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01 octobre 2008

Risque politique de la crise ?

Publié hier, un article de Christian Chavagneux pour «Alternatives économiques» me donne envie de prolonger les questions de mon précédent billet. En effet, si l'aspect moral du plan est souvent discuté (sous l'angle «prendre aux pauvres pour donner aux riches»), je trouve regrettable que l'aspect politique soit assez systématiquement oublié. C'était l'objet de mon billet.

Christian Chavagneux soutient le «plan Paulson» avec un enthousiasme qui laisse coi. Le titre du billet («Le rejet du plan Paulson plonge la finance dans une double crise») est confirmé dans le chapeau («Le rejet du plan Paulson par la majorité des parlementaires américains a plongé la finance internationale, y compris l’Europe, dans un gouffre dont il est difficile de savoir comment elle va sortir.»). L'article rappelle pourtant, plus loin, l'évidence: la (double) crise précède le rejet du plan Paulson, et non l'inverse. Alors pourquoi ce titre et cette introduction?

Les deux derniers paragraphes sont assez étonnants.

Si 700 milliards de dollars peuvent être engagés, il n'est pas certain que le gouvernement aura besoin d'utiliser toute cette somme. De plus, une fois la crise passée, certains des actifs achetés vont voir leur valeur augmenter et le gouvernement pourrait même gagner de l'argent sur certaines transactions. De plus, la dernière version du plan prévoit que le gouvernement se voit offert en garantie la possibilité d'acheter des actions des banques qu'il aide. Ainsi, si la situation des banques s'améliore, le gouvernement peut vendre les actions et gagner de l'argent pour rembourser le coût du plan. Enfin, et ce n'était pas la moindre des avancées, le plan prévoit une revue de l'application du plan 5 ans après et permet au gouvernement de taxer le secteur financier si le coût budgétaire final s'avère important.
Si je lis bien, ce plan est tellement bon que:
  1. c'est un plan à 700 milliards qui coûtera moins de 700 milliards;
  2. en plus, à la fin, on va récupérer une bonne partie de de cet argent;
  3. et même le gouvernement pourrait bien «gagner de l'argent pour rembourser le coût du plan».
C'est la fête!

Mais alors, pourquoi un aussi bon plan a-t-il été initialement rejeté?
Ce plan, nécessaire, a été rejeté par 228 parlementaires, 95 démocrates et 133 républicains. On savait depuis le début que des démocrates allaient refuser le plan et on attendait une mobilisation des républicains. Celle-ci a bien eu lieu mais pour rejeter le plan. D'une irresponsabilité totale au regard de l'histoire et de leur pays, ces parlementaires ont refusé le plan pour deux raisons. Soit par pure idéologie, le qualifiant de « socialisme financier ». Soit parce qu'élus avec une faible marge et devant se représenter début novembre devant des électeurs réticents au fait d'aider Wall Street, ils ont préféré rejeter le plan plutôt que d'en expliquer la nécessité. La violence du rejet du plan, de Paulson et de l'autorité de George W. Bush, a été telle que 18 % des parlementaires républicains partant en retraite, et donc sans enjeu électoral, ont tout de même voté non.
À nouveau, si je lis bien: les élus américains l'ont refusé, c'est parce que:
  1. ce sont des idéologues (hum... des élus du peuple rejettent un plan pour des motifs politiques alors que ce plan est économiquement «nécessaire»; est-ce désormais un argument valable dans «Alternatives économiques»?);
  2. ce sont des démagogues qui cherchent à se faire réélire (ce qui est mal);
  3. même ceux qui ne sont ni idéologues et qui ne cherchent pas à se faire réélire sont contre (bon: «18% des parlementaires républicains partant en retraite», ça doit faire deux personnes à tout casser, genre 2 sur 11 ça fait 18%): ça prouve bien quelque chose mais je ne sais pas exactement quoi. 82% des parlementaires républicains (genre: 9 sur 11) qui partent en retraite ont voté pour, mais ça, ça ne prouve pas grand chose (personnellement, si 82% des républicains sont pour, j'aurais tendance à trouver ça suspect, mais c'est une autre histoire).
Le Diplo a posté, au même moment, une «valise diplomatique» qui rend tout de même moins «idéologue», «démagogue» et indéfendable le choix de certains parlementaires:
En pleine campagne électorale, de nombreux parlementaires ont mesuré l’ampleur du ressentiment populaire devant un plan qui, aux frais du contribuable, efface les pertes des banques, alors que rien d’aussi massif n’avait été prévu quand des centaines de milliers d’Américains furent précipités dans la faillite par la baisse de leurs actifs immobiliers.

[...]

Au-delà de l’horreur que peut inspirer à ces derniers un engagement supplémentaire de la puissance publique (un républicain est, théoriquement, en faveur du « moins d’Etat » et des comptes en ordre…), leur vote négatif s’explique par le caractère autoritaire et précipité de la décision qu’on voulait leur faire prendre
Une autre question devrait être, à mon avis, posée. Elle rejoint mes questions sur les risques politiques induits par la crise: dans quelles conditions peut-on à nouveau donner des pouvoirs aussi grands à l'administration Bush, sachant à quel point cette administration est capable d'abuser du moindre pouvoir qui lui est confié, et à quel point ces abus de pouvoirs sont les réussites que l'on sait?

Les trois hommes qui auraient la main directe sur ce pactole de plus de 700 milliards de dollars, ce sont:
  • Henry Merrit «Hank» Paulson Jr., «United States Treasury Secretary» (je préfère ici ne pas traduire les noms des fonctions officielles et des institutions pour éviter les contresens), nommé par Georges W. Bush le 30 mai 2006;
  • Ben Shalom Bernanke, «Chairman of the Board of Governors of the United States Federal Reserve», nommé par Georges W. Bush le 1er février 2006; il est à noter que tous les membres du Board of Governors actuels ont pris leur poste sous la présidence de Georges W. Bush;
  • Christopher Cox, «Chairman of the Securities and Exchange Commission», nommé par Georges W. Bush le 3 août 2005.
Un des articles du plan donnait l'ampleur de la prise de pouvoir énorme qu'il représente:

Rosner also says full disclosure is important since the bill as it now stands gives the U.S. Treasury Secretary basically unchecked power to deal with $700 billion in taxpayer funds. According to Section 8 of the proposal, the decisions are "non-reviewable and committed to agency discretion, and may not be reviewed by any court of law or any administrative agency."

That "prevents judicial action could allow the protection of decisions that create false marks, hide prior marks, or could be used to prevent civil or criminal prosecution in situations where a management knowingly provided false marks that aided the growth of this crisis of confidence," Rosner said in a note to clients.

Pour se donner une idée du «pouvoir» que représentent 700 milliards de dollars, signalons que c'est une somme supérieure au montant total du budget militaire des États-Unis (651 milliards). C'est également une somme supérieure à l'ensemble des budgets militaires cumulés de tous les autres pays de la planète. Et ce serait directement géré par trois hommes nommés par Georges W. Bush (qui terminera son mandat que le 20 janvier 2009).

Bref, y a-t-il des risques politiques liés à ce plan? Les élus américains qui rechignent à signer cet énorme transfert de pouvoir n'ont-ils que des motifs idéologiques et démagogiques, ou ont-ils quelques raisons de s'inquiéter? Y a-t-il un contre-pouvoir efficace prévu (ou même possible) face à ce pouvoir confié à trois hommes?

Christian Chavagneux explique (avec un adorable point d'exclamation final):
Dans la version finale, achevée dans la nuit de samedi à dimanche, le secrétaire au Trésor se voit octroyé toute latitude pour acheter à qui il veut, au prix qu'il veut et avec la méthode qu'il veut les actifs immobiliers risqués des banques. Mais il est ensuite pris sous le feu de quatre projecteurs qui vont scruter à la loupe ce qu'il fait : un Financial Stability Oversight Board devant lequel doit être présenté un rapport tous les mois ou toutes les fois que 50 milliards de dollars sont dépensés ; le Comptroller General, qui surveille la façon dont l'Etat dépense son argent, doit suivre la réalisation du plan ; un inspecteur général du plan est nommé pour le suivre également de près ; enfin, un panel du Congrès suivra également ce qui se passe !
Se pourrait-il que les parlementaires américains, après huit années d'aventurisme néo-conservateur, ne trouvent pas encore cela assez rassurant?

2 commentaires:

Anonyme a dit…

Et quid des expéditions(coloniales) vers les territoires d'outre-mer en guise d'exutoire... Je songe bien sûr à l'Iran ! Quel qu'en soit le résultat réel, car pour ceux qui en doutaient, on voit aujourd'hui que ce n'est pas la raison qui guide un tel "système"...

Anonyme a dit…

Bonsoir Nidal,

Pourriez-vous nous fournir un début d'analyse sur la réquisition du parquet à l'encontre de Dominique de Villepin? c'est un sujet qui me paraît en ce moment tout aussi primordial que la crise financière (que vous analysez fort bien).

Merci