Il y a quelques semaines, je discutais avec des amis franco-libanais qui me disaient leur projet de voter pour François Bayrou. Les positions de Ségolène Royal en matière de politique française au Moyen-Orient ont déjà été abondamment commentées; et l'admiration qu'Israël porte à Nicolas Sarkozy est connue. Je crois donc utile de synthétiser ici ce qu'on trouve sur le site officiel de François Bayrou concernant le Moyen-Orient (et le Liban en particulier).
29 janvier 2006, congrès de Lyon. Le «caractère menaçant» de la situation au Moyen-Orient a des sources clairement identifiées: le Hamas (élection du 26 janvier 2006) et l'Iran.
Mes chers amis, si vous regardez le Proche-Orient et le Moyen-Orient, si vous mettez côte à côte la situation nouvelle en Palestine et la victoire du Hamas, l'évolution nouvelle de l'Iran, alors vous mesurez que quelque chose est en route, dont nous ne pouvons pas ne pas voir le caractère menaçant.
La politique israélienne n'y est pour rien, au contraire, Ariel Sharon est devenu un homme de paix:
Je pense que les hommes peuvent changer : Ariel Sharon nous l'a montré, pour qui j'ai une pensée. Je pense que les hommes de guerre peuvent devenir des hommes de paix. Ceux qui ont porté le fer et le feu et fait couler le sang peuvent changer.
Il faut donc exercer des pressions (sur l'autorité palestinienne, évidemment):
Mais une telle situation ne se dénouera pas si nous ne sommes pas capables d'exercer les pressions et d'envoyer les messages nécessaires. [...]
Voyez-vous, l'autorité palestinienne vit sous perfusion financière de l'Union européenne. Cela ne nous donne pas le droit de parler à leur place, parce que ce n'est pas une sujétion, mais cela nous donne le devoir de réfléchir, de veiller, de donner les critères qui, pour nous, Europe, sont ceux d'une évolution positive de la situation, et de refuser le renoncement qui consisterait à observer sans agir.
Menace à peine voilée. Pourtant,
le 30 janvier (le lendemain de ce discours), «Pour le ministre français des Affaires étrangères Philippe Douste-Blazy, il serait “contre-productif de brandir aujourd'hui des menaces” de gel des subventions à l'Autorité palestinienne, avant même la formation d'un gouvernement.» En jouant de la «perfusion financière» comme l'avait subtilement évoqué François Bayrou, l'Europe a certainement provoqué une «évolution positive de la situation»: aujourd'hui, «
À Gaza, les gens ont faim».
* * *
Dans la «proposition» de François Bayrou sur l'«Antisémitisme» (
page de son site de campagne), le «nouvel antisémitisme» a des racines «gauchistes, tiers-mondistes»:
La vieille dérive antisémite chez les chrétiens a pratiquement disparu… et au moment où l’on s’apprêtait à respirer, on voit aujourd’hui grandir un nouvel antisémitisme, aux racines gauchistes, tiers-mondistes, qui reprend les mêmes abjections «relookées». Comme si ce n’était jamais fini!…
J'aurais adoré avoir des précisions sur ces fameux «tiers-mondistes» antisémites...
Le lien entre l'antisémitisme, la destruction des juifs d'Europe et Israël est immédiat chez François Bayrou:
Le peuple juif a été le bouc émissaire de toute l’horreur et de toute la barbarie du monde. Le sort d’Israël importe non seulement aux Israéliens, ou aux Juifs, mais surtout à l’ensemble de l’humanité ! L’avenir d’Israël, c’est la pierre de touche de notre capacité à refuser la fatalité.
Le paragraphe suivant de ses «propositions» propose une logique toute religieuse:
J’ai mis beaucoup de moi-même à réfléchir à l’histoire du peuple juif, à son destin, à sa mission. Je lis beaucoup la Bible.
Lire la Bible permet donc de comprendre la «mission» du «peuple juif»; voilà qui ravira l'extrême-droite religieuse israélienne.
La page des «propositions» concernant «
Le Proche-Orient» commence par la (pas du tout) surprenante invocation de la «sécurité d'Israël», en filiation de la Shoah:
La France veut l’existence, la paix et la sécurité d’Israël ; elle y voit un lien avec l’équilibre du monde. Car nous considérons que, depuis la Shoah, la décision qui s’est forgée dans le peuple juif de retrouver une terre, est une décision dont l’humanité est solidaire.
Pour ne pas faire trop long sur le sujet de «la décision qui s'est forgée» «depuis la Shoah», je me contenterai de rappeler que Theodor Herzl est mort en 1904 et qu'il a écrit
Der Judenstaat en 1896. Voir par exemple «
Histoire du sionisme» sur Wikipedia.
S'exprimant sur la «
tragédie du Proche-Orient 2006» à l'Assemblée nationale, en septembre 2006, François Bayrou commence son discours par une longue tirade sur Israël:
La France qui dépasse les aléas de la politique, veut l’existence, la paix et la sécurité d’Israël !
La France voit un lien entre l’existence, la paix, la sécurité d’Israël avec l’équilibre du monde.
Non pas seulement parce que des résolutions diplomatiques ont été prises, depuis 1948, qui ont donné force de loi internationale à cette existence.
Mais parce que la France a vécu comme une blessure pour l’ensemble de l’humanité, une blessure pour le visage du monde, le sort fait pendant des siècles à ce peuple d’exilés, à ce peuple sans terre, sort qui a débouché, dans la folie hitlérienne et nazie, jusqu’à une shoah, une catastrophe à l’échelle de l’humanité. C’est une blessure pour l’ensemble de l’humanité qu’une tentative délirante et planifiée, en Europe, sur notre terre, chez nous, et parfois avec l’aide et la complicité de nos compatriotes, ait décidé et réalisé l’extermination des femmes, des enfants, des malades, des filles et des garçons, des sages et des savants, et jusqu’au plus ordinaire des enfants du peuple juif.
De cela, nous nous sentons débiteurs. Non pas à l’égard du seul peuple juif. Mais à l’égard du peuple humain.
C’est pourquoi nous considérons, nous la France, la France au-dessus des péripéties de l’Histoire, nous considérons que la décision qui s’est forgée dans le peuple juif de retrouver une terre, un foyer et une patrie, est une décision dont l’humanité est solidaire.
Ceux qui si longtemps avaient enduré, ceux que si longtemps on avait pliés, ceux qui n’avaient pas d’armes, et dont les mains étaient nues se sont levés, à bout de désespoir, et d’humiliation et d’infinie douleur et ont dit «plus jamais». Et ils ont dit «plus jamais» non seulement au nom des victimes de Dachau, d’Auschwitz, de Drancy ou de Gurs, mais au nom des générations humiliées, dans la suite des siècles.
La France doit être solidaire de ce «plus jamais».
* * *
Le sort des palestiniens n'est évoqué, dans ce que l'on peut trouver sur le site de campagne de François Bayrou, que sous deux angles: la menace que représente le Hamas (voir ci-dessus), et dans un paragraphe sur la souffrance provoquée par la création de l'État des «humiliés juifs d'hier». Cela permet de toujours aborder la question palestinienne sous l'angle d'un «équilibre» entre deux populations «humiliées» (et non comme l'oppression d'un peuple par un État sur-militarisé); cette dialectique est très nette. Je suspecte par ailleurs que la dénonciation de l'antisémitisme «tiers-mondiste» par François Bayrou entre en jeu dans cette équation.
Ainsi dans la «proposition» sur le Proche-Orient:
Et, de ce même mouvement [la création d'Israël suite à la Shoah], nous savons qu’il y avait sur cette terre des hommes, le peuple de Palestine, que cette décision a fait souffrir et qui sont aussi des victimes.
C’est pourquoi l’équilibre nouveau à trouver entre l’État qu’ont formé les humiliés juifs d’hier et l’État que doivent former les humiliés palestiniens d’aujourd’hui, cet équilibre importe à l’ensemble de l’humanité.
Ce passage est plus ou moins tiré du discours à l'Assemblée nationale:
Et pourtant, de ce même mouvement, nous n’ignorons rien des souffrances que cette décision a fait naître. Nous savons bien qu’il y avait sur cette terre d’élection non pas seulement le désert - comme on dit quelques fois - mais des familles, des femmes et des enfants et des hommes faits et des vieillards que cette catastrophe a touchés eux aussi, bien qu’ils n’y eussent aucune part. Et que ceux-là aussi, peuple de Palestine, sont des victimes, et ont bien le droit de dire «plus jamais».
Voilà pourquoi la France considère que l’équilibre nouveau à trouver entre l’État qu’ont formé les humiliés juifs d’hier et l’État que doivent former les humiliés palestiniens d’aujourd’hui, cet équilibre importe à l’ensemble de l’humanité.
Sur ce sujet, c'est l'Europe qui est invoquée pour agir. Les résolutions de l'ONU ne sont évoquées que pour justifier l'existence d'Israël.
Non pas seulement parce que des résolutions diplomatiques ont été prises, depuis 1948, qui ont donné force de loi internationale à cette existence.
Rappeler les résolutions de l'ONU favorables aux Palestiniens serait sans doute perçu comme trop «tiers-mondiste»...
* * *
François Bayrou aime le Liban. Il le fait savoir dans sa page de «proposition» sur le «
Liban». Où l'on constatera que l'amour du Liban semble se résumer à la volonté d'imposer le désarmement du Hezbollah.
La France a un lien indissoluble avec le Liban, pour qui la langue française est une seconde patrie, et qui, sans elle, n'existerait pas : c'est la France qui a servi de garant à cette idée historique de faire une communauté nationale d'un peuple éclaté entre tant de communautés, liées par un contrat complexe. La France a vécu la guerre de l’été 2006 comme une épreuve.
J’ai, pour l'essentiel, soutenu dès les premiers jours la ligne fixée par le président de la République — chemin faisant, j'ai trouvé déplacé et dangereux que le ministre français des Affaires étrangères délivre à l'Iran un brevet de respectabilité comme «puissance stabilisatrice dans la région».
Je soutiens la décision de participation à la FINUL. Nous sommes d’accord sur la démarche consistant à reconstruire le Liban et à demander à la communauté internationale d’aider ce pays, en particulier devant le drame et la menace que représentent pour des centaines de milliers de Libanais les mines antipersonnel et les résidus de bombe à fragmentation.
Mais il y a une question politique : quel est exactement le mandat de la FINUL? S’il est le même que celui de la FINUL I, l'on risque d’assister, sous les yeux même des contingents armés de l'ONU, au réarmement de la milice du Hezbollah. Cela ne serait pas conforme à la lettre, ni à l'esprit, des résolutions des Nations unies : la résolution 1559 oblige au désarmement effectif des milices et à l'exercice de l'autorité sur le terrain par l'armée libanaise, et la résolution 1701 affirme que l'armée libanaise est la seule autorité légitime en matière de sécurité au Liban.
Et ce serait un risque immense pour le Liban, pour Israël, pour la paix, qu'une faction qui vise ouvertement la destruction d'Israël, s'arroge la domination sur une région d'un pays souverain. On voit la déstabilisation de la région et du Liban tout entier que cela supposerait.
Je demande que ces menaces soient prises en considération et qu'il y soit mis un terme. Le réarmement des milices serait l'échec assuré pour la politique nécessaire de paix et de restauration de la souveraineté d'un Liban indépendant.
Cette «proposition» reprend en résumé le discours à l'Assemblée nationale de septembre 2006. On trouve dans ce discours ce passage très explicite:
Nous avons apprécié que le président de la République exprime très clairement, le 14 juillet, la responsabilité du Hezbollah dans l’explosion du conflit. Tirs de missiles à Safed, à Nahariya. Enlèvement de deux soldats, après l’enlèvement d’un premier soldat franco-israélien près de Gaza. Cette ligne était claire et juste.
Claire, certes. Mais juste? Pour rappel, dès août, on savait que «
L'agression israélienne était planifiée depuis plus d'un an».
Le mois suivant, François Bayrou interroge le gouvernement sur
l'assassinat de Pierre Gemayel:
Monsieur le Premier ministre, Pierre Gemayel a été assassiné hier. Le jeune ministre, le fils du président Amine Gemayel, le visage nouveau de l’une des familles et des communautés qui ont fait l’histoire du Liban, est mort sous les balles. C’est une page nouvelle de la sanglante histoire de ce pays martyrisé.
Nous savons bien qui est mort. Et nous pensons tous, dans cet hémicycle et bien au-delà, aux deux jeunes fils de Pierre Gemayel, à son épouse, à sa famille et à son père, qui a fait preuve hier d’un sang-froid et d’une retenue qui sont une nouvelle manière de servir son pays.
Nous savons aussi qui était visé : le Liban, son indépendance et la paix civile qui garantit son avenir.
Je vous demande donc très simplement, monsieur le Premier ministre, quelle est aujourd’hui, sur ce drame, la vision de la France. Quel lien doit-on établir entre cet assassinat et la décision de convoquer le tribunal international pour juger les responsables de l’assassinat de M. Hariri ? Enfin, comment la France, dont nous n’oublions pas qu’elle a des soldats sur place, envisage-t-elle d’aider à la survie du Liban indépendant et libre ? (Applaudissements sur tous les bancs.)
Aucune originalité ici: les civils et les enfants libanais massacrés par les bombes israéliennes ne sont jamais présentés, eux, comme des représentants d'un «Liban indépendant et libre».
Cependant, François Bayrou sait se montrer courageux (à défaut d'être original), quand il dénonce les «
Bombes à sous-munitions»:
Les bombes à sous-munitions, comme les mines antipersonnel, sont des armes barbares, car en réalité elles visent des civils, dans l'immédiat et dans le futur. Ceci est contraire à toutes les lois internationales qui organisent les règles des affrontements militaires. Donc je suis pour que la France adopte une loi contre les BASM, qu’elle les interdise sur son sol et qu’elle demande une règle internationale, adoptée comme la convention de Genève, pour interdire ces armes et empêcher qu’on en fasse usage à l’avenir.
Comme candidat à l’élection présidentielle, j’inclus cet engagement dans mon programme.
Malheureusement, sur le site de «
Sous-munitions.org» (qui résume «Tous les présidentiables» à une liste de quatre noms...), on constate que seule Ségolène Royal fait explicitement le lien entre ces «armes barbares» et les bombardements israéliens au Liban.
* * *
Enfin, la question de l'Iran. Le traitement n'a encore une fois rien de bien original, jusque dans la façon de scander la «sécurité d'Israël» et de refuser un nouveau «Munich». Voici la «proposition» du site officiel sur le sujet «
Iran»:
Face à l’Iran, la France ne peut avoir qu’une ligne : la rigueur et l’intransigeance dans le respect du droit international.
Il y a un traité de non prolifération nucléaire. Ce traité interdit aux nations qui l’ont signé — tous les pays sauf trois — d’aller vers l’arme nucléaire, mais il leur garantit en échange l’accès au nucléaire civil. Si ce traité n’est pas respecté, les démocraties doivent solidairement décider de sanctions.
Il y a une leçon que nous devrions avoir apprise dans le plus noir de l’Histoire, c’est la leçon de Munich. Quand les mots sont des menaces, il faut les prendre au sérieux, surtout quand les mots sont servis par la force des armes.
Le jour de Munich, toute la démocratie d’opinion, les sondages, les applaudissements fêtaient les signataires. Daladier* a murmuré «Quels cons!…». Un jeune professeur d’Histoire était l’éditorialiste du journal L’Aube. Ce jeune professeur allait être un jour, après l’arrestation et le suicide de Jean Moulin, le président du Conseil National de la Résistance. Il s’appelait Georges Bidault. Le jour de Munich, Georges Bidault écrivait ceci, qui a été une des maximes de ma vie : «Lorsqu’il s’agit de dire non, le meilleur moment pour le faire, c’est le premier.»
Dans son discours à l'Assemblée nationale sur la situation au Proche-orient, François Bayrou a déclaré le 7 septembre 2006 :
Que le ministre français des Affaires étrangères se rende à l’ambassade d’Iran à Beyrouth, et délivre un brevet de respectabilité en désignant l’Iran comme «une puissance stabilisatrice dans la région» nous a paru un risque que la France n’aurait pas dû prendre.
Les gouvernants iraniens actuels sont engagés dans une double obsession mortifère: l’appel sans ambiguïté à la destruction d’Israël; et la décision d’acquérir la puissance nucléaire. Et l’obsession de la destruction d’Israël donne à l’obsession nucléaire sa portée…
Quand le Président iranien déclare en juillet: «le problème fondamental du monde musulman est l’existence du régime sioniste qui doit être éliminé». Quand il déclare en octobre dernier : «comme l’a dit l’imam Khomeiny, Israël doit être rayé de la carte… La nation musulmane ne permettra pas à son ennemi historique de vivre en son cœur même», ce qu’il dit doit être mis en rapport avec la question du contrôle de l’arme nucléaire.
*Président du Conseil des ministres, signataire le 30 septembre 1938 des accords de Munich, par lesquels les démocraties ont laissé Hitler envahir la Tchécoslovaquie, dans l'espoir de sauver la paix avec l'Allemagne nazie.
Personnellement, j'aurais trouvé autrement courageux de rappeler que, parmi les trois pays qui n'ont pas signé le traité de prolifération nucléaire, on trouve Israël, seul pays doté de l'arme nucléaire dans la région. Ce qui aurait donné une autre portée à sa déclaration à l'Assemblée nationale:
Les démocraties ne peuvent pas accepter la prolifération nucléaire. Les démocraties ne peuvent pas accepter la prolifération nucléaire de surcroît dans un pays qui affirme haut et fort qu’il faut en détruire un autre.