Vérité et réconciliation, par Edward Said, janvier 1999
L'hystérie orchestrée autour de la non-reconnaissance d'Israël (généralement à base d'amalgames éhontés, tels que: réclamer la fin du régime sioniste c'est réclamer la destruction d'Israël, ne pas reconnaître Israël c'est vouloir tuer tous les juifs en Palestine, etc.) et de la non-reconnaissance des accords d'Olso (y a-t-il pourtant sérieusement encore quelque chose à reconnaître de ce côté-là?) semble n'étonner personne.
À la longue, l'idée que la paix passera par la création de deux États, un juif et un palestinien et par le respect (par les Palestiniens uniquement) des accords d'Olso apparaît si naturelle qu'on s'étonne que des «extrémistes» ne parviennent pas à accepter cette évidence.
Tout le ramdam des derniers mois a eu un effet assez sidérant: l'Occident, ses journalistes, ses intellectuels, semblent avoir totalement oublié que ces points ne sont pas du tout des évidences.
Pour comprendre la situation actuelle, je voudrais republier un document d'un intellectuel qui, tenez-vous bien, n'est pas favorable à l'existence d'un État juif à côté d'un État palestinien, et qui a toujours dénoncé les accords d'Oslo. Non, ça n'est pas Noam Chomsky. Il s'agit d'Edward Said, qui a publié en janvier 1999 un long article dans Al-Ahram Weeky, «Truth and Reconciliation».
C'est, à mon avis, un de ces textes qui, rappelant les idées fondamentales, ne vieillissent pas et permettent, dans les périodes les plus troublées, de continuer à comprendre quelque chose.
[J'ai été très étonné de ne pas en trouver de traduction en français sur le Web. Donc c'est encore une traduction maison, et ça vaut ce que ça vaut; encore une fois, si vous utilisez ce texte pour vos besoins personnels, blogs, articles, démonstrations, vérifiez toujours la version d'origine.]
Vérité et réconciliation
Edward Said, Al-Ahram Weekly, 14-20 janvier 1999
http://weekly.ahram.org.eg/1999/412/op2.htm
Étant donné l’effondrement du gouverment Netanyahou au sujet de l’accord de paix de Wye Plantation, il est à nouveau temps de se demander si l’intégralité du processus de paix entamé à Olso en 1993 est le bon instrument pour apporter la paix entre les Palestiniens et les Israéliens. De mon point de vue, le processus de paix a en réalité éloigné la possibilité de la véritable réconciliation qui doit mettre un terme à la guerre de 100 ans qui oppose le Sionisme et le peuple palestinien. Olso est une étape vers la séparation, mais la véritable paix ne peut venir que d’un état binational israélo-palestinien.
Cela n’est pas facile à imaginer. Le récit sioniste-israélien et le récit palestinien sont irréconciliables. Les Israéliens disent qu’ils ont mené une guerre de libération et ont ainsi acquis l’indépendance; les Palestiniens disent que leur société a été détruite, et la majeure partie de leur population éloignée. Et, en fait, cet aspect irréconciliable était déjà évident pour plusieurs générations des premiers dirigeants et penseurs sionistes, et il l’est évidemment pour tous les Palestiniens.
«Le Sionisme n’était pas aveugle quant à la présence d’Arabes en Palestine,» écrit l’éminent historien israélien Zeev Sternhell dans son livre récent, Les Mythes fondateurs d’Israël [NdT: traduction littérale du titre anglais donné par Edward Said; j'ignore q'il s'agit du livre traduit en français sous le titre: Aux origines d'Israël. Entre nationalisme et socialisme.] «Même les personnalités sionistes qui n’avaient jamais visité le pays savaient qu’il n’était pas inhabité. Au même moment, ni le mouvement sioniste à l’étranger ni les pionniers qui avaient commencé à fonder le pays ne parvenaient à concevoir une politique à l’égard du mouvement national palestinien. La vraie raison pour cela n’était pas un manque de compréhension du problème, mais la reconnaissance des insurmontables contradictions entre les objectifs fondamentaux des deux côtés. Si les intellectuels et les dirigeants sionistes ont ignoré le dilemme arabe, c’est principalement parce qu’ils savaient qu’il n’y avait pas de solution à ce problème dans la logique sioniste.»
Ben Gourion, par exemple, était toujours clair: «Il n’y a pas de précédent historique,» déclara-t-il en 1944, «d’un peuple disant: nous acceptons de renoncer à notre pays, de laisser un autre peuple venir, s’installer ici et devenir plus nombreux que nous.» Un autre dirigeant sioniste, Berl Katznelson, n’avait pas non plus d’illusions sur le fait que l’antagonisme entre les ambitions sionistes et palestiniennes ne pourrait pas être surmonté. Et les partisans du binationalisme comme Martin Buber, Judah Magnes et Hannah Arendt, étaient parfaitement conscient de ce à quoi ressemblerait l’affrontement si jamais il survenait, et bien entendu il a eu lieu.
Étant très largement plus nombreux que les Juifs, les Arabes palestiniens de la période d’après la Déclaration Balfour de 1917 et du mandat britannique ont toujours refusé quoi que ce soit qui pourrait compromettre leur domination. Il est injuste de reprocher au Palestiniens, rétrospectivement, de ne pas avoir accepté la partition en 1947. Jusqu’en 1948, les Sionistes ne détenaient que sept pour cent de la terre. Pourquoi, ont demandé les Arabes quand la résolution sur la partition a été proposée, devrions-nous concéder 55 pour cent de la Palestine aux Juifs qui y sont une minorité? Jamais la Déclaration Balfour ni le mandat n’ont spécifiquement concédé des droits politiques aux Palestiniens, en opposition aux droits civils et religieux en Palestine. L’idée d’une inégalité entre Juifs et Arabes a ainsi été bâtie initialement par la politique britannique, puis par les politiques israéliennes et étatsuniennes.
Le conflit semble insoluble parce qu’il s’agit d’une lutte pour la même terre entre deux peuples qui croient qu’ils ont un titre de propriété valide et qui espèrent que l’autre camp finira par abandonner et s’en aller. Une partie a gagné la guerre, l’autre l’a perdue, mais la compétition est toujours aussi vivace. Nous autres Palestiniens demandons pourquoi un Juif né à Varsovie ou à New-York a le droit de s’installer ici (selon la Loi du retour israélienne) alors que nous, le peuple qui a vécu ici pendant des siècles, ne le pouvons pas. Après 1967, la situation entre nous était exacerbée. Des années d’occupation militaire avait créé, dans la partie la plus faible, colère, humiliation et hostilité.
À son discrédit, Olso n’a rien fait pour changer la situation. Arafat et le nombre diminuant de ses soutiens ont été transformés en supplétifs de la sécurité israélienne, pendant que les Palestiniens devaient subir l’humiliation de «ghettos» [«homelands»] qui ne représentaient que neuf pour cent de la Cisjordanie et 60 pour cent de Gaza. Osla exigeait de nous que nous oublions et renoncions à notre histoire de perte, dépossédés par le même peuple qui a appris à tous l’importance de ne jamais oublier le passé. Ainsi nous sommes les victimes des victimes, les réfugiés des réfugiés.
La raison d’être d’Israël en tant qu’État est qu’il a toujours fallu, et qu’il faudra toujours, un pays indépendant, un refuge, exclusivement pour les Juifs. Oslo lui-même était basé sur le principe de la séparation entre les Juifs et les autres, comme Yitzhak Rabin l’a inlassablement répété. Cependant sur les cinquante dernières années, et plus spécialement depuis que les premières colonies israéliennes ont été implantées dans les Territoires occupés en 1967, la vie des Juifs est devenue de plus en plus mélangée à celle de non-Juifs.
L’effort pour établir la séparation est survenu simultanément et paradoxalement avec l’effort pour prendre de plus en plus de terre, ce qui en retour signifiait qu’Israël acquérait de plus en plus de Palestiniens. En Israël proprement dit, le nombre de Palestiniens est d’environ un million, presque 20 pour cent de la population. En comptant Gaza, Jérusalem Est et la Cisjordanie, là où les colonies sont les plus nombreuses, il y a près de 2,5 millions de Palestiniens supplémentaires. Israël a construit un système complet de routes de «contournement», conçu pour passer hors des villes et villages palestiniens, en connectant les colonies et en évitant les Arabes. Mais la terre est si limitée dans la Palestine historique, les Israëliens et les Palestiniens sont si intimement mélangés, malgré leurs inégalités et leurs antipathies, qu’une séparation propre ne pourra tout simplement pas être réalisée ou fonctionner. On estime qu’en 2010 la parité démographie sera atteinte. Que se passera-t-il alors?
Clairement, un système privilégiant les Juifs israéliens ne satisfera ni ceux qui veulent un État juif entièrement homogène ni ceux qui vivent là mais ne sont pas juifs. Pour les premiers, les Palestiniens sont un obstacle dont on doit se débarrasser d’une façon ou d’une autre; pour les seconds, être Palestinien dans un État juif signifie vivre pour toujours dans un statut d’infériorité. Mais les Palestiniens israéliens ne veulent pas bouger; ils disent qu’ils sont déjà dans leur pays et refusent toute discussion proposant de les intégrer à un État palestinien séparé, si jamais celui-ci était établit. Dans le même temps, les conditions d’appauvrissement imposées à Arafat rendent difficile le contrôle de la population hautement politisée de Gaza et de la Cisjordanie. Les Palestiniens ont des aspirations à l’autodétermination qui, contrairement aux calculs israéliens, ne montrent aucun signe de dépérissement. Il est aussi évident que, en tant que peuple arabe – et, avec les traités de paix décourageants entre Israël et l’Égypte et Israël et la Jordanie, ce point est important – les Palestiniens veulent à tout prix préserver leur identité arabe en tant que partie du monde arabe et musulman environnant.
Pour toutes ces raisons, le problème est que l’autodétermination des Palestiniens dans un État séparé ne fonctionnera pas, pas plus que ne fonctionnera le principe d’une séparation entre une population arabe sans souveraineté et une population juive, démographiquement mélangées et irréversiblement connectées. La question, je pense, n’est pas d’inventer des moyens pour persister à essayer de les séparer, mais de voir comment il est possible de les faire vivre ensemble de la manière la plus juste et pacifique possible.
La situation actuelle est une impasse décourageante, pour ne pas dire sanglante. Les Sionistes à l’intérieur et à l’extérieur d’Israël ne renonceront pas à leur voeu d’un État juif séparé; les Palestiniens veulent la même chose pour eux-mêmes, bien qu’ils aient accepté beaucoup moins d’Olso. Cependant, dans les deux cas, l’idée d’un État pour «nous-mêmes» nie simplement la réalité des faits: à moins d'un nettoyage ethnique et de transferts de population massifs comme en 1948, il n’y a aucun moyen pour Israël de se débarasser des Palestiniens ni pour les Palestiniens d’obtenir qu’Israël s’en aille. Aucune des deux parties n’a de solution militaire viable contre l’autre, ce qui est la raison pour laquelle, j’ai le regret de le dire, ils ont opté pour une paix qui tente si évidemment d’accomplir ce que la guerre n’a pu obtenir.
Plus le développement actuel des colonies israéliennes persiste et plus le confinement et la résistance palestiniens se poursuivent, moins il y aura de chances pour une réelle sécurité pour les deux parties. L’obsession de Netanyahou d’imaginer la sécurité uniquement sous l’angle de l’acceptation de ses demandes par les Palestiniens a toujours été évidemment absurde. D’un côté, lui et Ariel Sharon agaçaient de plus en plus les Palestiniens avec leurs appels glaçants aux colons à s’emparer de tout ce qu’ils pouvaient. D’un autre côté, Netanyahou espérait que de telles méthodes forceraient les Palestiniens à accepter tout de la part d’Israël, sans aucune mesure israélienne en échange.
Arafat, soutenu par Washington, est chaque jour plus répressif. Se référant improbablement aux lois d’urgence britanniques de 1936 contre les Palestiniens, il a récemment décrété, par exemple, que constituait un crime non seulement le fait d’inciter à la violence, à la haine raciale ou religieuse, mais aussi de critiquer le processus de paix. Il n’y a ni constitution ni loi fondamentale palestinienne. Arafat refuse tout bonnement toute limitation de son pouvoir, se sachant soutenu par les États-Unis et Israël. Qui peut réellement croire que tout ceci apportera à Israël la sécurité et la soumission permanente des Palestiniens?
La violence, la haine et l’intolérance se nourrissent de l’injustice, de la pauvreté et du sentiment que sa maturité politique est empêchée. À l’automne dernier, des centaines d’acres de terre palestinienne ont été confisquées par l’armée israélienne près du village d'Umm Al-Fahm, qui n’est pas en Cisjordanie mais à l’intérieur d’Israël. Cela a rappelé le fait que, même en tant que citoyens israéliens, les Palestiniens sont traités en inférieurs, comme une sorte de population défavorisée [underclass] vivant dans des conditions d’apartheid.
Dans le même temps, parce qu’Israël n’a pas non plus de constitution, et parce que des partis ultra-orthodoxes acquièrent de plus en plus de pouvoir politique, il y a des groupes juifs et des individus israéliens qui ont commencé à s’organiser autour de l’idée d’une démocratie totalement laïque pour tous les citoyens d’Israël. Le charismatique Azmi Bishara, un membre arabe de la Knesset, a aussi évoqué la possibilité d’élargie le concept de citoyenneté comme un moyen de dépasser les critères ethniques et religieux qui font qu’actuellement Israël n’est pas un État démocratique pour 20 pour cent de sa population.
En Cisjoranie, à Jérusalem et à Gaza, la situation est profondément instable et explosive. Protégés par l’armée, les colons israéliens (près de 350000 personnes) vivent comme des extraterritoriaux privilégiés avec des droits que les résidents palestiniens n’ont pas. (Par exemple, les habitants de la Cisjordanie ne peuvent se rendre à Jérusalem, et sur 70 pour cent du territoire ils sont toujours soumis à la loi martiale israélienne, et leur terre est menacée de confiscation.) Israël contrôle les ressources en eau et la sécurité palestiniennes, ainsi que les entrées et les sorties. Même le nouvel aéroport de Gaza est sous le contrôle de la sécurité israélienne. Il n’est pas nécessaire d’être un expert pour voir que cette situation conduira forcément à étendre, et non à limiter, le conflit. Ici, la vérité doit être affrontée, pas évitée ou niée.
Il y a aujourd’hui des Juifs israéliens qui parlent franchement de «post-Sionisme», partant du fait que, après 50 ans d’histoire israélienne, le Sionisme classique n’a pu parvenir ni à une solution à la présence palestinienne, ni à une présence exclusivement juive. Je ne vois d’autre solution que de commencer aujourd’hui à parler de partager la terre qui nous a réunis, de la partager d’une façon réellement démocratique, avec des droits égaux pour tous les citoyens. Il ne peut y avoir de réconciliation sans que les deux peuples, deux communautés en souffrance, n’acceptent de percevoir leurs existences comme un fait accompli, et qu’il doit être traité comme tel.
Cela ne signifie pas réduire la vie juive en tant que vie juive, ou renoncer aux aspirations et à l’existence politique des Arabes palestiniens. Au contraire, cela signifie l’autodétermination pour les deux peuples. Mais cela signifie être prêt à adoucir, amoindrir et finalement abandonner le statut spécial d’un des peuples aux dépends de l’autre. La loi au retour des Juifs et le droit au retour des réfugiés palestiniens doivent être considérées et réévaluées ensemble. Les notions de Grand Israël en tant que terre donnée au peuple juif par Dieu et de Palestine en tant que terre arabe qui ne peut pas être retirée de la nation arabe doivent être réduites en importance et en exclusivité.
De manière intéressante, l’histoire millénaire de la Palestine fournit au moins deux précédents pour penser en termes séculiers et plus modestes. D’abord, la Palestine est et a toujours été une terre ayant plusieurs histoires; c’est une simplification excessive de la penser comme principalement, ou exclusivement, juive ou arabe. Si la présence juive est très ancienne, elle n’est en aucune façon la principale. Parmi les autres occupants, on trouve les Cananéens, les Moabites, les Jébusites et les Philistins pour l’Antiquité, et les Romains, les Ottomans, les Byzantins et les Croisés pour l’époque moderne. La Palestine est multi-culturelle, multi-culturelle, multi-religieuse. Il n’y a pas plus de justification historique pour l’homogénéité qu’il n’y en a pour des notions de pureté nationale ou ethnique ou religieuse aujourd’hui.
Deuxièmement, dans l’entre-deux guerres, un groupe petit, mais important, d’intellectuels juifs (Judah Magnes, Buber, Arendt et d’autres) ont argumenté et défendu l’idée d’un État binational. La logique du sionisme a naturellement balayé leurs efforts, mais l’idée est toujours vivante aujourd’hui, ici et là, parmi des individus juifs et arabes frustrés par les évidentes insuffisances et déprédations du présent. L’essence de cette vision est la coexistence et le partage selon des principes qui nécessitent une volonté innovante, courageuse et théorique de dépasser l’impasse aride de l’argument d’autorité et du rejet. Une fois réalisée la reconnaissance de l’autre comme son égal, je crois que le chemin à suivre devient non seulement possible mais séduisant.
La première étape, cependant, est une étape très difficile à faire. Les Juifs israéliens sont isolés de la réalité palestinienne; la plupart d’entre eux disent que ça ne les concerne pas vraiment. Je me souviens de la première fois où j’ai conduit de Ramallah à Israël: c’était comme passer directement du Bangladesh à la Californie du Sud. Cependant la réalité n’est jamais aussi proche. Pour ma génération de Palestiniens, qui ressasse toujours le choc d’avoir tout perdu en 1948, il est pratiquement impossible d’accepter que leurs maisons et leurs fermes ont été occupées par d’autres gens. Je ne vois pas de façon d’échapper au fait qu’en 1948 un peuple en a chassé un autre, commettant ainsi une grave injustice. En lisant ensemble l’histoire palestinienne et juive, non seulement on perçoit toute la force de la tragédie de l’Holocauste et de ce qui est arrivé ensuite aux Palestiniens, mais cela révèle aussi comment, dans le cours de la vie interconnectée des Israéliens et des Palestiniens depuis 1948, un peuple, les Palestiniens, a supporté une part disproportionnée de la souffrance et de la perte.
Les Israéliens religieux et de l’extrême-droite et leurs partisans ne voient aucun problème à une telle formulation. Oui, disent-ils, nous avons gagné, et c’est ainsi que cela devait être. Cette terre est la terre d’Israël et de personne d’autre. J’ai entendu ces mots d’un soldat israélien gardant un bulldozer en train de détruire un champ palestinien en Cisjordanie (sous le regard impuissant de son propriétaire) dans le but d’étendre une route de contournement.
Mais ils ne sont pas les seuls Israéliens. D’autres, qui veulent la paix comme le résultat de la réconciliation, se sont pas contents de la prise grandissante qu’exercent les partis religieux sur la vie israélienne et de l’inéquité et des frustrations d’Oslo. Beaucoup de ces Israéliens manifestent énergiquement contre les expropriations de terre palestinienne et les démolitions de maisons réalisées par leur gouvernement. Ainsi, on peut percevoir une saine volonté de rechercher la paix ailleurs que dans les confiscations de terres et les attentats-suicides.
Pour certains Palestiniens, parce qu’ils sont la partie la plus faible, les vaincus, renoncer à la totale restauration de la Palestine arabe, c’est comme renoncer à leur propre histoire. La plupart, cependant, surtout les enfants de ma génération, sont sceptiques face à leurs ainés et regardent de manière moins conventionnelle vers le futur, au-delà du conflit et de la perte sans fin. Évidemment, les establishments dans les deux communautés sont trop tenues pour pouvoir présenter des courants de pensées «pragmatiques» et les partis politiques pour s’aventurer dans quelque chose de risqué, mais quelques autres (Palestiniens et Israéliens) ont commencé à formuler des alternatives radicales au status quo. Ils refusent d’accepter les limitations d’Oslo, ce qu’un disciple israélien a appelé «la paix avec les Palestiniens», alors que d’autres me disent que la vraie lutte est pour l’égalité des droits entre Arabes et Juifs, et non pour une entité palestinienne séparée, forcément dépendante et faible.
Pour démarrer le processus, il faut développer quelque chose qu’il est totalement absent à la fois dans les réalités israélienne et palestinienne: l’idée et la pratique d’une citoyenneté qui ne dépende pas d’une communauté ethnique ou raciale, comme principale vecteur de la coexistence. Dans un État moderne, tous ses membres sont citoyens du fait de leur présence et du partage de droits et devoirs. La citoyenneté donne ainsi les mêmes privilèges et ressources aux Juifs israéliens et aux Palestiniens arabes. Une constitution et une charte des droits fondamentaux deviennent ainsi nécessaires pour dépasser l’étape du conflit, car chaque groupe aurait le même droit à l’autodétermination; c’est-à-dire le droit de mener la vie commune à sa façon (juive ou palestinienne), peut-être dans des cantons fédérés, une capitale commune à Jérusalem, un accès égal à le terre et des droits séculiers et juridiques inaliénables. Aucune des parties ne devrait être otage des extrémiste religieux.
Cependant, les sentiments de persécution, de souffrance et de victimisation sont si profondément impantés qu’il est presque impossible de lancer des initiatives politiques qui mettraient les Juifs et les Arabes dans le même principe d’égalité civique en évitant les écueils du «nous contre eux». Les intellectuels palestiniens doivent exprimer leur thèse directement dans les forums publics, universités et médias israéliens. Le défi est à la fois pour et à l’intérieur d’une société civile qui a longtemps été subordonnées à un nationalisme qui s’est développé comme un obstacle à la réconciliation. Surtout, la dégradation du discours – symbolisée par Aradat et Netanyahou échangeant des accusations pendant que les droits des Palestiniens sont compromis par des mesures de «sécurité» excessives – empêche l’émergence de toute perspective plus large et plus généreuse.
Les alternatives sont désagréablement simples: soit la guerre continue (avec le coût exorbitant du processus de paix actuel), soit on recherche activement une solution basée sur la paix et l’égalité (comme dans l’Afrique du Sud d’après l’apartheid), malgré les nombreux obstacles. Une fois que l’on admet que les Palestiniens et les Israéliens sont là pour rester, alors la solution décente est celle de la nécessité d’une coexistence pacifique et d’une véritable réconciliation. Une vrai autodétermination. Malheureusement, l’injustice et le bellicisme ne disparaissent pas d’eux-mêmes: ils doivent être attaqués par tous ceux qui sont concernés.