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23 août 2006

Le Memri pour source d'information

Et voilà que, depuis quelques temps, de désintéressés lecteurs me font passer des «informations» destinées à mon édification personnelle, sous le forme d'articles intégralement reproduits, et généreusement traduits en français ou, au moins, en anglais.

Source de ces «traductions»: le Memri, «Middle East Media Research Institute». Ça fait toujours plaisir d'être pris pour une bille...

Les travaux de cet «institut», basé à Washington, consistent à combler une lacune des journalistes occidentaux: la méconnaissance absolue des langues orientales. De fait, les seules sources d'information au sujet du Moyen-Orient, accessibles, sont très orientées: les «grands» médias occidentaux internationaux et, essentiellement, les médias israéliens traduits en anglais. Pour le reste, on trouve L'Orient-Le Jour en français et Nahar en anglais, affreusement orientés, et ça ne va pas tellement plus loin. J'imagine que les envoyés spéciaux des médias français à Beyrouth dépendent également du bon vouloir de leurs accompagnateurs qui, quand ils rentrent le soir, lisent religieusement L'Orient-Le Jour à leur vieille tante d'Achrafieh. Ah si, vous pouvez toujours consulter l'agence de presse de la Républiqe arabe syrienne SANA, mais c'est évidemment assez partiel.

C'est là qu'intervient le Memri. Cette «ONG» offre gratuitement des traductions de sujets d'actualité, notamment traduits du farsi et de l'arabe. Pour le journaliste occidental, cet accès à de telles sources est une véritable bénédiction, puisque cela permet de réellement d'«accéder à la source».

L'activité de propagande de Memri a été dévoilée dès 2002 par un article du Guardian britannique. L'article de Brian Whitaker, «Selective Memri», est consultable en ligne. Une traduction en français de cet article est publiée sur Bellaciao.

Comme moi, Brian Whitaker a pu constater l'utilité de ces traductions gratuites:

Depuis quelque temps je reçois des petits cadeaux de la part d’un institut très généreux ayant son siège au USA. Les cadeaux prennent la forme d’une excellente traduction d’articles de journaux arabes, l’institut me les envoie par mail tous les quelques jours et ceci sans aucun frais pour moi. Ces mails parviennent aussi à de nombreux politiciens, universitaires, et journalistes. Les histoires qu’ils contiennent sont en général très intéressantes.
Le but officiel de Memri:
Selon son site web, le but de Memri serait de réduire le fossé linguistique entre l’Ouest – où peu de gens parlent l’arabe – et le Moyen-Orient et ceci grâce à des «traductions d’articles opportuns parus dans les médias arabes, farsi,ou hébreux».
En septembre 2005, le Monde diplomatique a publié un article exposant à son tour le fonctionnement du Memri: «Désinformation à l'israélienne», par Mohammed El Oifi.

Dans ces articles, nous apprenons que le Memri a été fondé en 1998 par le colonel Ygal Carmon, membre pendant 22 ans des services de renseignement israéliens avant de devenir conseiller pour le contre-terrorisme des Premiers ministres Shamir et Rabin. Selon le Guardian:
La consultation de l’une des pages d’archives web désormais supprimée nous livre la liste du personnel de Memri. Parmi les six personnes nommées, trois – en comptant Carmon – sont décrites comme ayant travaillé dans les services secrets israéliens.

Parmis les trois autres, l’un a servi dans le Commandement Nord du Corps d’artillerie de l’armée israélienne, l’un a une carrière universitaire, et le sixième est un ancien comédien intermittent.

La co-fondatrice de Memri avec le Colonel Carmon n’est autre que Meyrav Wurmser, qui dirige aussi le Centre pour la politique du Moyen-Orient (Center for Middle East Policy) au Hudson Institute [...].

L’omniprésent Richard Perle, président du conseil d’administration de la politique de défense du Pentagone, vient d’entrer au conseil d’administration du Hudson Institute.
L'activité principale de Memri est la sélection d'articles selon des critères bien précis. Selon le Guardian:
[...] soit elles donnaient un reflet négatif des Arabes, soit elles encourageaient l’agenda politique israelien. Je n’étais pas le seul à éprouver ce malaise.

Ibrahim Hooper [...] a souligné dans le Washington Times que «Memri n’avait d’autres fins que de trouver les pires propos qui soient dans le monde musulman et de les diffuser aussi largement que possible».
Pour le Monde diplomatique:
Il [Memri] a tendance à présenter comme majoritaires des courants d’idées très minoritaires dans la presse et les médias arabes. Ainsi, le lecteur non arabophone qui se contenterait de la lecture de ces traductions aurait l’impression que les médias arabes sont dominés par un groupe d’auteurs fanatiques, antioccidentaux, antiaméricains et violemment antisémites que combattraient quelques braves mais rares journalistes, que le Memri qualifie de «libéraux ou progressistes».
À ce stade, la dépendance d'un grand nombre de journalistes occidentaux aux traductions d'une émanation des services israéliens pour accéder aux écrits en arabe et en farsi est déjà problématique du seul fait de la sélection opérée.

Le second travers de l'activité «bénévole» du Memri est la traduction déformée des propos des auteurs. Un exemple donné par le Diplo:
Le professeur Halim Barakat, de l’université Georgetown (New York), aux États-Unis, a fait, lui aussi, les frais de ces méthodes. L’article qu’il a écrit dans le quotidien londonien Al-Hayat sous le titre «Ce monstre créé par le sionisme: l’autodestruction» a été reproduit par le Memri, explique son signataire, sous «un titre incitant à la haine: “Jews Have Lost Their Humanity” [Les juifs ont perdu leur humanité]. Ce que je n’ai pas dit... Chaque fois que j’écrivais “sionisme”, le Memri remplaçait par “juif” ou “judaïsme”. Ils [le Memri] veulent donner l’impression que je ne suis pas en train de critiquer la politique israélienne et que ce que je dis, c’est de l’antisémitisme». À peine cette traduction mise en ligne sur le site du Memri, l’auteur a reçu «des lettres de menaces» dont «certaines disent que je n’ai pas le droit d’enseigner dans les universités» – il a enseigné plus de trente ans –, «que je n’ai pas le droit d’être professeur et que je dois quitter les États-Unis...».
Le troisième axe de son activité consiste, purement et simplement, à lancer de grandes campagnes de manipulation au service des néoconservateurs et du gouvernement israélien. Résumé par le Monde diplomatique:
C’est lui qui a lancé, en 2001, une campagne de dénonciation des manuels scolaires palestiniens, largement infondée, pour faire croire que ceux-ci attisaient l’antisémitisme. En 2004, il réussit, avec notamment le relais du site Proche-Orient.info [...], à exploiter les «dérapages» de la télévision du Hezbollah, Al-Manar, pour faire interdire celle-ci en France, suscitant des protestations de l’association Reporters sans frontières. Il a activement participé à la campagne qui a abouti à la fermeture du centre Cheikh Zayed aux Émirats arabes unis.
On peut suspecter que, pour beaucoup de médias occidentaux, les «traductions» du Memri sont le principal, si ce n'est l'unique, accès à des auteurs arabes. Comme l'expliquent le Guardian et le Monde diplomatique, ça n'est pas sans conséquences.

Cela dit, je ne peux que reprendre la conclusion de Brian Whitaker, car il ne faudrait pas tomber dans la seule dénonciation de l'«activisme» israélien et américain en matière de propagande. Son indispensable complément, c'est la passivité des auteurs et intellectuels arabes à tout simplement essayer de se faire entendre ici.
Il n’est pas difficile de voir ce que les arabes pourraient faire pour contrer cela. Des groupes de médias arabes pourraient s’associer et publier eux-mêmes des traductions d'articles reflétant plus justement le contenu de leur journaux.

Cela ne serait pas au-dessus de leur moyens. Mais comme toujours ils préféreront peut-être ne rien faire et ronchonner contre les machinations des retraités des services secrets israéliens.
À mon petit niveau, je dois constater que, autant je rencontre des Libanais et des Palestiniens qui maîtrisent le français ou l'anglais, qui ont beaucoup de choses à dire sur leur région (et qui sont en plus particulièrement remontés...), autant suivre l'actualité du Liban via la blogosphère francophone ou anglophone démontre une incroyable vitalité des blogueurs pro-américains (pour simplifier...) et la quasi absence de positions opposées (disons: pro-Georges Corm ou pro-Alain Gresh!).

Je rappelle donc qu'il n'est pas nécessaire d'obtenir une autorisation du Mossad pour s'exprimer sur le Web.

12 commentaires:

Anonyme a dit…

Autre traduction volontairement déformée du MEMRI ayant eut beaucoup de succès, parmis les (paresseux?) medias occidentaux: le prétendu commentaire d'Ahmedinejad au sujet d'Israel "à rayer de la carte" -- Le Pr Juan Cole (US) a à plusieurs reprises précisé qu'il a été intentionnellement mal traduit par MEMRI:

http://www.juancole.com/2006/05/hit
chens-hacker-and-hitchens.html


http://www.juancole.com/2006/05/bi
ll-scher-importance-of-cole-v.html


http://www.juancole.com/2006/05/an
other-fraud-on-iran-no-legislati
on.html

Et pourtant cela continue à être affirmé... Alors paresse, ou soumission.

PS: j'ai coupé les liens pour qu'ils puissent apparaitre

Anonyme a dit…

"Il [Memri] a tendance à présenter comme majoritaires des courants d’idées très minoritaires dans la presse et les médias arabes."

Les traductions de MEMRI sont très bonnes, et si j'en crois les resultats des rares elections dans la region,les fanatiques dans le monde musulman ne representent pas des courants d’idées très minoritaires, bien au contraire. Cependant on peut dire que MEMRI ne présente QUE les courants fanatiques (ou arabe néo-cons qui eux sont trés minoritaires), ce qui est evidemment réducteur.

Anonyme a dit…

Deux sources d'informations objectifs en anglais existent. Ces deux programmes télévisuels sont accessibles par internet.
Link TV qui a une émisson chaque jour sur les TV du Moyen-Orient traduits en anglais: "MOSAIC, World news from the Middle-East":

http://www.linktv.org/

Et Democracy Now! qui a aussi une émission journalière (sauf le week-end) où Amy Goodman invite assez régulièrement des intervenants du Moyen-Orient opposés à Bush et ses alliés:

http://www.democracynow.org/

Nidal a dit…

Vox: «les resultats des rares elections dans la region,les fanatiques dans le monde musulman ne representent pas des courants d’idées très minoritaires, bien au contraire.»

Pourquoi le «monde musulman»? Si on se concentre sur la «région» dont traite mon petit blog, se focaliser sur les «fanatiques» du «monde musulman» oriente immédiatement la réflexion, et pas forcément vers la compréhension de la réalité.

Les électeurs du Hamas en Palestine ont-ils voté pour un parti «fanatique» qui prétendrait imposer la loi islamique? Ou pour un parti qui résiste et qui n'est pas compromis dans la corruption? (Et sans doute une foule d'autres préoccupations non religieuses.)

Les Israéliens succombent-ils à une quelconque forme de «fanatisme» (qui, évidemment, ne serait pas «musulman»)?

La légitimité du Hezbollah vient-elle, auprès de ses partisans, de son «fanatisme»? À l'inverse, en quoi d'autres partis libanais, membres du gouvernement, tels que celui de Joumblatt, les phalanges chrétiennes et les forces libanaises ont-elles un passif qui permettrait de les considérer comme non «fanatiques»; évidemment, la restriction initiale au «monde musulman» permet d'éviter la question.

Si le «fanatisme» est la question, pourquoi certains «fanatiques» sont-ils des pays clients des États-Unis, alors que d'autres seraient des ennemis sur ce seul critère de fanatisme? Pourquoi les principaux «ennemis» de l'Occident dans la région étaient-ils l'Irak et la Syrie, aux régimes laïcs?

Ou bien ce «fanatisme islamique» n'est-il qu'un alibi pour tout autre chose?

Anonyme a dit…

Eh,bien!voici un article qui a "fait mouche"vu le nombre de réactions rapides!cela prouve que nous sommes un certain nombre à connaitre MEMRI et j'espère que votre intervention va développer leur lectorat!Cela me renvoie à"La Guerre israélienne de l'information"(Denis Sieffert et Joss Dray-La Découverte-2002)

Anonyme a dit…

Nidal a dit :
"Je rappelle donc qu'il n'est pas nécessaire d'obtenir une autorisation du Mossad pour s'exprimer sur le Web."

En effet, mais
1) nous n'avons pas tous votre talent
2) ça viendra mon cher, ça viendra...

Jad (Paris)

Anonyme a dit…

Voici un autre excellent exemple de la désinformation de la presse notamment aus USA, à noter que les intervenants sont également israeliens:

http://video.google.com/videoplay?docid=-7828123714384920696&sourceid=docidfeed&hl=en

Anonyme a dit…

Abu Aardvark est un autre blog anglophone qui contient parfois des traductions d'articles arabes. Mais il est vrai que le biais est impressionant, et il vaut dans l'autre sens - l'opinion des pays arabes a du mal à distinguer ses amis de ses ennemis - cf. le cas de Bernard Kouchner: http://www.blog.ma/obiterdicta/index.php?action=article&id_article=10488 ...

Anonyme a dit…

Un député canadien décrit en vrai politiquement correct les réalités du récent conflit entre Israël et le Hizballah:

Cherchant à discréditer les députés d'opposition qui prônent un dialogue avec le Hezbollah, le député conservateur Jason Kenney a comparé, mardi, la milice chiite libanaise au parti nazi allemand.

«Je rappelle qu'il y a un autre parti politique démocratique qui faisait partie du gouvernement dans les années 30 en Allemagne, qui a offert des services sociaux auprès de la population et qui, comme le Hezbollah, était dédié à la haine contre les juifs, a déclaré M. Kenney en conférence de presse. C'a été le parti nazi, qui avait une certaine popularité en Allemagne à ce moment-là. On doit apprendre les leçons de l'histoire. Pas les répéter.»

Secrétaire parlementaire du premier ministre Stephen Harper, Jason Kenney a été chargé par les conservateurs de tirer profit des propos controversés tenus ce week-end par des députés de l'opposition en tournée au Proche-Orient.

Même si le gouvernement conservateur n'a aucunement l'intention de discuter avec des représentants du Hezbollah, M. Kenney a indiqué qu'Ottawa maintiendrait ses relations diplomatiques avec le gouvernement libanais, dont font pourtant partie deux ministres issus de la milice.

«Nous n'aurons aucun entretien avec les représentants du Hezbollah, (y compris) les deux membres du cabinet libanais, mais nous avons évidemment des relations diplomatiques avec le Liban, a-t-il reconnu. On va continuer dans le même sens.»

Aux yeux de Jason Kenney, le Canada n'a aucun rôle à jouer en ce qui a trait au désarmement du Hezbollah, prévu par la résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies.

Interrogé sur les critiques que le premier ministre libanais, Fouad Siniora, a formulées à l'encontre de la position du Canada sur le conflit, M. Kenney s'est montré cinglant.

«Le Canada a pris une position responsable et j'espère que le premier ministre libanais exprimera de la gratitude pour la générosité du gouvernement et du peuple du Canada, qui ont annoncé la plus importante contribution, sur une base «per capita», pour la reconstruction du Liban (31 millions $)», a-t-il affirmé.

Au début de la guerre, le mois dernier, M. Harper avait qualifié de «mesurée» la réplique militaire israélienne aux attaques du Hezbollah, une déclaration qui a soulevé la controverse.

Le conflit entre Israël et le Hezbollah a vraisemblablement contribué à accroître la popularité de la milice au Liban.

http://www.cyberpresse.ca/article/20060822/CPACTUALITES/60822065/5032/CPACTUALITES

Anonyme a dit…

toujours sur la désinformation, les billets d'un soit disant journalistes libanais circulent allégrement sur les forums, blogs et mailing listes: michael behe.
Ce "journaliste" employé par une organisation israélienne de propagande envers l'occident , menapress, nous chante à longueur de lignes l'amour que "la majorité des libanais ressent envers l'armée israélienne qui les libérera des miliciens fous de dieu qui les terrorisent"
pathétique...

Anonyme a dit…

Hello Nidal,

Alors comme tous je ne manque pas de lire tous les matins: le monde, liberation, l'huma et Loubnan ya loubnan qui est devenu un site incontournable pour ceux qui s'interessent au Liban.
Je voulais te donner quelques informations concernant la continuation de la mobilisation sur Paris: le 5 septembre a paris concert "jazz en blanc" au theatre du rond-point(tous les dons iront a la croix rouge libanaise) De meme le collectif Paix au Liban dont je fais partie prepare une lecture pour fin septembre... je te donnerai les details plus prochainement...
Bises
Lama

Anonyme a dit…

Salut Nidal,

Est-ce que tu crois que le blog suivant est moins orienté que Memri. je l'espère car j'en suis l'auteur. Donne-moi sincèrement ton avis.

Pierre
http://arabpress.typepad.com/arab_press/victoires-ou-defaites-arab.html