Je dois avouer que j'ai des goûts cinématographiques assez spéciaux: j'aime les films bizarres, décalés, imparfaits, discutables... C'est peut-être pour cela que j'ai aimé le film israélien sorti la semaine dernière en France: Beaufort.
Ça n'est en effet pas tous les jours qu'on peut voir un film aussi clairement négationniste. Évidemment, je viens de vous le dire: en matière de cinéma, j'aime le spécial, le raté, le pas fameux.
Par «négationniste», je veux dire: «qui nie une réalité historique avérée».
* * *
Les critiques de films sont, dans la triste caste des journaleux, parmi les plus fainéants et les plus incultes. La recopie minutieuse d'extraits choisis du dossier de presse est pour eux une tâche épuisante. La lecture de la page
des résumés de critiques consacrées à Beaufort sur AlloCiné donne le ton:
«L'armée israélienne apparaît dans sa dimension de bravoure et d'absurde. Joseph Cedar (...) pose les questions qui dérangent.» - TéléCinéObs, François Forestier
«Au-delà du message politique évident du film, Beaufort trouve aussi une profondeur inattendue dans l'utilisation que fait Cedar de son décor (...) Un juste questionnement sur l'histoire.» - Les Inrockuptibles, Jean-Baptiste Morain
«Le film est sorti en Israël quelques mois après la “deuxième guerre du Liban”, en 2006, dans un fort moment de contestation des opérations menées. La leçon en va bien au-delà.» - L'Humanité, Dominique Widemann
«Hymne anti-guerre, (...) ce film est un coup de maître de la part d'un réalisateur qui avait un temps - ironie de l'histoire - caressé l'idée de devenir général.» - La Croix, Sophie Conrard
«Un film précis qui ne célèbre jamais [la guerre] (...) Beaufort est juste d'un bout à l'autre. (...) C'est un peu toutes les guerres qu'il raconte.» - Libération, Jean-Pierre Perrin
«Un vigoureux pamphlet contre l'absurdité de la guerre.» - Ouest France
La lecture de toutes les notules est simplement démoralisante: en gros, un beau film anti-guerre qui pose les bonnes questions...
Seul
Télérama émet une réserve sur le fond politique du film:
«Tiré d'un roman de Ron Leshem, le film pèche surtout par sa neutralité: bien sûr, l'état-major israélien est durement critiqué pour ses choix stratégiques, et, en lui obéissant strictement, le jeune commandant du fort va perdre tragiquement quelques-uns de ses hommes.
Mais telles sont les absurdités de la guerre en général, et pas spécifiquement celles de l'interminable conflit israélo-palestinien. Ainsi, même exécutant des ordres stupides, les troufions sont de braves petits gars, respectueux du drapeau et de la nation. Manque peut-être un contrechamp sur l'ennemi, qui permettrait de restituer tous les enjeux de cette guerre-ci.» - Aurélien Ferenczi
J'avais découvert ce film sur Aljazeera en anglais il y a quelques mois. La jeune chroniqueuse culture-cinéma de la chaîne avait en effet présenté Beaufort comme étant un film «polémique en Israël», parce que, disait-elle, prônant la paix.
* * *
Dans le genre «film de guerre contestataire», Beaufort est excellent et efficace, très exactement dans la veine des meilleurs films américains contestant la guerre du Vietnam: excellents et... négationnistes. Le principe de ces films était de faire croire que la guerre qui a détruit le Vietnam, ses habitants et sa société, était mauvaise parce qu'elle... faisait du mal aux Américains et à ses soldats (d'où la toujours risible prétention américaine à se croire victime du Vietnam plutôt que l'inverse - lire Chomsky et ses descriptions de la «contestation» de la guerre du Vietnam).
Beaufort nous montre le quotidien de soldats israéliens, retranchés dans un fort au sommet d'une montagne du Sud Liban, peu avant le retrait israélien de 2000, souffrant de la peur, de l'ennui et d'un manque total de motivation. L'«ennemi» n'est jamais montré, on ne voit que l'effet meurtrier de ses roquettes et de ses bombes.
Ce que tous les critiques qui vantent la «justesse» de ce film n'ont pas remarqué, c'est que le film est «juste» à condition de considérer qu'il s'agit de science-fiction, d'une guerre inventée qui a eu lieu sur une autre planète. Car ce que «montre» Beaufort, en réalité, c'est tout ce qu'il ne montre pas. Sa vérité est dans le mensonge par omission systématique.
Ce que le film ne montre pas, et qui est pourtant le fondement même de ce qu'ont vécu les habitants du Liban sud:
- la terreur systématique contre les populations civiles,
- la politique systématique de déplacement de populations,
- la mise en place d'une milice de mercenaires d'idéologie fasciste (l'ALS) orientée directement contre la population,
- les bombardements punitifs systématiques,
- les villages rendus inhabitables et les champs de mine installés partout,
- la destruction totale des infrastructures civiles,
- le détournement de l'eau,
- les rafles et les scéances de torture...
Absolument rien de tout cela n'est même évoqué dans le film (et encore moins montré). Nous avons une bande de braves (et sympathiques) soldats d'une armée d'occupation, retranchés dans leur fort, soldats qui sont tués mais ne tuent jamais personne.
Pour un rappel des exactions israéliennes au Liban sud, on peut relire cet article de 1999 du
Monde diplomatique, signé Walid Charara et Marina Da Silva, «
Résistance obstinée au Liban sud».
Quant au rôle de la Résistance libanaise, le film passe implicitement un message explicité une seule fois par un journaliste de la télévision (dans le film). Les Israéliens sont entrés au Liban avec une mission mais, en 2000, le «sens» de cette mission est perdu et les Israéliens décident de se retirer de leur plein gré. Le Hezbollah, lui, se contente d'intensifier ses attaques à distance (jamais de corps à corps dans le film) pour pouvoir s'attribuer de manière indue cette «victoire».
Beaufort est l'un des plus exemplaires cas de négation de l'histoire du cinéma contemporain. C'est fait avec des images magnifiques, une discours pseudo-humaniste remarquable et une ingénuité qui méritent l'admiration. C'est à ce titre qu'il aurait dû décrocher l'Oscar du film négationniste à Hollywood.