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03 décembre 2006

Les faux-amis libanais de Ségolène Royal

La visite de François Hollande au Liban était passée totalement inaperçue. La visite de Ségolène Royal, elle, a été très suivie. Suivie en France, puisqu'il s'agit du premier voyage à l'étranger d'une candidate à la présidentielle réputée inexpérimentée en matière de politique étrangère, et suivie au Liban puisqu'elle souhaitait rencontrer «tout le monde» au moment où, justement, il est important pour le gouvernement libanais d'affimer que lui seul bénéficie du soutien sans faille de la communauté internationale (et que personne n'aime le Hezbollah).

Reçue en grandes pompes par Walid Joumblatt à l'aéroport de Beyrouth, qui lui a conseillé de remonter fissa dans son avion, Royal a tout de même tenu à rester au Liban et à rencontrer «tous les partis». Al-Akhbar racontait vendredi que, auteur de l'invitation, Joumblatt s'est illico empressé d'essayer de remettre Ségolène Royal dans l'avion. Dès lors, ses «amis» libanais allaient s'atteler à une tâche particulièrement noble: la piéger.

1. L'a-t-il dit ?

Rencontre vendredi avec la commission des affaires étrangères du parlement libanais. Elle écoute un député du Hezbollah, Ali Ammar. D'après le Monde du 2 décembre:

Au cours de cette réunion, un député du Hezbollah, Ali Ammar, a déclaré en arabe : «Le nazisme qui a versé notre sang et qui a usurpé notre indépendance et notre souveraineté n'est pas moins mauvais que le nazisme qui a occupé la France».
Cependant, il me semble important de noter que ces propos ne sont cités par la presse qu'à partir du lendemain de la réunion (le 2 décembre). Les journaux qui évoquent la rencontre, le premier décembre, ne citent absolument pas cette phrase.

Pour Anne-Marie El-Hage, dans L'Orient-Le Jour (dont on peut légitimement penser que si le député du Hezbollah avait dérivé vers l'antisémitisme face à Royal, ce quotidien pro-gouvernemental l'aurait soigneusement mis en avant):
Ce dernier [Ali Ammar] a d’ailleurs tendu la main à la France, indiquant qu’«elle a un grand rôle à jouer au Liban si elle se démarque de la folie de la politique américaine». Il a observé que «les Libanais sont fiers de leur amitié avec la France et que la résistance du Hezbollah s’inspire de la résistance française contre le nazisme». Il a surtout insisté sur le fait que «la solution aux problèmes du Liban devait nécessairement passer par le règlement du conflit régional israélo-palestinien et israélo-arabe». Mais il a affirmé que son parti «ne refusait pas le dialogue avec d’autres parties libanaises pour sortir de la crise», malgré «l’existence d’obstacles». Ali Ammar a enfin déploré l’image «injuste» de son parti en Occident, se défendant d’être l’allié d’un prétendu axe syro-iranien et insistant sur le fait que son «parti est totalement libanais».
La citation est donc, selon L'Orient-Le Jour: «les Libanais sont fiers de leur amitié avec la France et [...] la résistance du Hezbollah s’inspire de la résistance française contre le nazisme». Voilà qui n'est tout de même pas bien scandaleux...

On peut penser que cette citation est exacte, puisque le quotidien précise que l'éditorialiste de L'Orient-Le Jour Issa Goraieb, particulièrement hostile au Hezbollah, était présent.

Toujours le 1er décembre, l'envoyée spéciale du Figaro, Myriam Lévy, ne semble pas terriblement choquée par les propos tenus par l'élu du Hezbollah. Certes, elle qualifie ainsi ses propos:
Parmi eux figurait un député du Hezbollah, Ali Ammar, qui lui a infligé pendant vingt minutes une diatribe antiaméricaine et anti-israélienne.
Le député chiite n’a fait référence aux Etats-Unis que sous le vocable de «la démence politique». Il a comparé l’intervention israélienne au Liban à l’occupation de la France par les nazis, et le combat du Hezbollah à la Résistance française. Reprenant la parole, Royal se fit pourtant aimable. «Il y a beaucoup de choses que je partage dans ce que vous avez dit», dit-elle. Et d’ajouter : «notamment votre analyse du rôle des États-Unis.»
Pas de citation exacte, donc, juste l'évocation d'une «comparaison», qui pourrait très bien être celle rapportée par L'Orient-Le Jour. Il faut noter qu'à ce moment, le véritable scandale pour la journaliste du Figaro, c'est l'«assaut d'antiaméricanisme» que Ségolène Royal fait en acceptant le propos du Hezbollah. À aucun moment elle ne revient sur les propos sur le nazisme:
La France, certes, n’est pas sur la ligne diplomatique de Washington au Proche-Orient, mais de là à se trouver en phase avec le Hezbollah! Il y a une marge que Royal n’a pas semblé mesurer sur le moment. À la fin de la réunion cependant, elle voulut rectifier : «Je ne voudrais pas que ce que j’ai dit soit confondu avec l’action globale des États-Unis.»
Le lendemain, le site du Figaro a changé de thème. Travaillant désormais sur dépêche (notamment une dépêche Reuters titrée «Royal condamne les propos “abominables” d'un élu du Hezbollah»; cette dépêche est publiée sur le site de L'Express), le Figaro indique que la déclaration est devenue la suivante:
Lors d'une rencontre vendredi entre Ségolène Royal et 17 députés de la commission des Affaires étrangères de l'Assemblée nationale libanaise, le député du parti chiite pro-syrien, Ali Ammar, a déclaré en langue arabe : «Le nazisme qui a versé notre sang et qui a usurpé notre indépendance et notre souveraineté n'est pas moins mauvais que le nazisme qui a occupé la France».
Toutes les brèves, dès lors, insistent sur le fait suivant: ce sont les journalistes qui ont entendu le mot «nazya» en arabe:
Ses propos, nichés dans un long exposé, étaient traduits en langue française par deux traductrices, une pour la candidate socialiste et ses conseillers, et une autre pour les journalistes français. Le mot «nazya», prononcé deux fois en langue arabe, a été clairement entendu par les journalistes.
Il faut bien noter que L'Orient-Le Jour avait bien entendu le mot «nazya», mais simplement dans la phrase suivante: «la résistance du Hezbollah s’inspire de la résistance française contre le nazisme». Il est assez risible d'apprendre que la «preuve» (on a entendu «nazya» dans une phrase) repose sur le témoignage des journalistes français, selon le Monde (qui reprend ici le texte de la dépêche Reuters):
Le mot «nazya», prononcé deux fois en arabe, a été entendu clairement par de nombreux journalistes français présents dans la salle.
Pour être clair: la phrase selon laquelle le député du Hezbollah aurait prétendu que ses nazis à lui étaient pires que nos nazis à nous n'est pas sourcée. Le soir de la rencontre, les médias n'en parlent pas, et L'Orient-Le Jour (présent et très hostile au Hezbollah) fait une citation très différente et totalement anodine. Vendredi, le seul «scandale» relevé par la presse était la complaisance anti-américaine de la candidate. La «preuve» que reprennent tous les médias est, depuis samedi, le fait que les journalistes français ont entendu deux fois le mot «nazya» dans un discours de vingt minute en arabe. Évidemment, pour LCI, c'est une «polémique».

2. A-t-elle condamné ?

Pour tout de même prouver qu'il l'a bien dit, les articles insistent sur la «condamnation» qu'aurait faite Ségolène Royal des propos d'Ali Ammar. Évidemment, s'il y a condamnation, c'est qu'il y a faute.

Le Figaro titre: «Royal condamne les propos “abominables” d'un élu du Hezbollah»; même titre dans L'Express qui reprend une dépêche Reuters. Pour Le Nouvel Obs, qui reprend une dépêche de l'Associated Press, c'est carrément «Nazisme: Ségolène Royal “condamne” les propos “inadmissibles’ du député du Hezbollah». Diantre, que d'originalité...

La dépêche de l'AP est très caractéristique de la tournure alambiquée adoptée par les médias:
Ségolène Royal a «condamné» samedi les propos «inadmissibles, abominables, odieux» tenus la veille devant elle par un député du Hezbollah comparant implicitement l'occupation passée du Liban par Israël au «nazisme qui a occupé la France», propos qu'elle a affirmé ne pas avoir «entendus».
Lorsqu'on lit attentivement ce paragraphe, on ne peut que le trouver particulièrement tiré par les cheveux. Et pour cause, puisque la citation complète serait, selon Le Monde:
«Que les choses soient bien claires: ces propos qui auraient été inadmisissibles, abominables, odieux, auraient entraîné de notre part un départ de la salle. Nous n'avons pas entendu ces propos», a-t-elle insisté. La candidate socialiste a expliqué qu'elle n'avait pas réagi tout de suite car elle n'avait pas entendu ce qualificatif prononcé en arabe.
Autant de conditionnels, ça finit par piquer les yeux. «Ces propos qui auraient été inadmissibles», si je sais encore lire, ça n'est pas du tout une condamnation des propos du député Ali Ammar, c'est la condamnation de propos hypothétiques, au cas où ils auraient été tenus.

Car, non seulement samedi Ségolène Royal continuait-elle d'affirmer:
«Je n'ai pas entendu cette comparaison et si cette comparaison avait été faite, que ce soit moi ou que ce soit l'ambassadeur de France qui était à mes côtés et qui n'a pas non plus entendu ces propos, nous aurions quitté la salle.»
mais aussi:
«Nous n'avons pas entendu ces propos.»
Le Monde précisant même «qu'elle n'avait pas réagi tout de suite car elle n'avait pas entendu ce qualificatif prononcé en arabe».

À ce stade, l'excuse est qu'elle n'a pas «entendu», et encore moins «en arabe»!

Surtout, ses premières déclarations sont claires: non seulement elle ne l'a pas entendu (pas plus que L'Orient-Le Jour ne l'avait entendu), mais en plus elle soutient que ces mots n'ont pas été prononcés (elle a donc entendu qu'ils n'avaient pas été dits):
La candidate socialiste a tenu à préciser : «je continuerai à dialoguer, n'en déplaise à certains, avec tous les parlementaires ou toutes les autorités démocratiquement représentatives et je ne laisserai pas déformer le contenu d'une réunion ou les propos pour m'empêcher de continuer à parler», a-t-elle poursuivi, sans préciser si elle rencontrerait des élus du parti palestinien Hamas lors de son déplacement à Gaza.
D'autres dépêches citent Ségolène Royale affirmant qu'il s'agit d'une déformation du contenu de la réunion. Et on peut constater que, dans sa «condamnation tardive» du samedi matin, elle persiste à ne pas admettre que ces propos ont été réellement tenus (elle utilise le conditionnel).

3. Et s'il l'avait dit ?

Cette histoire grotesque me semble fabriquée de toutes pièces, le scandale ne reposant que sur trois dépêches (AFP, Reuters et AP) aux formulations peu claires et des mots «en arabe» entendus par des reporters français.

Cependant, il n'est pas inimaginable non plus qu'un député du Hezbollah compare l'armée israélienne aux nazis. Ces gens étant généralement très subtiles, je doute qu'il se soit livré à cet exercice dans de telles circonstances. Mais d'un autre côté, qu'un membre du Hezbollah fasse cette comparaison ne serait pas totalement impossible, cette comparaison étant fréquente au Liban, et pas seulement parmi les membres du Hezbollah.

Il faudrait alors m'expliquer en quoi ces propos mériteraient les qualificatifs de «inadmissibles, abominables, odieux». Déplacés, exagérés, faux, certainement. Mais «abominables»?

Reprocher au membre d'un parti qui lutte depuis des années contre une armée d'occupation dont les exactions dans le sud du Liban ont été abominables, odieuses, inadmissibles, qui se livre à la ségrégation ethno-religieuse, qui soutenait des milices fascistes au Liban (Armée du Liban Sud, Forces libanaises), qui a encouragé la torture à grande échelle (Khiam), appliqué systématiquement la punition collective sur les populations civiles, qui laisse sciemment derrière elle des mines et des sous-munitions qui tueront des civiles pendant des années après la guerre... lui reprocher de comparer cette armée à l'armée nazie en utilisant les termes d'«odieux» et «abominable» me semble relever d'une indignation quelque peu forcée.

Encore une fois: la comparaison avec le nazisme est à mon avis exagérée, fausse, pas pertinente... Point sur lequel je suis souvent en désaccord avec mes amis libanais et palestiniens. Elle revient cependant très habituellement: en premier lieu pour essayer d'expliquer aux Français leur propre notion de la Résistance (l'analogie avec la Résistance française étant utile pour faire comprendre qu'il s'agit pour eux de nationalisme, de stratégie et de politique, et non d'un désir atavique des musulmans à se faire exploser pour retrouver des vierges au paradis), en second lieu pour qualifier la politique israélienne (qu'ils considèrent raciste, autoritaire et guerrière) et les exactions de l'armée israélienne (en un mot comme en cent: «fasciste»). Mais l'analogie stricte avec le nazisme ne me semble ni utile ni pertinente.

Cependant je ne vois pas en quoi elle serait «inadmissible, abominable, odieuse».

D'autant que, pour ne pas changer, une condamnation aussi forte renvoie à nouveau au «deux poids deux mesures» habituel.

Lorsque Georges Bush se livre à d'innombrables analogies entre Saddam Hussein et Adolf Hitler, est-ce seulement idiot et non pertinent, ou carrément «inadmissible, abominable, odieux»?

Lorsque Bill Clinton fait des analogies entre Milosevic et Adolf Hitler, est-ce encore «inadmissible, abominable, odieux», ou seulement un peu crétin?

Plus proche de notre affaire: lorsque Walid Joumblatt, l'ami «socialiste» se répand depuis des mois en comparaisons entre Bachar Assad et Hilter, entre le régime syrien et le régime nazi, Ségolène Royale trouve-t-elle cela «inadmissible, abominable, odieux»? Pourquoi, lorsqu'il fait ces analogies (qui, de fait, reviennent à minorer les crimes nazis...) à chaque fois qu'il passe sur LCI, à aucun moment Vincent Hervouët ne le reprend-il?

Faut-il rappeler qu'en décembre 2004, le même n'était apprécié ni des néo-conservateurs ni du Memri? Déclarations fracassantes sur le fait que, lorsqu'un sioniste meurt, le monde se porte mieux; ses regrets que l'attentat contre Wolfowitz à Bagdad ait échoué; etc. L'homme s'était alors vu retirer son visa diplomatique pour les États-Unis. Ses déclarations étaient-elles alors plus, ou moins, «inadmissibles, abominables, odieuses» qu'une comparaison entre l'armée nazie et l'armée israélienne?

La condamnation «hypothétique» par Ségolène Royal d'une telle comparaison est évidemment comprise ainsi par les Libanais et les Palestiniens: on a le droit de traiter n'importe qui d'Adolf Hitler et de nazis... sauf les Israéliens. Rien de nouveau sous le soleil.

[Addition du 5 décembre] Mr Ripley reproduit la confirmation (Libération du lundi 4 décembre) des propos par Ali Ammar lui-même: «Rencontre avec Ali Ammar» par Isabelle Dellerba.
Pensez-vous que Madame Royal a entendu tout ce que vous lui disiez ?
Il y avait un traducteur.

Ces propos signifient-t-il que vous comparez Israël à l’Allemagne nazie ?
Bien sûr. Le nazisme contre lequel nous nous battons au Liban est encore plus cruel que celui contre lequel vous vous êtes battus en France. Israël a tué beaucoup de femmes et d’enfants dans cette région ces 50 dernières années. Je ne cherche pas à comparer les chiffres. Ce n’est pas une question de nombre de morts. Tout parti qui commet des crimes organisés contre l’humanité est une entité nazie. Nous ne voyons pas de différence entre une forme de nazisme et une autre
Dont acte. Quand on demande explicitement à un membre du Hezbollah s'il compare la politique israélienne au nazisme, il répond oui; ce qui n'est pas une surprise.

[Addition du 7 décembre; merci à Manuel pour le lien] Cependant, selon un membre arabisant de l'ambassade de France interrogé par le Nouvel Observateur, voici «Ce qu'a dit exactement le député du Hezbollah»:
«Nous nous inspirons de toutes les formes de résistance contre les occupants, y compris les méthodes utilisées par la Résistance contre les nazis.»
L'information a été recueillie à l'ambassade de France lundi 4 décembre par Farid Aïchoune, journaliste au service étranger du Nouvel Observateur, envoyé spécial du journal au Liban.
Phrase extrêmement proche de la première version publiée par L'Orient-Le Jour.

4. Qui veut empêcher quoi?

Très clairement visibles dans les sujets télévisés consacrés aux déclarations de Ségolène Royal, également signalés dans les brèves citées ici, mais jamais commentés: son air très agacé, son énervement lorsqu'elle porte des accusations très claires et graves.

Selon Le Nouvels Obs (dépêche Reuters):
«Personne ne m'empêchera de discuter avec des personnalités démocratiquement élues», a-t-elle ajouté, alors qu'elle avait affiché son intention de discuter avec toutes les composantes politiques au Liban, y compris les représentants du Hezbollah.
Selon Le Monde:
La candidate socialiste a tenu à préciser: «je continuerai à dialoguer, n'en déplaise à certains, avec tous les parlementaires ou toutes les autorités démocratiquement représentatives et je ne laisserai pas déformer le contenu d'une réunion ou les propos pour m'empêcher de continuer à parler», a-t-elle poursuivi, sans préciser si elle rencontrerait des élus du parti palestinien Hamas lors de son déplacement à Gaza.
Sur LCI, elle accusait «ceux qui veulent l'empêcher de rencontrer tout le monde».

Qui sont ces «certains», qui veut l'«empêcher de continuer à parler», qui veut l'«empêcher de discuter avec des personnalités démocratiquement élues»? Mais de qui parle donc Ségolène? Est-ce Walid Joumblatt, comme le suggérait Al-Akhbar dès vendredi matin? Est-ce l'ambassade de France, en mission de torpillage commandée par Chirac? Est-ce que ce sont d'autres personnalités du 14 Mars?

5. Nos bons amis

Ségolène Royal a annoncé, comme François Hollande avant elle, qu'elle maintiendrait les lignes générales de la politique française au Liban.

C'est ça.

En n'oubliant pas que, dès qu'on n'obéit pas aux recommandations de «nos amis» du 14 Mars, qu'on rencontre le Hezbollah, qu'on annonce qu'on rencontrera le Hamas, alors la machine à propagande Hariri-Chirac se met en branle, et on se retrouve embringuée dans un scandale antisémite. En n'oubliant pas que, pour la défense de cette «politique française au Liban», elle vient de se faire lyncher.

Espérons que Ségolène Royal n'oubliera pas ce qu'elle doit à ses «bons amis» libanais.

Entre Ségolène Royal et les gens qu'elle veut rencontrer au Liban, il y avait comme un gros obstacle (photo Reuters).

6. Les faux-amis français du monde arabe

[Additif du lundi 4 décembre.] Aujourd'hui, L'Orient-Le Jour revient sur la «polémique». Malgré les dénégations du Parti socialiste français, c'est clairement une défaite en rase campagne pour les amis du monde arabe. Pour la politique intérieure française, je ne sais pas (et je m'en fiche); pour l'espoir d'une démarche en politique moyen-orientale indépendante et/ou courageuse, c'est rapé.

Sur iTV, à l'instant, un représentant du Parti socialiste (son nom m'échappe) explique que, de toute façon, l'accueil réservé par Israël à Ségolène prouve qu'elle s'est bien comportée. On est donc heureux d'apprendre que, pour le PS, recevoir l'approbation israélienne prouve qu'on n'a rien fait de mal.

Dans une logique très comparable, on apprend de L'Orient-Le Jour que Julien Dray s'est exprimé... sur Radio J. Quant à François Hollande, c'est sur Radio communauté juive. Hollande trouve une nouvelle explication, totalement incohérente avec tout ce qui est noté ci-dessus:
S’exprimant sur Radio communauté juive (RCJ), M. Hollande, également compagnon de la candidate PS à la présidentielle, a fait état des informations en sa possession selon lesquelles «la traduction donnée à Ségolène Royal et à l’ambassadeur n’était qu’une traduction abrégée, sommaire, qui ne comportait pas tous les propos rapportés par ailleurs aux journalistes».

«Le Hezbollah a tenu des propos, comme d’habitude, provocateurs, insultants, elle y a réagi, comme elle devait y réagir» car une fois qu’elle a eu «la traduction», elle a «dit combien ces propos étaient inacceptables», a expliqué M. Hollande. «Je trouve cette polémique déplacée», a-t-il souligné. Le premier secrétaire a jugé que si «le Hezbollah était un parti politique au Liban, ce n’était pas un parti comme les autres, puisque c’est une organisation militaire, provocatrice». Pour lui, Ségolène Royal a eu «raison d’aller» au Liban.
Tous aux abris. La logique qui consiste, pour des élus socialistes, à accourir sur des radios communautaires juives dès qu'un soupçon de critique à l'égard de la politique israélienne est émis ne cesse de me sidérer.

Mais le plus important est soigneusement écarté de la plupart des commentaires, parce que ce serait reconnaître la logique de toute l'opération: Ségolène Royal ne rencontrera finalement pas les élus du Hamas:
Quelques heures plus tard, Jean-Louis Bianco, son directeur de campagne, expliquait à la presse qu'une rencontre avec des élus du Hamas n'aurait été possible que sous certaines conditions : reconnaissance de l'Etat d'Israël, formation d'un gouvernement d'union nationale. Conditions que Mme Royal n'avait cependant pas énumérées quand elle avait dit qu'elle «évaluerait les propositions» de rendez-vous qui pourraient lui être faites.
Le message est visiblement bien passé.

14 commentaires:

Anonyme a dit…

très instructif omme d'habitude, merci Nidal

double objectif des médias dominants en France, d'une part discréditer comme d'hab le Hezbollah, ensuite pour ceux qui sont enplus à la solde des adversaires de Ségolène (de gauche comme de droite)discréditer la royale même s'il savent que sa politique au Proche Orient sera celle dictée par Julien Dray

nayla a dit…

information-desinformation... bravo antenne 2
une equipe est a beyrouth et, filmant le 1er jour du sit-in de l'opposition, a annoncé: pour la 1ere fois, on voit des chretiens et des musulmans manifester côte a côte !

Anonyme a dit…

Merci pour ces précisions Nidal. Très instructif, ainsi que le dit Kalima.

Sophia a dit…

Nidal,

Il semblerait que le jargon politique des US à propos d'Israel ait fait son chemin dans les discours des hommes politiques en France. Le 'Israel a le droit d'exister de Ségolène' est la traduction directe du leitmotiv 'Israel has the right to exist' qu'on entend souvent outre-Atlantique.

Anonyme a dit…

Tout s'éclaire, merci beaucoup pour cette excellente analyse de ce qui s'est (se serait) passé.

Cette histoire me paraissait vraiment fumeuse, c'est clair qu'il y a derrière tout ça une manipulation pas piquée des vers...
Et le député du hezbollah, qu'est-ce qu'il en pense de tout ça?

Sophia a dit…

Nidal,

Ton titre se confirme de plus en plus. Je viens de lire dans Le Monde que l'UMP est déjà dans la récupération à grande vitesse.
Si être indexpérimenté en politique étrangère veut dire qu'on n'est ne fait pas encore partie de l'establishment politico-mafieux qui conduit les affaires du Monde contre la volonté des peuples et des nations, je préfère alors un candidat inexpérimenté en politique étrangère et souhaite qu'il le reste pendant toute la durée de son mandat.
Je souscris à ce que Ségolène a déclaré jusqu'à maintenant.

Anonyme a dit…

Bref, y'en a qui joue au jeu du téléphone arabe on dirait ! La version finale de la phrase (reprise par les médias) n'a plus rien à voir avec la version initiale (original) !

Anonyme a dit…

Bonjour,
j'arrive sur ce site à pour la première fois, sur le conseil d'un de vos lecteurs qui renvoit vers vous depuis un blog que je fréquente régulièrement (radical chic).
Merci de votre analyse, claire, documentée et précise (vous au moins, vous citez vos sources !). Votre argumentation est bien construite, cohérente et convainquante, ce qui ne vous empêche pas d'exprimer clairement votre opinion. Nous sommes bien loin des approximations fréquentes de la presse française sur des sujets que la plupart des journalistes maîtrisent mal (mais ça n'a pas l'air très simple ;-), et tout aussi loin des slogans et autres discours de propagande venant de toutes les parties présentes dans la région (je dis bien: toutes).
Puisse votre effort d'information et d'argumentation posée et rationnelle contribuer à une solution pacifique et raisonnable de la situation inquiétante au Proche et au Moyen-Orient

Anonyme a dit…

je suis tout à fait d'accord avec Sophia.

Aussi, avons nous discuté autant les bourdes (réelles celles là) du Ministre Français des Affaires Etrangères.

Anonyme a dit…

Quelle a été la réaction de la presse orientale quand elle a déclaré quelle avait des convergences de vue avec le hezbollah (soit, c'est normal) "Surtout sur les etats unis" (ce qui est moins normal vu la diatribe antiaméricaine qui a eu lieu devant elle).

Laurent GUERBY a dit…

Merci pour ce billet.

Anonyme a dit…

Bonjour,
c'est la première fois que je viens sur ce site (sur les conseils d'un ami), et j'avoue que je ne m'attendais pas à une telle argumentation (pas systématique sur les blogs...). Bravo! et merci.
Je reviendrai.

H

Anonyme a dit…

Sous le point 4, c'est sans doute moins Hariri jr, qui, s'il est c... comme ses pieds se fiche d'Israël comme de sa première Ferrari, mais plutôt la clique pro-étatsunienne et pro-israëlienne, au PS (j'ai été personnellement étonné de la retenue de Juju Dray dans ses propos, du moins juqu'à aujourd'hui), à l'UMP et chez... les Verts (eh oui, Voynet a rejoint la meute...). Ils ont fichtrement bien réussi leur mission, et Ségo a donné d'elle une image qui déçevra les partisans de la justice au Moyen-Orient, et qui paraîtra trop molle aux ultras, qu'ils soient sionistes, atlantistes ou arabophobes...

Anonyme a dit…

Merci pour l'éclairage. Que de glose et de névrose sans se soucier in prime de revenir à ce qui a été exactement formulé, je suppose que le travail que vous avez mené ne dépasse pas le champ de compétence d'un journaliste encarté. Loin de vouloir défendre Mme Royal, elle est en apprentissage des complexités qui dépassent de si loin le cynisme redondant du Quay D'Orsay. Votre titre est très juste.