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02 janvier 2007

15 mai 1948, Le Monde salue «La résurrection de l'État juif»

Je viens de remettre la main dessus: La Une, Le Monde, 1944-1996. L'extrait qui suit n'est pas un document historique indispensable, mais cela pourra intéresser quelques lecteurs: il s'agit de la colonne «Bulletin de l'étranger» publiée en première page du quotidien Le Monde daté du 16-17 mai 1948. Le bulletin, lui est daté du 15 mai.

Le titre de Une, qui jouxte ce billet, est «L'État d'Israël proclamé cette nuit est aussitôt reconnu par Washington».

Clairement, il ne faut pas prendre ce texte pour un exposé historique: c'est un commentaire journalistique contemporain de l'événement en question.

Paris, 15 mai 1948
Bulletin de l'étranger
La résurrection de l'État juif

Après deux mille ans d'exil le peuple juif retrouve son indépendance dans le pays de ses ancêtres. L'événement réalise tout d'un coup devant nos yeux un chapitre nouveau de l'Histoire sainte qui apparente notre ère matérialiste aux temps bibliques.

Le nouvel État d'Israël a été conçu de sueur, de sang et de larmes. Autant que les exploits des combattants de la Haganah ou des exaltés de l'Irgoun, la souffrance des six millions de d'Israélites immolés par le nazisme a concouru à lui donner le jour.

L'enfantement lui-même s'est produit dans une confusion invraisemblable. Le 29 novembre 1947, les Nations unies, votant le plan de partage de la Palestine, envisageaient la création d'un État juif; deux jours plus tard leur quasi-totalité se dérobait devant la responsabilité de leur acte. Jusqu'à la onzième heure le partage a été combattu sur place par la Grande-Bretagne.

Mais l'attitude en apparence la plus incohérente a été, il faut le dire, celle des États-Unis, qui, principaux champions du partage, ont fait amende honorable, hésité, proposé jusqu'à hier encore une dizaine de solutions contradictoires, pour enfin se résoudre à une décision sensationnelle, qui surprit les Juifs eux-mêmes: la reconnaissance «de facto» du nouvel État.

Pourtant la décision américaine est moins surprenante qu'on ne le pense à première vue. Depuis la nomination du général Hilldring à la direction des affaires palestiniennes, il était possible de prévoir que la diplomatie américaine penchait de nouveau à reconnaître l'État de fait créé par les succès juifs en Palestine.

En réalité, deux facteurs essentiels paraissent avoir dicté la décision de Washington.

L'U.R.S.S. et ses satellites ont à plusieurs reprises laissé entendre que l'État juif serait reconnu par eux dès sa création. Pour des raisons de politique intérieure américaine, le président Truman ne pouvait se laisser devancer par la reconnaissance soviétique. Ses hésitations lui avaient valu de sévères critiques, et notamment l'échec électoral de Bronx. Sur le plan international, rien n'aurait pu empêcher les Juifs de Palestine de faire appel, pour la protection de leur nouvel État, à l'aide soviétique, dans le cadre parfaitement légal de la décision de l'O.N.U.

Quoi qu'il en soit, la reconnaissance des États-Unis a gagné de vitesse celle des l'U.R.S.S.

Les Juifs, à coup sûr, ne s'en plaindront pas. Leur État est maintenant assuré de l'appui des Deux Grands et, partant, de presque toutes les Nations unies.

Devant les dirigeants sionistes les tâches sont immenses.

Il importe d'abord qu'ils organisent leur État. Le flot de réfugiés prêt à déferler sur la Terre sainte doit être canalisé, réduit, étalé sur de longues années à venir. Ce fait à lui seul réserve de sérieuses difficultés à l'État d'Israël. Le territoire de celui-ci devra en outre être aménagé en vue de subvenir aux besoins de ses habitants. L'industrie sioniste, frappée en plein essor par les troubles de ces dernières années, a, en plus, perdu la plupart de ses débouchés, c'est-à-dire les marchés arabes.

Et précisément la tâche essentielle du gouvernement juif est de trouver un «modus vivendi» avec ses voisins.

Pour l'instant les hostilités sont ouvertes. Les armées arabes ont, selon les dernières dépêches, franchi la frontière palestinienne. La rencontre est à première vue inévitable. À moins que les arabes n'opèrent un freinage de dernière heure, qui permettrait au roi de Transjordanie de constituer l'unité arabe sur les anciens territoires promis à sa famille. La «Grande Jordanie» est déjà virtuellement réalisée, la Légion arabe occupe tous le points stratégiques de la Palestine arabe. Il est probable que le roi Abdallah hésitera à compromettre tant d'avantages sur un coup de dés. Un accord avec les Juifs lui paraîtra sans doute préférable.

De toute façon, sur ce plan également, l'événement est lourd de conséquences. La baudruche du panarabisme, un peu gonflée par la Grande-Bretagne, a été crevée. Quelle que soit l'issu du conflit, les États arabes sont maintenant placés devant leurs responsabilités. La Ligue arabe n'a pas eu jusqu'à ce jour une seule réalisation d'ordre social à son actif. Au lieu de chercher en Palestine ou en Afrique du Nord un dérivatif aux mécontentements de la masse arabe, ses dirigeants vont se voir contraints par le développement de la situation en Palestine à envisager des réformes et une amélioration du niveau de vie en Proche-Orient.

Aux uns comme aux autres, l'aide des Nations unies est nécessaire. L'O.N.U., dont le rôle en l'occurrence n'a pas été brillant, peut trouver là une occasion inespérée de se racheter. De toute façon, pour la première fois, et bien malgré elle, une de ses décisions a enfin été appliquée.

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Que vient faire cet article sur ton site le 2 janvier 2006 ? Quel message veux-tu nous transmettre ?

Nidal a dit…

@Anonymous

Aucun message. C'est simplement à titre documentaire (vu que je viens de remettre la main dessus).

Lien très indirect à mon avis: constater le ton (très orientaliste: ainsi l'homme blanc trouve que les arabes feraient bien de faire autre chose que de s'agiter autour de la Palestine et de l'Afrique du Nord) d'un commentaire de l'époque avec ce qui se fait aujourd'hui.

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Bon, sinon, pas de médias libanais aujourd'hui, alors je n'ai pas grand chose à me mettre sous la main. Du coup je balance de l'archive.

Sophia a dit…

Nidal,

La russie soviétique de Stalin fut le premier allié de l'état juif comme la droite américaine aujourd'hui. Je me demande quels sont les nobles buts poursuivis par des courants et régimes si réactionnaires dans leur support pour l'état juif ? On demande aux Palestiniens d'être purs, purs de toute alliance avec des extrêmismes ou des groupes douteux connus pour leur anti-sémitisme mais on salue et continue à saluer un état raciste né du support des idéologies les plus racistes et réactionnaires dans notre Occident 'idéal'.