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12 novembre 2006

Qui a encore peur du gendarme du monde?

Je sais pas vous, mais moi je trouve qu'il y a comme qui dirait du relâchement, ces derniers temps. Genre ça prendrait ses aises, dans le petit monde de la politique internationale. Le gendarme du monde vient de se voter un nouveau Congrès et un nouveau Sénat, chacun semble pressentir la paralysie, pendant quelques temps, de la machine de guerre amerlocaine. Le gros bâton du gendarme est cassé; du coup, on s'autorise...

Angry Arab avait, d'un de ses perfides sarcasmes, rappelé vendredi quel était devenu l'enjeu pour certains Libanais au lendemain des élections:

Parmi tous ceux qui sont peinés par les résultats des élections du congrès des États-Unis, personne n'est plus affligé que les néo-conservateurs arabes, en particulier le mouvement du 14 Mars au Liban.
Samedi, Ibn Kafka rappelait que les jours de John Bolton à l'ONU sont comptés:
Nommé par le président, il [John Bolton] n'avait pu être confirmé, comme l'exige la Constitution étatsunienne, par le Sénat, alors à majorité républicaine. Il ne risque pas de l'être maintenant que ce Sénat deviendra démocrate.
On note qu'un sénateur républicain, important pour ce processus, a rejoint les démocrates dans leur opposition à la nomination de Bolton.

Toujours samedi, le quotidien libanais Al-Akhbar publiait un article indiquant que, au lendemain de la défaite de Bush, la diplomatie française semblait vouloir reprendre un peu d'indépendance. En effet, la France serait selon Al-Akhbar beaucoup plus ouverte à l'ensemble des parties en présence au Liban.

Samedi soir, les partis chiites Amal et Hezbollah annoncent leur démission du gouvernement libanais. Nabih Berri, chef d'Amal, président de l'assemblée nationale libanaise, initiateur du «dialogue national», s'envole pour l'Iran (non sans avoir auparavant rencontré Hassan Nasrallah, selon Charles Ayoub du Diyar). Ces négociations autour de la recomposition du gouvernement libanais, expliquées ici dans un précédent billet («La semaine de tous les dangers»), étaient totalement au point mort, le gouvernement du 14 Mars pouvant se prévaloir de la déclaration menaçante de la Maison blanche selon laquelle le «renversement» du gouvernement Saniora serait une violation des résolutions 1559, 1680 et 1701.

La Maison blanche isolée, la menace perd de sa prégnance sur les débats libanais, et l'opposition tente sa chance.

Au passage, nouvelle erreur de calcul de nos médias, qui reprennent tous le chiffre de cinq ministres démissionnaires (il en faudrait plus de huit pour faire sauter le gouvernement – on pourra consulter la Constitution libanaise sur le site du Conseil constitutionnel, voir en particulier l'article 69). Il se trouve que l'actuel ministre de l'Intérieur, Ahmad Fatfat, n'a que le titre de ministre par intérim – statut intéressant au regard de la constitution libanaise – en remplacement de Hassan Sabeh, titulaire du poste mais démissionnaire après l'incendie de l'ambassade danoise (affaire des caricatures). Ce qui nous fait donc déjà six ministres démissionnaires.

Ça devient drôlement culotté de la part de Nasrallah: rendez-vous compte, le Hezbollah défie désormais l'Amérique en... démissionnant. (Au même moment, le Premier ministre palestinien, membre du Hamas, Ismaïl Haniyeh, se propose aussi de démissionner. Je suggère que la démission soit désormais considérée comme un acte terroriste.)

Fouad Saniora annonce qu'il refuse la démission des ministres Hezbollah et Amal. Le lecteur curieux sera étonné d'apprendre qu'il n'a toujours pas accepté la démission de Hassan Sabeh, pourtant posée en février 2006. C'est donc désormais un schéma mental récurrent.


Ce dimanche, c'est le président Lahoud qui pousse le bouchon en dehors des limites tolérables par les États-Unis. Il déclare carrément que le gouvernement Saniora n'a plus de légitimité constitutionnelle[1]:
Selon le président, toute réunion du cabinet des ministres est désormais anticonstitutionnelle.
Ça ne plaisante pas. Comme Saniora prétend adopter la création du tribunal sur la mort de Hariri dès lundi, la situation est plus que tendue. (Ça devient ironique: en refusant Michel Aoun dans son gouvernement, il s'est privé de sa précieuse expérience en matière de coup constitutionnel...)

On pourrait avoir une lecture de l'évolution en Palestine selon une logique similaire. On pourrait ainsi considérer que, ce soir, les larbins arabes de Washington se rebiffent: «Les pays arabes lèvent leur blocus financier contre les Palestiniens»:
Les pays arabes ont décidé dimanche de se désolidariser du blocus financier international imposé aux Palestiniens en réponse au veto opposé par les États-Unis à un projet de résolution du Conseil de sécurité de l'ONU qui condamnait Israël.

«Il n'y aura plus de blocus international», a résumé le ministre bahreini des Affaires étrangères Cheikh Khalid bin Ahmed Al Khalifa.
Encore au même moment (décidément, quelle soirée vertigineuse!), il semblerait que Mahmoud Abbas (soutenu, financé et armé par les États-Unis) vienne de s'accorder avec le Hamas (ni soutenu, ni financé, ni armé par les États-Unis) sur le nom du futur Premier ministre palestinien. Cela pourrait donc être vu comme un geste courageux vers l'unité nationale, le Fatah se joignant au Hamas.

Mais on pourrait tout aussi bien penser que cet accord marque la défaite du Hamas (les résultats de l'élection démocratique sont annulés par le blocus et par l'agression israélienne), défaite récompensée par le levée de l'embargo, ce qui a toujours été le plan annoncé depuis la victoire électorale du Hamas.

Manquerait plus que l'Union européenne prenne une décision indépendante et courageuse en matière de politique internationale, ou que les candidats français à la présidentielle de 2007 prennent position contre les agressions israéliennes.

Mais il ne faut pas trop rêver non plus.

[Additif lundi, 9 heures] Dépêche de l'AP: «Démission d'un sixième ministre». Encore une fois: le compte est donc de sept ministres démissionnaires.

[1] Selon L'Orient Le Jour, voici les motifs invoqués par le président Lahoud:
Dans sa prise de position, Émile Lahoud s’est appuyé sur le paragraphe «j» du préambule au texte de la Constitution qui prévoit que «tout pouvoir qui viole le pacte de coexistence devient illégitime», sur le paragraphe «i» («la répartition de la population sur base de n’importe quelle appartenance que ce soit est prohibée; de même que le morcellement, le partage et l’implantation»), sur le paragraphe «d» («le peuple est la source des pouvoirs. Il détient la souveraineté qu’il exerce par le moyen des institutions constitutionnelles») et sur l’article 95C qui stipule que «les communautés seront équitablement représentées dans la formation du ministère».

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Un clic incontrôlé m'a fait envoyer précocemment une contribution pour le moins inachevée.
Je reprends mes esprits et mon commentaire au début.


Je tenais à vous faire partager cette reflexion intéressante tirée de dedefensa.org En voici un court extrait qui me semble en phase avec les idées défendues ici dans l'article "Qui a encore peur ..."


L’apparence d’arbitraire et de puissance de l’administration GW Bush a été établie essentiellement grâce à la puissance et à l’influence psychologique, par le biais du conformisme américaniste (cas de la presse, mais aussi du Congrès dans les années 2001-2005).

[...]

Cette attitude a complètement basculé avec le 7 novembre. Le processus inverse a lieu désormais. L’apparence de puissance de l’administration GW se défait comme on détricote un vêtement de laine. La psychologie, sous la forme autant du conformisme que de l’influence, avec des sentiments comme la colère populaire révélée le 7 novembre, exerce une pression de plus en plus redoutable pour accroître le discrédit et l’affaiblissement de l’administration.

Anonyme a dit…

Extraordinaire cette présentation grossière et tronquée des alliances politiques libanaises comme dans le NYT par exemple http://www.nytimes.com/2006/11/13/world/middleeast/13lebanon.html?ei=5094&en=bd28cf2a458f2303&hp=&ex=1163480400&partner=homepage&pagewanted=all: "The stage is now set for a showdown between Hezbollah and its allies, which are aligned with Syria and Iran, and the Sunni, Druse and Christian leaders who control the largest bloc in Parliament and side with the West." Que le plus représentatif dirigeant Chrétien, Michel Aoun, soit allié au Hezbollah, sans compter un autre Chrétien, Sleiman Frangié, au nord, et que les druzes soient divisés en 2 blocs opposés, et qu’il y ait des sunnites également du coté du Hezbollah (Hoss a Beyrouth, Karamé au Nord) ne semble nullement géner le journaliste du NYT.

Même Robert Fisk s’y met (Ce dernier perd tout sens de la nuance dés que l’intérêt des Hariri est en jeu.): "Rival street protests between Christians and Sunnis on the one hand, and Shia on the other, can scarcely be pursued when most of the Lebanese army - a re-formed force of some integrity - are mostly Shia. Bad news indeed." http://news.independent.co.uk/world/fisk/article1963613.ece

Désespérant.

Anonyme a dit…

Oui, n'empêche, aileurs :
U.S. will train Latin American militaries
Ban lifted to offset trend toward left
http://www.usatoday.com/printedition/news/20061110/1a_bottomstrip10.art.htm