Vive la crise !
Très bon billet, à mon avis, de Denis Sieffert aujourd'hui sur le site de Politis.
Je ne crois pas non plus que la crise actuelle se terminera par:
- la chute et le dépassement du capitalisme,
- la remise en cause des politiques néolibérales.
1. D'où sortent le(s) milliard(s) de milliard de dollars que va utiliser l'administration US pour éponger les créances pourries des grands joueurs de la bourse? On répond souvent, et c'est déjà choquant: des poches des contribuables.
Or, selon l'habitude étatsunienne, ce ne seront pas des levées d'impôts supplémentaires immédiates qui auront lieu, mais le recours au déficit budgétaire. Cet argent sera donc... emprunté.
Et emprunté à qui? Si je ne trompe pas: emprunté au marché. Le marché qui ne prête plus d'argent au marché va prêter à l'administration. Et, grâce au taux d'intérêt, se rémunérer sur ces bons du trésor.
2. Les banques qui ont émis des prêts pourris vont donc voir leur ardoise effacée. Mais, que je sache, ces prêts courent toujours du côté des particuliers qui ont souscrits ces emprunts. Les particuliers qui ont «acheté» une maison avec un de ces nombreux crédits dont les taux ont explosé, et qui ne peuvent plus payer, vont-ils eux aussi voir leur ardoise effacée, ou vont-ils se retrouver à la rue, tous leurs biens saisis?
3. Alors que nous connaissions une période d'euphorie boursière, la pression coloniale et néocoloniale sur les pays producteurs de matières premières était phénoménale. Question idiote: avec la crise généralisée des économies occidentales, cette pression va-t-elle baisser, ou va-t-elle s'accentuer?
4. Si la pression coloniale et néocoloniale s'accentue, aura-t-on plus, ou moins, besoin de l'alibi (im-)moral du «choc des civilisations» pour soutenir l'économie de la prédation?
5. La pression néolibérale sur nos propres sociétés va-t-elle s'accentuer, ou reculer à cause de sa faillite économique et de l'évident mensonge qu'elle représente? Pour l'instant, il me semble que les pays les plus directement touchés en profitent pour imposer des mesures supplémentaires de déréglementation du marché du travail.
6. Malgré l'euphorie boursière, les outils de contrôle social, au motif de «lutte contre le terrorisme», se sont développés dans les pays démocratiques dans des proportions inquiétantes (voir Edvige en France par exemple). Face à une crise économique qui va s'abattre sur l'«économie réelle», ces outils seront-ils directement retournés contre les sociétés (syndicats, mouvements sociaux, associations militantes..;)?
7. Si nous avons une conjonction entre l'imposition accélérée des politiques néolibérales (pour cause de «lutte contre la crise»), l'utilisation des outils de contrôle contre les sociétés et l'intensification de l'outil colonial qu'est le «choc des civilisations», y a-t-il un risque de basculement (violent ou via le processus électoral) d'une ou plusieurs grandes «démocraties libérales» vers des systèmes autoritaires? Est-ce que ça fait trop de «si» pour qu'on doive s'inquiéter?
8. Quid de la pression sur l'environnement? Kyoto, forages en Alaska, exploitation des zones polaires, alternatives aux combustibles non renouvelables, tout ça... La crise va-t-elle aider à réduire l'impact environnemental de nos systèmes (par exemple: baisse de la consommation), ou au contraire servir d'excuse pour achever de saccager la planète («ça n'est pas le bon moment»)?
9. Mille milliards de dollars représentent, rappelle Denis Sieffert, 8 ans de guerre en Irak. Je suppose qu'on ne compte ici que le coût pour les Américains et non la destruction totale des infrastructures d'un pays.
Mais d'autres chiffres peuvent être cités.
Le montant total de la dette du tiers-monde en 2005 s'élevait à 2600 milliards de dollars.
En 1980, le montant de cette dette était de 540 milliards. Entre 1980 et 2004, ces pays ont remboursé 5300 milliards. Comme le synthétise le CADTM, «les pays en voie de développement ont remboursé presque 10 fois ce qu'ils devaient en 1980, mais leur dette a été multipliée par presque 5». Il serait impossible d'annuler tout ou partie de cette dette sans faire s'effondrer l'économie mondiale. La dette des joueurs de la bourse, elle, sera épongée en quelques mois, pour des estimations de coût qui vont entre 1000 et 2000 milliards de dollars.
L'aide au développement s'élève à un peu plus de 100 milliards de dollars par an. Chiffre déjà dérisoire dans l'absolu (par exemple les transferts d'argent pratiqués par les immigrés vers leurs pays d'origine représentent, eux, 200 milliards), à comparer avec les 1000 milliards de dollars évoqués aujourd'hui.