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18 juillet 2006

«Ils»

J'ai très vite découvert un libanisme épatant: toute phrase contenant une affirmation de nature factuelle ou politique se doit de commencer par le pronom indéfini «ils». J'attribue cette habitude à l'interminable guerre qui a touché le pays, mais c'est peut-être tout simplement dû au caractère aimable et courtois des libanais.

Toujours est-il qu'après la résolution 1559, l'assassinat de Hariri et la succession d'attentats, vous pouviez discuter des événements avec n'importe qui, sans trop vous soucier de leurs opinions politiques, et affirmer d'un air docte des jugements aussi définitifs que: «Ils ont assassiné Hariri», «ça fait longtemps qu'ils voulaient assassiner Tuéni, il les dérangeait» ou, encore plus courageux: «ils veulent nuire aux intérêts du Liban». J'ai remporté de nombreux succès dans des soirées avec cette dernière affirmation, chacun trouvant alors que, pour un Français, j'étais drôlement bien renseigné.

«Ils veulent nuire aux intérêts du Liban», j'en suis très fier. Chacun alors de hocher la tête en signe d'approbation, le regard reconnaissant d'avoir osé un jugement aussi ferme (alors que les médias occidentaux, eux, ne disent jamais ce genre de chose). Tout l'art est de tenir jusqu'à la fin de la soirée sans jamais devoir expliciter qui l'on entend par «ils».

Je me souviens d'un gentil envoyé spécial d'un grand quotidien français citant un Libanais, qui disait quelque chose comme «il faut qu'ils arrêtent de se mêler des affaires libanaises». Ce que le journaliste avait immédiatement complété d'un «ressentiment général contre les Syriens». Personnellement, je ne m'y serais pas risqué, «ils» pouvant être, pour la même phrase mais selon votre interlocuteur, les Syriens, les Israéliens, les Sionistes (pas exactement la même chose), la communauté internationale ou les Américains. Ou n'importe quel parti politique libanais que vous n'aimez pas.

Aujourd'hui, «ils» sont en train de détruire le Liban.

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