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03 avril 2007

Le raid américain avorté qui a conduit à la crise des otages (Patrick Cockburn)

La semaine dernière, le site dedefensa s'interrogeait en ces termes («Londres piégé», 26 mars 2007):

Les Britanniques sont-ils pris au piège de leur alliance avec les USA dans l’affaire des 15 marins et Marines britanniques arrêtés par les Iraniens ? Blair commence à s’inquiéter sérieusement. Les Britanniques observent un changement radical d’attitude des Iraniens, par rapport à un incident similaire en 2004. Il faut dire que la crise iranienne était encore menée par les Européen. [...] Entre-temps, les alliés US sont intervenus. On sait ce que cela signifie : menaces, pressions, interventions clandestines, bruits de guerre. La situation de 2007 n’a plus rien à voir avec celle de 2004. Il apparaît manifeste, au travers d’un article de Patrick Cockburn, de The Independent, que l’intervention des USA contre des Iraniens en Irak, en janvier, a été un élément déterminant de durcissement.
Aujourd'hui, The Independent publie un nouvel article de Patrick Cockburn: il y présente explicitement l'enlèvement des 15 marins britanniques comme une conséquence de l'attaque américaine contre des officiels iraniens en Irak en janvier.

Je vous livre ici une traduction de cet article.
Le raid américain raté qui a conduit à la crise des otages
Exclusif: Comment une tentative d'enlèvement d'officiels de la sécurité iranienne a déclenché la crise diplomatique
par Patrick Cockburn, publié le 3 avril 2007
titre original: «The botched US raid that led to the hostage crisis»

Une tentative américaine ratée pour enlever deux officiers supérieurs des services de sécurité iraniens en visite officiel dans le nord de l'Irak a été l'élément déclencheur d'une crise qui, 10 semaines plus tard, a conduit les Iraniens à capturer 15 marins britanniques.

Tôt dans la matinée du 11 janvier, des forces héliportées américaines ont lancé une attaque surprise contre des bureaux de liaison iraniens, établis de longue date, dans la ville d'Arbil dans le Kurdistan irakien. Ils ont capturé cinq officiels iraniens de relativement faible niveau que les États-Unis accusent d'être des agents de renseignement et qu'ils détiennent toujours.

En réalité, The Independent a appris que l'attaque étatsunienne avait un objectif bien plus ambitieux. Le but du raid, lancé sans en informer les autorités kurdes, était de capturer deux hommes au cœur du système sécuritaire iranien.

Une meilleure compréhension de la gravité de l'action américaine à Arbil – et de la colère des iraniens en réponse à cette action – aurait dû conduire Downing Street et le Ministère de la défense à comprendre que les Iraniens allaient certainement exercer des représailles contre des forces américaines ou britanniques aussi vulnérables que celles des équipes de recherche marine dans le Golfe. Les deux officiers de haut rang que les États-Unis ont tenté de capturer étaient Mohammed Jafari, le puissant chef adjoint du Conseil de sécurité nationale iranien, et le général Minojahar Frouzanda, le chef du renseignement de la Guarde de la révolution iranienne, selon des officiels kurdes.

Les deux hommes étaient au Kurdistan en visite officiel durant laquelle ils ont rencontré le président irakien, Jalal Talabani, puis ont rencontré Massoud Barzani, le président du gouvernement régional du Kurdistan (KRG), dans son quartier général de montagne surplombant Arbil.

«Ils traquaient Jafari», a déclaré Fuad Hussein, chef d'équipe de Massoud Barzani, à l'Independent. Il a confirmé que les bureaux iraniens été établis à Arbil de longue date et qu'ils étaient souvent visités par des Kurdes pour obtenir des documents pour se rendre en Iran. «Les Américains croyaient qu'il [Jafari] était là», a dit M. Hussein.

M. Jafari était accompagné par son second, un officel de haut rang iranien. «Il s'agit du général Minojahar Frouzanda, le chef du renseignement des Pasdaran (Gardiens de la Révolution iranienne)», a expliqué Sadi Ahmed Pire, aujourd'hui chef du Diwan (bureau) du président Talabani à Bagdad. Monsieur Pire vivait auparavant à Arbil, om il dirigeait l'Union patriotique du Kurdisant (PUK), le parti politique de monsieur Talabani.

La tentative américaine de capturer deux officiers de haut rang de la sécurité iranienne rendant ouvertement visite aux dirigeants irakiens est en quelque sorte comparable à l'enlèvement, par l'Iran, de dirigeants de la CIA ou du MI6 en visite officielle dans un pays voisin de l'Iran, tel que le Pakistan ou l'Afghanistant. Il ne fait aucun doute que l'Iran pense que les Américains ciblaient messieurs Jafari et Frouzanda. M. Jafari a confirmé à l'agence de presse officielle iranienne, IRNA, qu'il était bien à Arbil au moment de l'attaque. Dans une remarque qui a été peu relevée, Manouchehr Mottaki, le ministre iranien des Affaires étrangères, a déclaré à l'IRNA: «L'objectif des américains était d'arrêter des officers de sécurité iraniens qui étaient allés en Irak pour développer la coopération en matière de sécurité bilatérale.»

Des officiels américains à Washington ont prétendu après coup que les cinq officiels iraniens capturés, qui n'ont pas été revus depuis, étaient «suspectés d'être étroitement liés à des activités visant l'Irak et les forces de la coalition». Cette explication n'a jamais vraiment eu de sens. Aucun membre de la coalition menée par les États-Unis n'a été tué à Arbil et il n'y a ni insurgés arabes sunnites ni miliciens chiites là-bas.

Le raid sur Arbil a eu lieu à quelques heures du discours du président George Bush à la Nation du 10 janvier, dans lequel il a affirmé: «L'Iran fournit du soutien matériel pour des attaques contre les troupes américaines.» Il a identifié l'Iran et la Syrie comme les principaux ennemis de l'Amérique en Irak alors que la guérilla contre les troupes menées par les États-Unis depuis quatre ans est le fait d'une communauté arabe-sunnite fortement hostile à l'Iran. M. Jafari lui-même s'est depuis plaint des allégations américaines: «Jusqu'à présent, est-ce qu'il y a eu un seul Iranien parmi les attaquants-suicide dans ce pays ravagé par la guerre?», a-t-il demandé. «Presque tous ceux qui sont impliqués dans des attaques-suicide viennent de pays arabes.»

Il a semblé étrange à ce moment que les États-Unis narguent aussi ouvertement l'autorité du président irakien et de la direction du KRG simplement en attaquant un bureau de liaison iranien qui étaient en train d'être transformé en consulat – bien que cela n'ait pas été achevé le 11 janvier. Les officiels américains, qui devaient être au courant de la nouvelle ligne anti-iranienne de la Maison blanche, ont dû penser qu'un peu de fierté kurde cabossée n'était pas cher payé si les États-Unis pouvaient caputrer des officiels iraniens aussi importants.

Depuis plus d'un an, les États-Unis et ses alliés ont essayé de mettre la pression sur l'Iran. Des sources de sécurité dans le Kurdistan irakien ont depuis longtemps déclaré que les États-Unis soutenaient des guérillas kurdes iraniens en Iran. On sait aussi que les États-Unis soutiennent des dissidents arabes sunnites au Khuzestan dans le sud de l'Iran, qui sont opposés au gouvernement de Téhéran. Le 4 février des soldats du 36e bataillon de commandos de l'armée irakien à Bagdad, considérés comme étant sous contrôle américain, ont enlevé Jalal Sharafi, un diplomate iranien. Le raid sur Arbil est un acte bien plus sérieux et agressif. Il n'a pas été mené par des intermédiaires, mais directement par les forces américaines. Le raid avorté sur Arbil a provoqué une dangereuse escalade entre les États-Unis et l'Iran qui a finalement débouché sur la capture de 15 marins et soldats de marine britanniques – apparemment considérés comme étant une cible plus vulnérable que leurs camarades américains.

Les généraux ciblés:
  • Mohammed Jafari. Le puissant chef adjoint du Conseil de la sécurité nationale iranienne, responsable de la sécurité intérieure. Il a accusé les États-Unis de chercher à «rendre l'Iran responsable de l'insécurité en Irak... et de l'échec [américain] dans ce pays».
  • Le général Minojahar Frouzanda. Chef du renseignement des Gardins de la révolution, l'unité militaire qui a son propre service de renseignement, séparés de celui de l'État, ainsi que des armées de terre, de mer et de l'air parallèles.

4 commentaires:

Lebanese lay with private confession a dit…

Merci pour cet article intéressant. As-tu vu et lu le dernier Monde diplo ? Une double page sur la question du tribunal international pour l'assassinat de Hariri plutôt bien vue.

Nidal a dit…

Oui, je l'ai lu avant-hier. Très intéressant. Un «aperçu» de l'article est en ligne sur le site du Diplo. Sauf erreur, l'intégralité sera en ligne le mois prochain (c'est ce qu'ils font en général).

Anonyme a dit…

Le diplomate iranien enlevé à bagdad a été libéré. Il avait été enlevé par des soldats irakiens sous commandement etasuniens mais les etasuniens avaient apporté un démenti.

En même temps, on apprend que les iraniens enlevés par les etasuniens à Erbil pourront être visité par des officiels iraniens.

Et les 15 soldats britannique capturés par les iraniens vont être libérés.

Les etasuniens et anglais ont démenti toute contrepartie à la libération des soldats. C'est donc une heureuse coeincidence que seul le Monde semble avoir relevé.

Sophia a dit…

Sky news a diffusé auhjourd'hui une entrevue réalisée avec les marins cinq jours avant leur capture dans laquelle ils proclament, parmi leurs activités, la collecte de renseignements sur les iraniens... Sky News s'était retenue de diffuser l'entrevue avant leur libération...