoires différentes et deux souffrances différentes.
Qui n'a pas connu l'ampleur des exactions palestiniennes, syriennes, iraniennes par contumance, et israeliennes au Liban, n'a pas le droit de juger les uns et les autres.
Il semblerait que la situation gangraineuse au Liban n'est autre qu'une tribune à partir de laquelle tu t'autorises à donner des leçons aux uns et aux autres. Tu sembles ignorer que tu ne fais qu'attiser la haine en pointant du doigt les uns contre les autres: à ta façon tu contribues à la guerre contre le Liban.
Il n'est plus permis aujourd'hui que la paix passe par des accusations mesquines ou ignorantes. Les réfugiés sont des libanais, et Issa Ghoraeib est Libanais.

Si tu refuses comme nous de soutenir israel dans ces exactions,ce n'est pas une raison pour que ce soit la faute des libanais pacifistes, et qui ont le droit de demander des justifications à celui qui a donné le prétexte aux israeliens de plonger le pays dans la guerre.

Après tout ton texte c'est de la résistance passive? La nôtre elle est active. Et n'oublie pas, nous la faisons à ta place- tous chiites comme chrétiens, pauvres comme riches, francophones ou anglophones, bourgeois ou aristocrates, communistes socialistes et intégristes- toi qui te permets aujourd'hui de donner des leçons.
Finalement nous sommes tous minoritaires et du coup tous victimes d'une politique européenne qui n'a pas fini de nous décevoir.
Les israeliens sont aussi victimes que les chiites, les chiites autant que les chrétiens. Les bourreaux sont les syriens les iraniens les américains et les européens par omission. Nous voulons la paix, et celle-ci ne passera par des écrits comme les tiens.
Essaye de ne pas récupérer une situation pour le profit de ta verve. Occupe-toi de sarkosy et de Ségolène, et au lieu de t'en prendre au quotidien libanais, occupe toi de tes journalistes qui nous assomment en nous arrosant de discours footbalistes et cyclitistes.....et épargne-nous tes explications très tranchées qui ne conviennent à personne.
Ce n'est pas de cette façon qu'on engage un processus de paix.
L'éditorialsite à le droit de demander des explications à celui qui prend justement ceux que tu plains en otage. Au Liabn, il y aun gouvernement et lui seul a habilité à décider de la guerre comme de la paix.
Toi qui baigne dans la démocratie, essaye d'imaginer la France prise en otage par l'ETA, ou les indépendantistes. Si comparaison il y a entre la société libanaise et française , elle est là!

Anonyme a dit…

Bravo pour cette note! L'Orient/Le Jour est d'un sectarisme confessionnel à gerber - ont-ils seulement un journaliste non-chrétien? Et leur couverture du patriarche Sfeïr est comique - l'infaillibilité papale s'étend-t-elle au patriarche maronite?

Bon blog libanais, je commençais à desespérer car il me semblait que la majorité de ces blogs est tenue par des militants des Forces libanaises ou des Gardiens du cèdre...

Ibn Kafka

Anonyme a dit…

Vous devez bien vous ennuyer pour vous intéresser à une cause aussi complexe que celle du Liban!
Je puis vous assurer qu'au Liban, personne n'a plus envie de mourir, en tous cas pas pour une cause qui n'est jamais la nôtre.
Nous sommes aujourd'hui à la veille d'une guerre civile même si les combats se font jusqu'à présent avec des mots.Lorsque ces derniers tariront, les armes prendront la relève. Les chiites n'aiment pas mourir peut-être mais ce sont eux, curieusement, qui détiennent un arsenal digne de l'armée la plus sophistiquée.
Des armes pour "résister" contre l'ennemi Israélien? Sordide prétexte! Bientôt, elles serviront à renverser le gouvernement de Fouad Siniora et prouveront que la Syrie reste omiprésente au Liban en dépit de son retrait "officiel".
Alors, de grâce "Nidal", métro-boulot-dodo me semble la plus sage des causes.En tous cas, je donnerai cher pour être à votre place et vivre dans la dignité.
Oubliez ce pays maudit et surtout, évitez les "clichés" qui mènent à des polémiques stériles.
Pourquoi donc cette colère? Vous avez la chance d'être un non-libanais. Ne voyez-vous pas que c'est une bénédiction?
Cela dit, il est vrai qu'il est de bon ton de défendre les chiites de nos jours : le martyre exerce une fascination macabre. Oui, le chiite, plus que n'importe qui est prêt à mourir: c'est sa religion qui l'a programmé à ce sacrifice; cette même religion qui fait de lui un homme sans peur.
Seriez-vous prêt à mourir pour la France "Nidal"?
Moi je ne voudrais mourir pour aucune cause dans le monde, avant tout la mienne.

Anonyme a dit…

ceci n'est pas un commentaire c une question, auriez vous par hasard gardé copie de cet édito de l'OLJ ? Je travaille sur le LIban et en aurais l'utilité. Merci d'avance
kikidebrou@hotmail.com

Anonyme a dit…

j'aime bien ton blog alors j'ai eu envie de faire un commentaire, je suis de confession musulmane sunnite, et je constate que les chiites sont les seuls a avoir proteger les frontieres du liban sud, au grand desespoir des chretiens qui aurait certainement voulu voir au porte de beyrouth des juifs armés jusqu'aux dents... c'est lamentable de lire des reactions pareilles et on s'etonne de la guerre civile de 1975... Bon sang soyez solidaire il y va de votre survie bandes d'imbeciles

Anonyme a dit…

Helas, l'esprit de l'editorial d'Issa Goraieb le 19 juillet 2006, anime odieusement la propagande du courant du "14 Mars" en 2007. En clamant et en affichant "j'aime la vie", ils sous-entendent que leurs adversaires politiques, chiites d'Amal ou du Hezbollah, aounistes, etc, n'aiment pas la vie.
On voit bien l'abberration et la gravite de tels slogans. Francais residant au Liban, je suis le premier temoin de l'amour de la vie de chaque libanais et en premier lieu des militants du Hezbollah que j'ai rencontre. Comme le dit le commentateur precedent, non seulement ils aiment la vie mais aussi, ils aiment leur terre.

Dr Thierry LEVY-TADJINE
http://dr-thierry-levy-tadjine.blogs.nouvelobs.com

Anonyme a dit…

mon commentaire est tardif mais je viens de tomber sur ton article nidal.
bien ecrit,bien argumenté je me permet de t'en feliciter tu ecris ce que beaucoup de libanais pensent ou du moins j'espere le pense.
tout les libanais aiment la vie...
c'est scandaleux ce qui est ecrit dans l'orient le jour...il faut voir par la meme occasion qui sont les personnes qui ecrivent dans ce journal ....
heureusement que les chiites sont là je ne veux pas m'etaler (la frontiere actuelle, les prisonniers, les ecoles...c'est certainement pas grace a la communauté internationale).
c'est bien naif et decevant de la part de certains de croire que l'attaque des israeliens de 2006 est due a l'enlevement de soldats israeliens.
encore pire, lire qu'il y a certains qui croient que les chiites se serviront de leurs armes "pour renverser le gouvernement siniora" a cette personne qui a l'air bien calée je lui demande de me dire c'est quand que c'est chiites (avant tout libanais) se sont ils serv de leurs armes contre d'autres libanais?
bon sang ouvrez les yeux et unissez vous il n'y a que comme ca que vous pourrez vous en sortir.
acceptez enfin vos differences sinon vous reconstuirez jamais.
la solution ne vous viendra pas sans efforts.

Anonyme a dit…

Bonjour
C'est par hasard que je suis tombé sur cet article bien écrit. Je pense que la révolte de Nidal est tout à fait justifié et il a bien dévoilé les arrières-pensées du journaliste à l'Orient le jour. Cependant il faut clarifier une semi vérité derrière laquelle se cache M. Ghorayyeb et tous ceux qui prétendent comme lui que les chiites ont le culte du martyr. Si leur théorie est vraie, alors tous les Chrétiens ont le même culte du sacrifice à travers le culte de Jésus et son sacrifice. Et pour aller plus loin dans l'histoire comme il a fait Dr. Youssef Hourani (qui pour l'occasion était un Professeur à l'AUB) dans son livre célèbre sur la structure mentale des peuples de l'ancien proche orient, ce culte serait enraciné depuis le début de la civilisation de TOUS LES PEUPLES du Proche-Orient( le croissant ferile). Il suffit de regarder la similitude dans l'ancienne mythologie chez les Phéniciens, les Araméens, les Babylonéens et les Sumériens et comment l'histoire de TAMMOUZ ou ADONIS et son martyr se répète de mille façons dans toute la mythologie et se perpétue à travers le Christianisme( Jésus), le Shiisme (Ali et Hassan et Houssein) et le Soufisme ( HAllaje et Sahrawardi)
et enfin A celui qui a écrit un commentaire au début pour attaquer Nidal et prend la défense de Ghorayyeb et dit (Cela fait deux ans que je suis en France,et je commence à comprendre un peu la rhétorique à la française): Je pense qu'il n'a compris ni le Liban ni la France.

Anonyme a dit…

En 1975 les Chretiens, et surtout les Maronites prechait le culte de la mort et du martyr eux aussi. Prets a mourir pour chasser les Palestiniens du Liban. Alors, je me demande pourquoi ils sont devenu contre, lorsque les Chiite sont devenus prets a la mort pour chasser Israel du Sud. Je me demande jusqu'a quand les Phalanges Libanais vont continuer a faire les mercenaires a deux bals pour Israel. Ils ont trop vite oublie que c'est Israel qui a couvert l'assassinat de Bechir Gemayel en 1982. Elles les a fait rever en detruisons leurs capital, et apres elle les a tape dans le dos.