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07 octobre 2009

Corruption, incompétence, collaboration, ou les trois?

Le scandale de la reddition en rase campagne de Mahmoud Abbas quant au rapport Goldstone provoque une crise profonde. Après mon billet d'hier (la traduction d'un billet d'Electronic Ali), il me semble intéressant de vous présenter d'autres commentaires sur cette affaire.

En particulier, un billet remarquable de Saree Makdisi offre trois explications possibles:
Corruption; incompetence; collaboration: ah, the agony of choice.
Comme il le dit simplement, la trahison est grave:
On peut difficilement attendre d'autres États qu'ils résistent à la pression étasunienne et soutiennent une résolution en faveur des droits des Palestiniens que la délégation palestinienne elle-même renonce à soutenir – pourquoi le Venezuela, le Nigeria ou le Pakistan devraient être plus Palestiniens que les Palestiniens?
Concernant la corruption de l'Autorité palestinienne, Saree Makdisi reprend essentiellement les informations déjà présentes dans le billet d'Electronic Intifada que j'ai traduit ici hier: l'implication directe de la clique Abbas dans une entreprise téléphonique financée par des hommes d'affaire du Golfe, et le chantage israélien pour «libérer» la bande de fréquences nécessaire au lancement de ce réseau téléphonique.

Je voudrais faire ici un aparté.

La question de la corruption en Palestine m'a toujours paru problématique: c'est typiquement un sujet exploité par les Israéliens pour déligitimer leurs interlocuteurs et pouvoir prétendre qu'ils n'ont aucun «partenaire» pour négocier (en faisant, évidemment, l'économie de leurs propres problèmes de corruption). En gros: Arafat est corrompu, on peut pas négocier avec lui; les organisations de résistance, elles, sont «islamiques», «antisémites», «terroristes», on ne peut pas non plus négocier avec elles. Situation confortable pour qui ne cherche pas la paix («nous n'avons pas d'interlocuteur pour la paix»...).

Surtout, peut-on sérieusement s'étonner de l'existence de la corruption en Palestine? Soixante ans d'occupation, des enjeux de pouvoir permanents (puisque, dans un non-État, le pouvoir ne peut évidemment pas avoir de légitimité purement démocratique, mais être uniquement le fruit d'enjeux, de négociations, d'«équilibres» diplomatiques, de l'histoire de la lutte armée... au point que, lorsqu'une légitimité démocratique émerge enfin après des élections, elle est immédiatement noyée sous les bombes et le blocus), le besoin permanent de graisser des pattes (en Palestine occupée et à l'étranger), la fréquentation continue d'officines de sécurité recourant elles-mêmes à la corruption, la longue fréquentation du système libanais (hé hé), le besoin de financer une tripotée de trucs occultes (armes, communication), l'obligation d'ailleurs de mettre en place des structures occultes pour ne pas servir de cible aux interventions israéliennes, de l'argent légal déversé dans un non-État sans structures de contrôle ni contre-pouvoirs, et des financements occultes de la part de tous ceux qui interviennent en Palestine pour promouvoir leurs intérêts ou leur idée de la «paix» (le «Quartet», Israël, les pays du Golfe, etc.). Le système politique israélien, qui se présente comme une démocratie moderne dotée de contre-pouvoirs, est totalement vérolé par la corruption. Comment imaginer que la Palestine, qui n'a aucune des caractéristiques d'un État, puisse échapper à la corruption? Corruption qui, dans cette situation, me semble à la fois inévitable et, pour une part, indispensable.

Bref, le système Arafat a toujours été corrompu et a toujours fait usage de la corruption. Mais le problème est qu'il est très difficile d'utiliser cet unique argument pour nier sa légitimité. Il y a une foule d'autres aspects pour critiquer l'épopée Arafat, mais le problème de la corruption m'apparaît naïf et (trop) facilement utilisé par les israéliens pour refuser toute négociation.

Cependant, avec Abbas et «la jeune garde» symbolisée par Dahlan, il n'est pas impossible de considérer que la corruption est devenue l'unique moteur de l'Autorité palestinienne, l'aspect central expliquant les deux autres aspects évoqués par Saree Makdisi, l'incompétence et la collaboration.

La seconde explication possible, selon Makdisi, est l'incompétence.
L'une des explications est, simplement, l'incompétence: qu'Abbas et ses associés manquent tellement d'intelligence, d'imagination et compétences politiques qu'ils aient simplement raté toute l'affaire. Cela n'est certainement pas hors de question: Abbas lui-même est un homme extraordinairement fade et profondément compromis, et son cercle d'intimes – dont des hommes comme Mohammad Dahlan et Saeb Ereikat – inspire encore moins confiance qu'Abbas lui-même. En dehors de leur profond dédain pour les souffrances palestiniennes à Gaza (obtenir réparation de ces souffrances devrait être leur principale priorité), il devrait être clair qu'un participant à une négociation qui jette volontairement par la fenêtre une de ses rares cartes maîtresses tout en essayant (ou en prétendant) négocier n'est, c'est un euphémisme, pas qualifié pour négocier dès le départ, et encore moins pour prétendre «mener» un peuple rebelle et invaincu comme les Palestiniens. Si la direction de Ramallah est aussi désespérément incompétente selon ce scénario, c'est une raison suffisante pour leur retirer leur mandat, sinon pour dissoudre l'Autorité palestinienne elle-même. (Il est difficile, cependant, de «retirer son mandat» à quelqu'un comme Abbas, qui n'a de toute façon pas de «mandat» [...].)
L'option de l'incompétence est celle soutenue par Rami G. Khoury dans un billet du Daily Star:
The total emptiness in the Palestinian presidential chair is a problem that has a solution; in one move Abbas can help rebuild the credibility of the Palestinian presidency while simultaneously strengthening overall Palestinian national unity and political cohesion.

He should simply call early elections for the Palestine Authority presidency, not stand as a candidate, and instead devote time to using his other position as head of the Palestinian Liberation Organization’s Executive Committee to achieve a critical need absent from Palestinian life for decades: namely, building a national consensus by giving voice to all groups of Palestinians and especially to refugees living in camps throughout the Middle East.
Mais l'aspect le plus intéressant de l'article de Saree Makdisi est, à mon avis, sa troisième option: il explique le pourquoi du comment de l'Autorité palestinienne elle-même, et en quoi cette Autorité n'a qu'une seule fonction: la collaboration.
Une autre possibilité – que je trouve plus plausible – est qu'Abbas, l'Autorité palestinienne et l'essentiellement défunte OLP ne sont pas (et n'ont jamais été, au moins depuis la mort de Yasser Arafat) intéressés par de véritables négociations avec Israël qui auraient pu mener à la création d'un véritable État palestinien dans les territoires occupés. Après tout, une des principales critiques des accords d'Oslo de 1993-1995 qui ont donné naissance à l'Autorité palestinienne est que, loin de mettre un terme à l'occupation israélienne du territoire palestinien, ils ont surtout servi à transférer la charge et le coût quotidiens que représente l'occupation à l'AP nouvellement fondée, tout en permettant à Israël de continuer à démolir des maisons palestiniennes, à exproprier des terres palestiniennes et à construire des colonies juives en territoires occupés en contravention avec la loi internationale. Oslo a formellement divisé en trois parties le territoire palestinien qu'Israël occupe depuis 1967 (Gaza, la Cisjordanie et Jerusalem Est), séparées les unes des autres et du monde extérieur et, de plus, a divisé la Cisjordanie elle-même en trois Zones A, B et C. C'est seulement dans la Zone A (environ 18% du total) que l'Autorité palestinienne a une quelconque présence réelle sur le terrain, et dans la Zone C (60% de la Cisjordanie), l'AP n'a ni rôle ni aucune présence – et c'est là qu'Israël s'est consacré (et le fait toujours) à démolir, exproprier et construire. Oslo et l'Autorité palestinienne, en d'autres termes, loin de mettre un terme à l'occupation et de jeter les bases pour la création d'un État palestinien indépendant, ont en fait permis à Israël de consolider son occupation et de renforcer sa mainmise sur de terres palestiniennes. C'est exactement pour cela que la population de colons juifs en Cisjordanie et à Jerusalem Est a doublé pendant l'époque d'Oslo et a continué à augmenter depuis – jusqu'à atteindre aujourd'hui un demi-million de personnes.

Comme le récent épisode le démontre amplement, l'Autorité palestinienne sert Israël en facilitant l'occupation – ce pour quoi Israël l'a inventé à l'origine, de la même façon que, historiquement, les puissances coloniales ont toujours tenté de créer ou d'exploiter des élites locales pour les aider à gérer une large population: une approche joliment résumée par Macaulay dans sa Minute on Indian Education de 1835 («Nous devons à présent faire de notre mieux pour former une classe qui nous serve d'interprètes entre nous et les millions que nous gouvernons; une classe d'individus, Indiens par le sang et la couleur, mais Anglais par le goût, l'opinion, la morale et l'intellect»). Pourquoi l'Autorité palestinienne voudrait-elle la fin d'un système dont elle bénéficie? Comme l'intellectuel français Régis Debray le fait remarquer, le status quo founit aux élites de l'AP à Ramallah «un mode de vie, un statut, une dignité et une raison d'être», et probablement (par exemple, si toutes les rumeurs sur le contrat de téléphonie mobile sont avérées) bien plus par le biais d'émoluments afférents.

Même si l'on voulait donner à l'Autorité palestinienne, à Abbas et à ses associés le bénéfice du doute, et affirmer qu'ils mettent vraiment le meilleur intérêt de leur peuple au centre de leurs préoccupations, il reste dans tous les cas le fait que l'Autorité, même dans le scénario le plus optimiste, ne peut prétendre représenter qu'une minorité du peuple palestinien, puisque seule une minorité des palestiniens vit dans les territoires occupés: la majorité vit soit dans un exil qui leur a été imposé par la force lors de la création d'Israël en 1948, ou (dans le cas de ces Palestiniens qui ont survécu à l'épuration ethnique de cette année là et sont restés chez eux) en tant que citoyens de seconde classe dans un État qui se voudrait juif et qui les discrimine systématiquement parce qu'ils ne sont pas juifs.
C'est un point particulièrement intéressant et important, en ce qu'il questionne l'existence même de l'Autorité palestinienne, mise en place uniquement pour permettre à Israël de se débarrasser de la gestion d'une minorité des Palestiniens occupés (Ramallah n'ayant, en pratique, la gestion que d'une infime minorité du peuple palestinien). De fait, l'objet même de l'Autorité palestinienne est d'être une structure de collaboration, «auquel cas il n'est pas moins collaborationniste que le “gouvernement” de Vichy dans la France occupée par les nazis des années 1940».

Comme l'indique Yves Gonzalez-Quijano dans son court billet du jour, une autre rumeur, alimentée par le quotidienne israélien Maariv, circule. Reproduite par des médias palestiniens (même s'il est, pour le coup, particulièrement nécessaire de la prendre au conditionnel), on ne peut douter qu'elle aura un impact important), elle alimente également la critique d'un «régime de collaboration»:
La presse palestinienne (http://www.arabs48.com) relaie en arabe des infos «données» (?) par le quotidien israélien Maariv selon lesquelles les responsables de Tel-Aviv menaceraient Abou Mazen de rendre public une vidéo où on le voit plaider avec la toute dernière énergie devant le ministre de la Défense, Ehoud Barak, en faveur d’une intensification des bombardements sur Gaza. Ce serait - on souligne le conditionnel - la divulgation de ces images auprès de certaines délégations des Nations unies qui aurait entraîné la position palestinienne…
Angry Arab, lui, voit d'ailleurs déjà se profiler une tentative de sortie de crise (ce qui, d'ailleurs, irait dans la logique du billet du Daily Star): mettre tout sur le dos d'Abbas et le faire remplacer par un de ses plus proches collaborateurs (notamment Dahlan):
Il semble que les États-Unis et Israël soient en train de monter quelque chose: l'expression de l'opposition à Abou Mazen (Abbas) par de gens tels que Muhammad Dahlan et Nabil `Amr pourrait indiquer un plan pour se débarrasser d'Abou Mazen dans le but de sauver l'équipe collaborationniste du Fatah. Le gouvernement égyptien vient juste d'annoncer une date pour la signature d'un traité de réconciliation entre le Fatah et le hamas le 25 octobre. Le Hamas devrait être blâmé pour le sauvetage d'Abou Mazen.

1 commentaire:

Unknown a dit…

Bonjour,
Dans une note de ce jour, Me Gilles Devers indique que "La procédure continuera, en s’appuyant sur le rapport Goldstone et sans être freiné en rien par les délibérations du Conseil des Droits de l’Homme."

[->http://www.palestine-solidarite.org/analyses.Gilles_Devers.071009.htm]