Un producteur israélien travaillant pour la LBC?
L'Orient-Le Jour a l'art, lorsqu'il traite un sujet inévitable, de toujours n'en aborder que les aspects les moins intéressants. Puisque le documentaire sur Ron Arad, annoncé par la LBCI, fait beaucoup de bruit au Moyen-Orient, la quotidien francophone de la bourgeoisie chrétienne libanaise se fend d'une brève, dont voici le contenu intégral (le site ne conservant pas d'archives, je recopie tout):
Un documentaire sur Ron Arad, programmé par la LBCI, intrigue Israël et les milieux médiatiquesIl est heureux d'apprendre que la LBCI n'a pas de comptes à rendre à Israël. Quant à l'implication d'Ibrahim el-Amine, piste certes intéressante, elle permet aussi de «mouiller» le nouveau quotidien al-Akhbar, clairement orienté contre la politique américaine dans la région, et donc contre l'actuel gouvernement libanais.
Le documentaire que promet de diffuser la LBCI sur le pilote israélien Ron Arad, disparu en 1986, continue d’intriguer plusieurs responsables politiques et médiatiques, à leur tête l’État hébreu qui a déjà demandé copie du film qui sera bientôt diffusé sur la chaîne privée.
Depuis le lancement, il y a quelques jours, de la promotion annonçant la projection de ce film sur le pilote israélien – dont on suppose qu’il a été fait prisonnier par le Hezbollah en 1986 lorsque son avion s’est écrasé au-dessus du Liban –, les médias et principaux concernés attendent impatiemment la projection de ce qui constituera un véritable scoop médiatique.
Interrogé hier par la CNN, le PDG de la LBCI, Pierre Daher, a estimé que la diffusion de ce documentaire, qui était prévue à l’origine début juin, a été reportée «pour des raisons de programmation». Selon le journal koweïtien as-Siassa, le programme sera diffusé «la semaine prochaine».
M. Daher, qui a indiqué avoir acheté ce documentaire au journaliste et directeur du service d’informations locales du nouveau quotidien al-Akhbar, Ibrahim el-Amine, a exprimé des doutes sur le fait que ce film puisse être utile pour retrouver l’aviateur porté disparu depuis.
M. Daher a toutefois indiqué que la chaîne «n’a pas de comptes à rendre ni à Israël ni au Hezbollah concernant la diffusion de ce documentaire», qu’il a acheté au seul journaliste ayant pu rencontrer l’aviateur, du fait de ses relations solides avec le Hezbollah.
La LBCI a en outre précisé que ce film apportera des informations extrêmement détaillées et documentées sur les négociations portant sur l’échange des prisonniers.
Cependant, les médias israéliens fournissent une autre information.
Haaretz titre carrément: «Israeli who aided Lebanese TV: Ron Arad film sheds no new light»:
An Israeli television producer who participated in a Lebanese television channel's production of a documentary on Ron Arad said Tuesday that he believed that never-before-screened footage of the captured Israeli navigator was authentic, but that it cannot shed new light on his capture.Une dépêche du Jerusalem Post confirme:
[...]
According to Naftali Glicksberg, an Israeli television producer involved in producing the program on Hezbollah for Lebanese television channel LBC, the footage of captured navigator Ron Arad is very old and was almost certainly taken before December 1989. Glicksberg also stated that the shooting location of the footage cannot be determined.
[...]
Glicksberg reported that another Israeli producer and a French production company were also involved in the production. He stated that he saw the footage of Arad a year ago in Paris, and that in it, Arad appears speaking Hebrew. He added that the Arad film is "very short," and appears credible.
Israeli TV producer Naftali Glicksberg, who participated in the production of a leading Lebanese TV station's film on Ron Arad, believes that the scenes of the missing Israeli navigator are authentic and that he is easily identifiable, according to an interview on Army Radio.Un article d'Arutz Sheva ne dit rien d'autre:
The video clip was no surprise to Naftali Glicksberg, an Israeli television producer who was involved in producing the program which is to air on the Saudi-owned LBC Channel.Même topo sur la BBC et sur le Daily Star. L'Orient-le Jour est le seul média à n'avoir pas entendu parler de cela (quant à téléphoner à un autre média libanais pour poser des questions, c'est beaucoup plus usant que de regarder CNN).
Nous avons donc Naftali Glicksberg, «un producteur de télévision israélien impliqué dans la production du programme consacré au Hezbollah pour la chaîne de télévision libanaise LBC». Ce dernier indique également qu'un autre producteur israélien et une maison de production française ont participé à la production. Un autre article de Haaretz est plus explicite:
Glicksberg said he and another Israeli producer, Osnat Trabelsi, were hired by a French production company affiliated with the Lebanese company. Glicksberg added that he had been working with the French company - not directly with the Lebanese one.La version impliquant Naftali Glicksberg et celle prétendant que le documentaire a été acheté à Ibrahim el-Amine sont incompatibles.
La mention de Naftali Glicksberg est importante en ce qu'elle est la seule confirmation, pour l'instant, de la véracité des images montrant Ron Arad. L'occultation de cette information par L'Orient-Le Jour permet à la fois de pondre une dépêche totalement dépourvue de la moindre information intéressante, mais aussi de cacher à ses lecteurs la LBC ferait intervenir au moins des producteurs israéliens dans la réalisation d'un document qui, tenez-vous bien, tombe parfaitement à point: le Hezbollah détiendrait encore un autre soldat israélien, et cela depuis 20 ans.
Une grande chaîne de télévision libanaise avec des producteurs israéliens sur un sujet aussi sensible, voilà qui n'est tout de même pas commun.
La LBC est la grande chaîne chrétienne du Liban. À l'origine, c'est l'organe de propagande des Forces libanaises de Bashir Gemayel, milice d'extrême-droite chrétienne qui a pris le pouvoir grâce à l'invasion du Liban par ses alliés israéliens. Elle fut fondée et commença à émettre grâce au soutien technique et financier du Christian Broadcasting Network du téléévangéliste étatsunien Pat Robertson, puis avec le soutien des Français (désireux de contrer l'influence américaine sur la télévision des Forces libanaises pro-israéliennes, ce qui laisse rêveur). À ce sujet, on peut lire Satellite Realms: Transnational Television, Globalization and the Middle East, par Naomi Sakr, 2001. [Pat Robertson, faux-nez des services américains, et également fondateur de la radio de propagande de l'Armée du Liban-Sud (milice libanaise mercenaire des occupants israéliens), Voice of Hope.]
Disons que, depuis, elle s'est largement normalisée. Il reste à savoir si la LBC appartient bien à des actionnaires libanais, ou si elle est contrôlée par les Saoudiens.
Selon Juan Cole, Amerlocain qui voit des explications ethno-religieuses partout, la LBC est «Christian-owned». D'après Arutz Sheva, la LBC est «Saudi-owned». Ce qui semble contradictoire, à moins qu'il s'agisse de milliardaires saoudiens chrétiens.
En 1997, une étude donnait pour la LBC une répartition capitalistique clairement libanaise:
The survey said shareholders of the LBC include the Daher family 20 per cent, Suleiman Franjieh 10 per cent, Issam Fares 10 per cent, Iman Issa el Khoury 10 per cent, other 33 per cent, Rimon Arbaji 2 per cent, Michel Pharaon 3 per cent, Nabil Bustani 4 per cent, Salahedine Osseiran 4 per cent, investcom holding 4 per cent.Cependant, selon Haaretz:
The channel was established by Christian forces in Lebanon, but is currently also owned by Saudi parties and the Al-Hayat newspaper, whose offices are located in London and Beirut. The channel is regarded as credible in relation to other Lebanese and Arab channels.Le Hayat est un quotidien en langue arabe propriété des Saoudiens, dont on apprend notamment que:
En 2001, un décret royal a autorisé la distribution d'Al Hayat (propriété du prince Khaled bin Sultan, fils du ministre de la Défense) sans censure préalable, comme c'était le cas pour certains autres journaux saoudiens et le quotidien panarabe Asharq al-Awsat.La loi libanaise limite les possibilités de contrôle étranger sur une télévision nationale. Comme Future TV (la télévision du clan Hariri), la LBC se doit donc de créer des montages complexes, de se «diversifier» sur le satellite pour contourner cette limitation.
Under Law 382/94, no individual or family was allowed to hold more than 10 per cent in a television company. Licences could only be granted to Lebanese joint stock companies, owned by Lebanese nationals, who were not permitted to hold stock in more than one broadcasting company. Stations applying for a licence had to commit themselves to covering the whole country and broadcasting for a minimum of 4000 hours per year, ensuring that 40 per cent of their programming was locally produced. Insofar as Lebanon's satellite channels could claim they had bases outside the country, it seems they were not subject to these regulations. For example, Prince Alwaleed bin Talal bin Abdel-Aziz, the Saudi prince with a 30 per cent shareholding in ART, told an advertising journal in an interview published in 1999 that ART, through its parent company Arab Media Corporation, had a 50 per cent share in LBC's satellite arm, LBC-Sat.Répartis entre LBC et LBC-Sat, il semblerait y avoir (si quelqu'un trouve des documents plus factuels, je suis preneur) un actionnariat basé, essentiellement, sur Issam Fares, Suleiman Franjieh et le prince Al Walid ben Talal ben Abdel-Aziz (détenteur de la cinquième fortune du monde).
Pour résumer (parce que moi aussi je commence à m'y perdre...):
– il s'agit d'un document révélant, ça tombe drôlement bien, que le Hezbollah détiendrait un soldat israélien depuis 20 ans;
– ce document est diffusé sur une chaîne fondée par une milice pro-israélienne, dont l'un des propriétaires est l'influent et pro-américain prince souadien;
– le patron de cette chaîne déclare avoir acheté ce programme à Ibrahim el-Amine, fondateur avec Joseph Samaha d'un nouveau quotidien anti-américain de Beyrouth;
– tous les médias israéliens, eux, citent un producteur de télévision israélien qui aurait été associé à la production du documentaire de la LBC, et qui déclare avoir vu la vidéo de Ron Arad à Paris un an auparavant.
Conclusion? Non non, pas de conclusion. Mais quelqu'un ment. Et qui? Comme Angry Arab News Service, sur ce sujet, je vais me contenter de ricaner bêtement.