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31 mai 2008

Un mariage annulé parce que le mari avait trahi les convictions religieuses de sa femme

Pfiou, vous ne trouvez pas que ça pue, ici? Je veux dire, ici, en France. Encore une belle bouffée d'islamophobie. Évidemment, c'est dans un journal «de gauche», Libération.

Quelques notes jetées rapidement sur ce blog...


– Évidemment ça n'a rien à voir: le lendemain, Libération défendait d'atroces dessins islamophobes et racistes au prétexte de nos belles valeurs républicaines de «liberté d'expression». Pourtant, c'est sans doute super pas raciste:

Ou encore cette statue bizarre, un gros Néerlandais, chaîne au pied, qui porte sur son dos un Noir aussi corpulent que lui, bras croisés et tétine à la bouche, sous cette légende : «Et maintenant, aussi un monument à l’esclavage pour le contribuable autochtone blanc» - critique croisée de la multiplication des monuments à l’esclavage aux Pays-Bas et du débat sur le statut des Antilles néerlandaises.
Le «Sex» de la City a été censuré à Jérusalem, et Time Out titre «No Sex!» en mettant des bandeaux sur la bouche des quatre actrices. Cette atteinte à la liberté d'expression par les culs bénis n'a pas les honneurs du quotidien, mais uniquement de l'anectodique site Next. Quant à faire savoir qu'on a brulé des nouveaux testaments, la semaine dernière, à Jérusalem, faudrait pas pousser.


– Le début de l'article sur l'«affaire» de la virginité donne le ton: petites phrases courtes, martiales et indignées:
La mariée n’était pas vierge. Le mariage a été annulé. Et c’est arrivé près de chez vous. La décision a été rendue au mois d’avril par le tribunal de grande instance de Lille. Elle vient d’être commentée dans une revue juridique. Les juges ont pensé que le mari plaignant avait été trompé sur la virginité de sa femme, considérée en l’occurrence comme «une qualité essentielle.»
«C'est arrivé près de chez vous». Si le bon bobo n'est pas encore choqué par ce coup d'État islamiste près de chez lui, la suite devrait produire le bon effet:
Le mariage se fait en grande pompe, comme il se doit. La nuit de noces, le marié découvre que son épouse a menti. Au bout de quelques heures, il débarque au milieu des invités qui sirotent un dernier jus. Il n’a pas de drap taché de sang à exhiber.
«Il n’a pas de drap taché de sang à exhiber.» Le début se veut factuel, mais cette dernière phrase ne l'est pas: il s'agit de l'énoncé de ce que la journaliste suppose devoir se passer dans un tel mariage. Qu'est-ce qui permet à la journaliste de penser que le marié avait prévu de ressortir de la chambre et de venir exhiber un drap taché de sang? Est-ce un témoignage d'un membre de la famille (genre: «on attendait à côté qu'il vienne nous montrer les draps»), une constante des mariages marocains traditionnels en France, ou un fantasme de la journaliste?


L'Orient-Le Jour, jamais en difficulté pour reprendre les plus navrantes considérations orientalistes des médias occidentaux, consacre un court article à l'affaire. Dernière phrase de ce billet, ce quotidien chrétien libanais informe ses lecteurs:
En islam, les relations sexuelles sont prohibées en dehors du cadre légal du mariage, et les jeunes filles doivent se présenter vierges à leurs premières noces.
On croit rêver: «en islam». Ce que le lecteur de L'Orient-Le Jour sait pourtant très bien:
  • la libéralisation sexuelle au Liban est toute relative; voir par exemple cet article sur «Une émancipation “en cachette”»;
  • le tabou quant à la virginité des filles concerne non seulement les musulmans, sunnites comme chiites, mais aussi les chrétiens. L'espèce de sous-pape qui dirige la communauté spirituelle maronite n'est pas plus marrant sur le sujet que Jean-Paul II et Ronald Reagan; en décembre 2006, il recommandait aux familles de ne pas laisser leurs filles participer aux manifestations de l'opposition, y dénonçant l'insoutenable promiscuité entre hommes et femmes qui sévissait dans ces «rassemblements mixtes incontrôlés»;
  • même dans les familles moins regardantes sur la virginité, la vie en concubinage de jeunes couples est particulièrement rare, et quasiment inexistante en dehors de Beyouth;
  • il n'y a pas de mariage civil au Liban; non seulement seuls les religieux peuvent célébrer les mariages, mais de plus ce sont les règles religieuses de chaque communauté qui s'appliquent, en dehors de toute protection minimale (notamment des droits des femmes) par l'État. Et en cas de contestation, ce sont des tribunaux ecclésiastiques ou musulmans qui statuent. Voir par exemple cette étude sur «Le rôle de la cour suprême libanaise en matière de statut personnel».
Pour les mal comprenants: à titre personnel, ce tabou de la virginité et de l'union libre m'est carrément étranger. Français athée enfant de 68, je n'ai aucune sympathie pour ce genre de considérations. Ce qui me choque ici, c'est que L'Orient-Le Jour parvient à glisser une mention commençant par «en islam», alors que la question au Liban concerne absolument toutes les communautés religieuses.


– Lire les très intéressantes explications suivantes:
Le second texte, sur la contractualisation du mariage, introduit des réflexions réellement enrichissantes. Je trouve ainsi inquiétant de voir les belles âmes de gôche dénoncer une décision de justice au motif qu'elle ne se baserait que sur le droit (et l'aspect contractuel du mariage entre deux personnes) et ainsi, implicitement, réclamer que la loi fixe une norme morale. Vouloir que la loi se mêle de morale dans un sens (plus de libéralisme sociétal), c'est ouvrir la boîte de Pandore, puisque cela légitime alors que cette même loi évolue, à une autre époque et sous un autre gouvernement, pour aller dans l'autre sens.


– Norme morale qui n'est pas que celle de quelques barbus islamistes super-méchants. C'est aussi celle de la génération de mes parents. C'est celle de quatre de mes amis (deux couples, donc), catholiques, qui avaient choisi avec leurs épouses de se marier vierges dans les années 90. Aux dernières nouvelles, ils ont de très beaux enfants et mènent une vie heureuse.

Les communiqués enflammés des responsables de l'UMP contre cette «fatwa» sont particulièrement grotesques, considérant que les mêmes dénoncent depuis 40 ans la perte de repères moraux que représentait mai 68.


– Surtout, je tiens à mettre en avant cette décision de justice signalée par un participant au forum de Maître Eolas. Je la reproduis ici intégralement, parce que, encore une fois, ce qui permet de déceler la motivation islamophobe est l'émergence d'un sujet médiatique uniquement lorsqu'il concerne l'islam, alors que des faits parfaitement similaires, antérieurs, n'avaient entraîné rigoureusement aucune irritation des bonnes âmes «laïques».

De quoi s'agit-il: une femme avait obtenu l'annulation de son mariage (annulation confirmée en cassation), parce que son mari lui avait caché qu'il avait déjà été marié, alors qu'elle entendait «épouser une personne non divorcée». Et non, ça n'est pas avant mai 68, c'est en décembre 1997.
AU NOM DU PEUPLE FRANCAIS

LA COUR DE CASSATION, PREMIERE CHAMBRE CIVILE, a rendu l'arrêt suivant :

Sur le pourvoi formé par M. Noël X..., en cassation d'un arrêt rendu le 5 décembre 1994 par la cour d'appel d'Angers (1re chambre civile, section B), au profit de Mme Bernadette Y..., défenderesse à la cassation;

Mme Y... a déposé un pourvoi incident contre le même arrêt ;

Le demandeur au pourvoi principal invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

La demanderesse au pourvoi incident invoque, à l'appui de son recours, le moyen unique de cassation annexé au présent arrêt ;

LA COUR, composée selon l'article L. 131-6, alinéa 2, du Code de l'organisation judiciaire, en l'audience publique du 28 octobre 1997, où étaient présents : M. Lemontey, président, M. Durieux, conseiller rapporteur, M. Grégoire, conseiller, M. Sainte-Rose, avocat général, Mme Aydalot, greffier de chambre ;

Sur le rapport de M. Durieux, conseiller, les observations de la SCP Urtin-Petit et Rousseau-Van Troeyen, avocat de M. X..., de Me Garaud, avocat de Mme Y..., les conclusions de M. Sainte-Rose, avocat général, et après en avoir délibéré conformément à la loi ;

Sur le moyen unique du pourvoi principal :

Attendu que M. X... fait grief à l'arrêt attaqué (Angers, 5 décembre 1994) d'avoir prononcé l'annulation de son mariage avec Mme Y..., célébré le 18 août 1973, sans rechercher si l'erreur sur une qualité essentielle de la personne aurait été déterminante pour n'importe qui d'autre que Mme Y... et non pas seulement par l'effet d'une disposition d'esprit particulière à celle-ci, de sorte que la cour d'appel n'aurait pas légalement justifié sa décision au regard de l'article 180, alinéa 2, du Code civil;

Mais attendu que la cour d'appel a retenu, à bon droit, que le fait pour M. X... d'avoir caché à son épouse qu'il avait contracté un premier mariage religieux et qu'il était divorcé, avait entraîné pour son conjoint une erreur sur des qualités essentielles de la personne;

qu'elle a souverainement estimé que cette circonstance était déterminante de son consentement pour Mme Y... qui, désirant contracter un mariage religieux, entendait, par là même, épouser une personne non divorcée;

qu'elle a ainsi légalement justifié sa décision;

PAR CES MOTIFS, et sans qu'il y ait lieu de statuer sur le pourvoi incident de Mme Y...:

REJETTE le pourvoi;

Condamne M. X... aux dépens;

Vu l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, rejette la demande de Mme Y...;

Ainsi fait et jugé par la Cour de Cassation, Première chambre civile, et prononcé par le président en son audience publique du deux décembre mil neuf cent quatre-vingt-dix-sept.
Le marié était un divorcé. Le mariage a été annulé. Et c’est arrivé près de chez vous.

10 commentaires:

Anonyme a dit…

oici ce que j'ai écris hier sur le même sujet sur http:/:schlomoh.blog.lemonde.fr
Virginité

Les féministes montent au créneau (à juste titre) après le jugement aberrant, mais juridiquement irréprochable, d’annulation d’un mariage pour tromperie sur la qualité (de l’épouse).

Contrairement à ce que l’association Ni putes ni soumises, privée de son ex-présidente pour cause de tâche ministérielle, prétend, le tribunal n’a pas dit que la virginité était une qualité (et son absence, un défaut).

Si après un mariage, l’époux s’aperçoit que son “épouse” est un homme, alors qu’il avait prétendu être une femme, la justice jugerait pareillement qu’il y a tromperie sur la qualité (ce qui ne signifie pas qu’être une femme est un défaut) et annulerait le mariage.

Bien sûr, l’émotion générale vient de ce que ce jugement paraît couvrir l’exigence de certaines religions monothéistes que la mariée soit vierge. Il en est ainsi théoriquement du christianisme, du judaïsme et de l’islam. Mais la passion vient évidemment sur fond d’islamophobie française très partagée…

Anonyme a dit…

erratum
http://schlomoh.blog.lemonde.fr

Anonyme a dit…

C'est dimanche dernier, me semble-t-il, que j'ai entendu parlé de cette affaire.

Sur France Inter, France Info, madame Rama Yade la commentait (en boucle) et on nous précisait que l'entretien venait de Radio J .

Lou

Anonyme a dit…

Hé ouais... c'est pas malheureux ??

Lire aussi : Mariage annulé : tollé général pour un jugement sans histoire...

Anonyme a dit…

Eh oui ! le message ci-dessous que je reproduis in extenso a été censuré ce matin par Libé en réponse à un "Rebond" de la rédaction où il était avoué que l'"affaire" de ce mariage avait finalement supplanté un article sur les sans-papiers. Edifiant et révélateur !

"L’indignation soulevée par cette affaire est révélatrice à la fois d’un état d’esprit contextuel assez inquiétant et surtout d’une déontologie journalistique plus que douteuse. Ce pseudo-scoop largement mis en avant par Libé a bien évidemment suscité des réactions immédiates du sérail de NPNS et d’Elisabeth Badinter (qu’on connût mieux inspirée), vigilantes gardiennes de la Démocratie en ces temps d’« islamisation » rampante. Eh oui, le couple est musulman mais il ne faut trop insister sur ce point au risque de passer pour de vilains racistes. Cette indignation purement émotionnelle reflète surtout une terrible lacune déontologique de la part de Libé et de tous ceux qui se sont offusqués d’un tel jugement. Comment ? Voilà maintenant qu’un juge se permet d’affirmer qu’une femme doit être vierge pour être acceptée en mariage ? Mais c’est un retour au moyen-âge !
Sauf que c’est un peu plus compliqué que cela et cette affaire n’aurait même pas mérité toute cette pub si elle avait été un tant soit peu correctement analysée (voir notamment le blog de Maître Eolas pour les détails juridiques). En réalité le juge ne s’est en rien – mais vraiment en rien – prononcé sur un jugement de fond qui sanctionnerait comme principe universel l’assurance de la virginité pour qu’une femme puisse être acceptée en mariage, mais il a simplement invalidé un mariage purement contractuel entre 2 individus majeurs et dont l’un avait effectivement menti, ce qu’elle a d’ailleurs reconnu et ce pour quoi elle a elle aussi demandé l’annulation du mariage.
Cela ne concerne qu’eux et la loi permet ce genre de rupture au même titre qu’elle aurait pu invalider le mariage pour n’importe quel type de mensonge qui aurait de fait annulé un point contractuel du mariage.
Bonnes âmes, reprenez-vous ! Le problème des sans-papiers est autrement plus dramatique que ce non-événement dont raffole les bobos urbanisés en mal d’indignation."

Sophia a dit…

Salut Nidal,

Merci de ce retour.

pom a dit…

On est bien d'accord, tellement d'accord........

jacou a dit…

Je pense avec compassion à cette jeune femme dont la vie est livrée sur la place publique. Une autre forme de viol, peut-être.

Samedi matin, on parlait au journal de France-Inter "d'annulation d'un mariage musulman".
C'est dire le sérieux de nos journalistes!
A moins que ce soit délibéré ? donc malhonnête ? donc quelque part criminel ?
Avec cette histoire, on voit à l'oeuvre une association de malfaiteurs.

coco_des_bois a dit…

Juste une précision, il faudrait éviter les fins de commentaires absurdes :

"Mais la passion vient évidemment sur fond d’islamophobie française très partagée…"

Non, il n'y a pas d'islamophobie française, pas plus que l'on nous vend depuis des décennies le fameux antisémitisme français. Ce sont deux conneries funestes qui ne font preuve que de la même étroitesse d'esprit que celle des journalistes qui montent en choucroute ces affaires.
Nous avons un contexte, une géopolitique forte, dominée par les intérêts des USA et autres détails, et sur ces bases, les médias brodent et fabriquent le bruit de fond qu'ils appellent l'information. Les humains étant naturellement "racistes" ou en tout cas aimant être entre "semblables", ils réagissent assez bien à de telles sollicitations...

Il faut dénoncer ces médias aux ordres, cette puissance qui ne joue plus depuis bien longtemps son rôle de contre pouvoir, mais laissons les grandes phrases nulles à tous ces chiens de garde.

Anonyme a dit…

Moi aussi je trouve que ca pue, pourtant je suis tres loin! En Inde! Ici, aussi on est Islamophobe mais on le cache pas sous un pretendu feminisme.