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19 août 2006

Ingérence pour ingérence

Cette semaine, la grande affaire politique au Liban est la dénonciation de l'ingérence (forcément inacceptable) de Bachar Assad, le président syrien, dans les affaires du pays.

L'agence de presse syrienne SANA expose en français une partie de son discours du 15 août:

Le président al-Assad a fait la comparaison entre les faits actuels et la situation avant l'invasion de 1982 qui a engendré l'accord de 17 mai 1983. «Aujourd'hui ce sont les mêmes faits qui se présentent, des groupes libanais qui échouent d'accomplir des plans dans l'intérêt d'Israël, incitent celui-ci à intervenir militairement pour les tirer de l'impasse et pour frapper la résistance, et dans les deux cas il y avait une couverture arabe», a- t-il indiqué.
[...]
«C'est Israël qui porte la responsabilité, ainsi que ceux qui l'ont encouragé à venir au Liban, le groupe du 17 mai qui porte la responsabilité de la destruction, des massacres et d'emblée de la guerre», a-t-il insisté.
Le passage complet, plus explicite, est présent dans la traduction anglaise (semble-t-il intégrale) du discours:
The May 17 Group is responsible for the destruction, massacres and the war from A to Z. Hence come resolution 1701 as a political lift for this group, aiming of course at granting Israel political gains that it failed to achieve by military means. The resolution came also as an international political lift, but why international? Because there isn’t anymore a national lift that can lift these people, and thus they were forced to find an international one. They will use this lift to start attacking the resistance, and we have already seen that. Before the blood of the victims dried, before anything else, and even before the displaced headed back to their villages, the May 17 Group members started to talk about disarming the Resistance Movement. This means that one of their future tasks after the war failed is saving the current Israeli government and Israel’s domestic front either through making a sedition in Lebanon, and consequently transferring the political fight from inside Israel to inside Lebanon, or through the possibility of disarming the resistance. But I tell those people that they have failed and that their fall is looming.
Une remarque: contrairement aux traductions que l'on en trouve dans les médias occidentaux, le gouvernement dit «du 14 Mars» n'est pas directement nommé dans les accusations. Bachar Assad utilise l'image du «17 Mai 1983» tout au long de son discours; le lien étant introduit formellement dans une unique phrase:
Similarly, and no matter what name we give to those groups whether we call them February or March forces, I would stress here that their product is that of May the 17th and this is an Israeli product.
Depuis, le groupe du 14 Mars dénonce cette «ingérence» syrienne. C'est bien le moins. Pour Libération, «la guerre des mots a repris entre la majorité parlementaire libanaise et le régime syrien». On y apprend par exemple que:
Tandis qu'un autre grand quotidien national, Al-Mostaqbal, qualifiait les propos du chef d'Etat syrien d' «appel au meurtre».
(Le lecteur français ne sera pas informé, au passage, que le Mostaqbal est la propriété de la famille Hariri.) Saad Hariri dénonce l'ingérence:
Lebanese parliamentarian Saad Hariri condemned Assad for inciting against Lebanon and called on the Lebanese people to rally behind their government. "The speech was an incitement for sedition in Lebanon. The Syrian president has hurt his position, Syria's and Lebanon's," he told supporters.
Le Parti national libéral de Dory Chamoun dénonce aussi (extrait de L'Orient-Le Jour, 19 août):
Le parti de M. Chamoun a ensuite vivement critiqué les propos tenus par le président Assad au sujet des forces du 14 Mars, estimant cependant que le président syrien a «rendu un immense service à ce groupe en donnant les preuves de ses exactions au Liban et de ses intentions à l’égard du pays et des États arabes».
Quelques jours auparavant, c'était Walid Joumblatt (PSP) qui dénonçait sur la LBC (télévision fondée par les Forces libanaises). D'après L'Orient-Le Jour (le seul quotidien capable d'écrire sans rire que «Walid Joumblatt a adressé hier un discours pondéré, cohérent et particulièrement poignant sur la situation tragique qui prévaut depuis une semaine.»): «Assad a réussi à semer le chaos au Liban, je l’en félicite». L'article de L'Orient-Le Jour est reproduit sur Kabylie News.

Hier, Samir Geagea (Forces libanaises) était lui aussi sur la LBC, je n'ai pas encore trouvé de retranscription, mais je ne doute pas que l'analyse etait très similaire.

Pour résumer, toutes les composantes du groupe dit du «14 Mars» se sont exprimées pour condamner l'intolérable ingérence dans les affaires libanaises que représente le discours de Bachar Assad.

Rien de plus normal.

Ce qui est plus étonnant (ou pas du tout), c'est que rigoureusement personne n'évoque le discours de Georges Bush, le jour précédent (le 14 août et, par la magie de la précision chirurgicale américaine, on sait que le discours a commencé à 15h40 EDT et s'est terminé à 16h08). Les États-Unis étant, à l'instar de la Syrie, un grand pays doté de moyens modernes, l'intégralité de l'intervention est disponible en ligne.

Rappelons, pour les lecteurs ayant raté un épisode, que les États-Unis ont soutenu Israël durant toute son agression contre le Liban, lui livrant d'urgence des armes supplémentaires en plein conflit et retardant l'adoption d'un appel au cessez-le-feu. Agression préparée conjointement depuis plusieurs mois par les planificateurs israéliens et présentée sur les bases militaires américaines. Il ne s'agit donc pas d'un commentaire totalement neutre, mais bien de l'expression officielle d'un des pays ayant partie prenante dans la destruction militaire du Liban.

Le passage suivant est particulièrement explicite.
America recognizes that civilians in Lebanon and Israel have suffered from the current violence, and we recognize that responsibility for this suffering lies with Hezbollah. It was an unprovoked attack by Hezbollah on Israel that started this conflict. Hezbollah terrorists targeted Israeli civilians with daily rocket attacks. Hezbollah terrorists used Lebanese civilians as human shields, sacrificing the innocent in an effort to protect themselves from Israeli response.

Responsibility for the suffering of the Lebanese people also lies with Hezbollah's state sponsors, Iran and Syria. The regime in Iran provides Hezbollah with financial support, weapons, and training. Iran has made clear that it seeks the destruction of Israel. We can only imagine how much more dangerous this conflict would be if Iran had the nuclear weapon it seeks.

Syria is another state sponsor of Hezbollah. Syria allows Iranian weapons to pass through its territory into Lebanon. Syria permits Hezbollah's leaders to operate out of Damascus and gives political support to Hezbollah's cause. Syria supports Hezbollah because it wants to undermine Lebanon's democratic government and regain its position of dominance in the country. That would be a great tragedy for the Lebanese people and for the cause of peace in the Middle East.
Curieusement (ou de façon très prévisible), il suffit de remplacer l'expression «Hezbollah» dans le discours du président Bush par «Groupe du 14 Mars» pour obtenir, très exactement, le discours du président Assad.

Mais évidemment, personne n'irait qualifier le discours de Georges Bush d'«ingérence insupportable» dans la politique du Liban, ni prétendre qu'il s'agit d'un «appel au meutre», alors même ce pays vient de sponsoriser récemment le massacre de la population libanaise.

1 commentaire:

Anonyme a dit…

bonjour,

ce n'est pas un commentaire, c'est juste pour vous indiquer que j'ai trouvé votre blog, et vais faire circuler l'adresse.

je vous donne l'adresse du site web des Réseaux citoyens de st-étienne, nous avons essayé d'agir contre cette guerre.

http://www.reseauxcitoyens-st-etienne.org/

si on peut rester en contact...

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Roger Dubien
roger.dubien@wanadoo.fr