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10 octobre 2008

Le Rrrizbollah aime le rrroumous

La grande actualité politique du monde me donne l'occasion de faire enfin ce billet que je voulais écrire depuis un moment...

«Touche pas à mon houmous, avertit le Liban» nous dit l'AFP:

«“Ce qui me révolte avec Israël c'est qu'ils commercialisent le houmous comme étant un produit traditionnel israélien alors qu'il est clair qu'il s'agit d'un produit libanais”, déclare Ramez Abi Nader, un membre de l'association.»
Faites le test, demandez à un libanais de vous dire «ce qui le révolte avec Israël», vous n'allez pas être déçu. Le Guardian trouve également l'affaire passionnante. Évidemment c'est idiot: certes le houmous n'est pas israélien, mais il n'est pas non plus libano-libanais. Rami Zurayk le rappelle aimablement: «Drop the chauvisinism.» Et je vous donne un lien vers l'Académie syrienne de gastronomie pour achever d'enquiquiner mes amis libanais.

Quand au taboulé, je dois malheureusement informer mes (rares) lecteurs libanais que, pour les Français, c'est une espèce de salade au couscous sans goût et sans saveur servie tiède dans un tupperware. Ça se mange, difficilement, en pique-nique agrémenté d'une tomate écrasée au fond du sac à dos, un œuf cuit dur et un sandwich dont la mayonnaise a coulé en dehors du papier-plastique. Et c'est rigoureusement impossible à échanger avec vos petits camarades dont la maman, moins soucieuse d'équilibre alimentaire, a garni le sac d'un grand paquet de Mars et de Milky Way.

Pour le baba ghanouge, une plaisanterie raconte qu'en Égypte, si une femme demande à son mari ce qu'il veut manger pendant la saison de l'aubergine, il a le droit de demander le divorce.

De toute façon, n'importe qui sait parfaitement que le meilleur houmous n'est ni libanais ni syrien ni palestinien: «le meilleur houmous, c'est celui de ma mère». Par exemple, pour Ralph Nader, hé bien, c'est celui de... devinez qui.

Cependant, ce qui est remarquable, c'est que les arabes prononcent «hhoumous» avec un «h» expiré, tandis que les israéliens le prononcent «rrroumous» avec un «r» roulé façon jota espagnole. Et c'est ça qui énerve vraiment les libanais. Passe encore que les israéliens aiment un plat libanais-palestinien-syrien-égyptien, mais qu'ils le prononcent «rrroumous» constitue le véritable outrage!

J'en arrive à ce sujet dont je voulais vous causer depuis un moment...

Savez-vous comment on peut reconnaître un journaliste qui vient soit de se faire expliquer le danger islamiste, la dhimmitude et l'Eurabia par l'ambassadeur d'Israël à Paris, soit de trouver l'inspiration après plusieurs heures de visionnage de Guysen TV? C'est très simple, et il n'est pas nécessaire de recourir à une théorie du complot trop compliquée. Ce journaliste se reconnaît aisément: il dit «Rrrezbollah» (ou, pire, «Rrrizbollah») et «Rrramas», au lieu de «Hhezbollah» («h» expiré) et «Hhamas» (même «h» expiré).

Cette lettre n'est pourtant pas difficile à prononcer. Comme l'explique le père André d'Alverny («Cours de langue arabe», dans les années 1950 -- extrait véridique, je le recopie texto du bouquin):
C'est une très forte expiration du fond de la gorge, mais sans frottement; elle ressemble au souffle du caméléon.
Le souffle du caméléon, donc. Comme dans «hip hip hip hourra».

Bref, n'importe qui dira: «Hhassan Nasrallah du Hhezbollah aime le Hhoumous». Si un éditorialiste analyse: «Rrrassan Nasrallah du Rrrizbollah aime le Rrroumous», maintenant vous le savez: c'est un thuriféraire du sionisme.

C'est d'autant plus idiot, pour les analystes sionistes, de se faire piéger aussi facilement que, par ailleurs, il ne leur viendrait pas à l'idée de prononcer «Rafiq Rrrariri». C'est la même lettre. Au pire, ils diront «Rafikariri» d'une seule traite, mais pas «Rrrariri». (Pourtant, Rafiq Rrrariri aimait beaucoup le rrroumous.)

Prononcer «Rrrizbollah», ça vous trahit le propagandiste sioniste aussi sûrement que s'il disait «Eretz Yisrael» au lieu de «régime illégitime qui occupe al-Quds» au journal de 20 heures...

Rien à voir, mais il est plaisant de constater que, lorsqu'un français parle de Carlos Ghosn, aucun libanais ne sait de qui il parle («Carlos Guausne?»). Je ne sais pas, d'ailleurs, pourquoi ça se translittère «Ghosn». Parce que là, vous avez le droit de rouler les «r» comme n'importe mangeur de rrroumous: ça se prononce quelque part entre «Rrroussoune» et «Rrressen». Perso, je trouve que «Carlos Roussoune», ça a de la gueule.

Au fait, est-ce que Carlos Roussoune aime le hhhoumous? Il se trouve que oui: et celui qu'il préfère, c'est celui de... sa femme (Rita Roussoune, restaurant «My Lebanon» à Tokyo).

Sur ce, sahten.

12 commentaires:

YGQ a dit…

Rraah lovely : et dire que j'avais prévu de faire ma chronique sur cette petite affaire ! Après tant de verve, il va falloir que je me trouve un autre sujet... Cela dit, clea fait des années qu'on rigole en entendant parler du Rezbollah (plusieurs journalistes - allez, ce sont des femmes - de France Culture le font très bien !) et cela fait bien rire de le lire (YGQ)

Anonyme a dit…

Par contre cela ne m'a jamais fait rire, seulement énervé ! Votre billet est délicieux comme la cuisine d'Alep. Cuisine la plus raffinée du moyen orient , dixit un officier de l'armée israélienne dans Noce en Galilée de Michel Khleifi !

Anonyme a dit…

Bis ! Mais il n'y a hélas pas qu'à France-Culture mais aussi à France-Inter et dans tous les JT qu'on entend le Rrramas et le Rrrizbollah. Sans même exiger une "juste" prononciation de la part des confrères, on pourrait leur demander simplement de le prononcer "à la française" : Amas ou Izbollah. Pour l'anecdote, il y aquelques temps un collègue m'avait demandé pourquoi "les arabes" disaient Ramas et pas… Fatar.

(sinon, moi je préfère la tehina au houmous)

Anonyme a dit…

J'ai bien ri, et me suis souvenue d'une touriste française avec qui nous avions randonné au Maroc. Elle s'obstinait à appeler notre guide non pas A-H-med, ni même A-R-med ce qui peut à la rigueur se comprendre, mais Ramède.

Quinze jours d'affilée, sans jamais faiblir.

Anonyme a dit…

Et l'arak alors?
Pardon je veux dire l'3ra' (ça va comme ça l'accent?)

Anonyme a dit…

D'où le fameux proverbe :
R qui rrroule n'rrramasse pas rrroumousse !

Anonyme a dit…

Bonjour,

Cet article est intéressant, mais j'ai eu du mal au début à comprendre en raison d'une petite imprécision terminologique, à mon sens.
Ce qu'on appelle une r roulée, ce n'est pas la "jota" espagnole, qui correspond à la lettre j dans cette langue, et qui est une sorte de raclement du fond de la gorge, mais plutôt l'r telle que la prononcent les Espagnols, les Italiens et les Provençaux (entre autres). C'est une vibration de la langue contre le palais. Ce n'est pas du tout le même son. En arabe, l'r roulée correspond à la lettre râ (10e lettre de l'alphabet), et la "jota", au "khâ" (7e lettre). Elle se note en général "kh" en transcription française.
Elle ressemble assez (graphiquement et phonétiquement) au "hâ" de "Houmous" (6e lettre), et du reste en hébreu, qui a moins de consonnes que l'arabe, ces deux lettres n'en font qu'une. D'où les problèmes que vous signalez.
En somme, les gens qui parlent hébreu ont raison de leur point de vue, mais pour un arabophone c'est vrai que cela fait bizarre.
Cependant, heureusement, personne à ma connaissance n'a encore eu l'idée de prononcer "ramas" ou "roumous" avec l'r roulée à la provençale de Brassens dans "garrre au gorrrille..." !
Bien à vous,
Z.

Anonyme a dit…

Complément à mon dernier message:

Nidal a écrit:

"Je ne sais pas, d'ailleurs, pourquoi ça se translittère «Ghosn»."

Tout simplement parce qu'il ne s'agit pas de la même lettre, pas du même son ! Habituellement, comme je le disais, on réserve l'r à la translittération du râ, 10e lettre de l'alphabet arabe. On utilise donc généralement le digramme "gh" pour rendre le ghaïn, 19e lettre.

Leur prononciation est très différente, et jamais un Arabe ne vous comprendra si vous inversez les deux ! Le râ est une r roulée (prononcée à la façon des Marseillais), tandis que le ghaïn correspondrait à ce que l'on nomme l'r "grasseyée", c'est-à-dire prononcée par une vibration de la glotte (et non de la langue). Cela se rapprocherait assez de la pronociation parisienne. Rien à voir non plus avec le khâ, qui correspond à la "jota" espagnole.

En conséquence, si vous allez par exemple au Maroc, gardez-vous bien de confondre du raïb (avec râ), sorte de yaourt artisanal, le ghaïb (avec ghaïn), qui signifie le "mystère" ou l'"absence", et khaïb (avec khâ), qui veut dire "mauvais"...
Ne confondez pas non plus "ghauth" (avec ghaïn), qui signifie un "secours", et "rauth" (avec râ), qui signifie du "crottin". Sinon, quand vous demanderez du secours, il ne faudra pas vous étonnez qu'on vous laisse dans la M....

Voilà, Nidal, j'espère être en partie venu à ton secours.

Cordialement,

Z.

bεRtuj a dit…

Cette histoire de H et R roulé me rappelle les gens qui prononcent Mitrran pour parler de Mitterrand ou encore ceux qui disent "le Traité de Maastrict". Là aussi, la prononciation dénote l'opinion politique.

Un peu comme dans Sarkonzy.

Oumelkheir a dit…

Soeur Elizabeth, chez qui j'ai été elève dans mon enfance (en Algérie on a eu des écoles de pères blancs et de soeurs quelques années après l'indépendance encore) m'appelait Oumelrrreirrr ou Oumelgheigh si vous voulez.... mais bon elle était très gentille avec moi c'est juste que mon nom était imprononçable pour elle, très difficile....

Anonyme a dit…

Et vous, savez vous comment on prononce "mission humanitaire" prononcée en français par Bernard Kouchn ?

Mission qui hoquette ou mission anti Rrrrroquettes ?

Anonyme a dit…

Il y a deux choses. D'une part, les Israéliens prononcent effectivement le hhâ' arabe en raclant la gorge et les personnes influencées par les médias ou simplement les usages israéliens ont tendance à le reproduire. D'autre part, et ce serait la moindre des honnêtetés de le signaler plutôt que de voir a priori des "agents du sionisme" partout, un francophone ne fait généralement pas de distinction précise entre le h fortement expiré et le r raclé, qui sont tous deux des sons inexistants en français, perçus comme rauques et, pour tout dire, typiquement arabes (d'autant que la catégorisation phonologique de la "langue arabe" par les Français se fait très généralement à partir des variantes dialectales maghrébines, plus "rudes" que les variantes moyen-orientales, du fait de la forte présence immigrée nord-africaine). Beaucoup de manuels d'arabe en français s'appesantissent d'ailleurs sur la différence entre le Khâ' et le Hhâ' du fait même qu'il s'agit d'une erreur très commune de la part des grands débutants.