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17 octobre 2006

Jacques Chirac remet la Légion d'honneur au patron de l'Anti-Defamation League

Encore une information qui ne fait pas la Une des médias français, mais qui en dit pourtant long sur l'état de la prétendue «politique arabe» de la France.

Je ne doute pas que les Libanais et la Palestiniens auront apprécié le geste: ce lundi 16 octobre, Jacques Chirac a remis les insignes de Chevalier de la Légion d'Honneur à Abraham Foxman, patron de l'Anti-Defamation League (pour les anglophones, le site de l'association est évidemment fier de vous faire part de la sauterie à l'Élysée). Jacques Chirac a annoncé sans rire:

Tout au long de votre vie, vous avez visé trois objectifs indissociables: le devoir de mémoire, le combat contre l'antisémitisme et le dialogue pour la paix.
Si vous ne connaissez pas l'ADL, je ne vais pas vous faire un gros topo ici. Une large documentation est disponible sur l'internet. Pour résumer: l'Anti-Defamation League est l'une des principaux organes d'indimidation, de diffamation, de manipulation et de désinformation pro-israëlienne de la planète. C'est l'une des pires officines de manipulation aux États-Unis en faveur l'Israël.

Dans Necessary Illusions, Noam Chomsky écrivait en 1989:
The leading official monitor of anti-Semitism, the Anti-Defamation League of B'nai Brith, interprets anti-Semitism as unwillingness to conform to its requirements with regard to support for Israeli authorities. These conceptions were clearly expounded by ADL National Director Nathan Perlmutter, who wrote that while old-fashioned anti-Semitism has declined, there is a new and more dangerous variety on the part of “peacemakers of Vietnam vintage, transmuters of swords into plowshares, championing the terrorist P.L.O.," and those who condemn U.S. policies in Vietnam and Central America while “sniping at American defense budgets.” He fears that “nowadays war is getting a bad name and peace too favorable a press” with the rise of this “real anti-Semitism.” The logic is straightforward: Anti-Semitism is opposition to the interests of Israel (as the ADL sees them); and these interests are threatened by “the liberals,” the churches, and others who do not adhere to the ADL political line.

The ADL has virtually abandoned its earlier role as a civil rights organization, becoming “one of the main pillars” of Israeli propaganda in the U.S., as the Israeli press casually describes it, engaged in surveillance, blacklisting, compilation of FBI-style files circulated to adherents for the purpose of defamation, angry public responses to criticism of Israeli actions, and so on. These efforts, buttressed by insinuations of anti-Semitism or direct accusations, are intended to deflect or undermine opposition to Israeli policies, including Israel's refusal, with U.S. support, to move towards a general political settlement. The ADL was condemned by the Middle East Studies Association after circulation of an ADL blacklist to campus Jewish leaders, stamped “confidential.” Practices of this nature have been bitterly condemned by Israeli doves -- in part because they fear the consequences of this hysterical chauvinism for Israel, in part because they have been subjected to the standard procedures themselves, in part simply in natural revulsion.
Pendant l'agression israélienne contre le Liban, l'Anti-Defamation League avait, par exemple, dénoncé le «parti pris» de Human Rights Watch lorsque celle-ci avait osé qualifier le bombardement de Qana de «crime de guerre». L'article, signé par Abraham Foxman lui-même, exposait une admirable conception du «dialogue pour la paix»:
Israel had to make clear to the Arabs that they would be hurt far, far more than the pain they could inflict. In other words, without Israel hitting back (not in an “eye for an eye a tooth for a tooth” fashion which Mr. Roth cited and is a classic anti-Semitic stereotype about Jews) but in a much stronger way, Israel would have been destroyed long ago.
Récemment, une partie de son activité s'est orientée vers l'intimidation des ambassades étrangères aux États-Unis. On lui doit les pressions qui ont provoqué l'annulation, la semaine dernière, d'une intervention de Tony Judt à l'ambassade de Pologne. Intimidation qui a précédé l'annulation, que j'ai évoquée ici, de la présentation d'un livre de Carmen Callil par les services de l'ambassade de France à New York (sans doute rien à voir avec l'affaire «polonaise», n'est-ce pas, seulement un hasard du calendrier consulaire).

Bravo Jacques: «le dialogue pour la paix» au sujet de l'ADL, c'est du pure jargon orwellien.

12 octobre 2006

Peut-on encore critiquer...?

Si, à Libération, on s'interroge doctement sur le thème «Peut-on encore critiquer l'islam», si les plateaux de télévision s'emplissent de sombres experts qui en appellent à Jacques Chirac pour défendre la liberté d'expression (non mais franchement, Jacques Chirac, la liberté d'expression! le ridicule ne tue pas...), d'un autre côté je peine à trouver la moindre ligne appelant à dénoncer le muselage de l'ambassade de France à New York tel qu'il vient de survenir cette semaine.

Comme je ne lis pas toute la presse et que je ne regarde pas toutes les télés, je peux bien sûr être simplement passé à côté. En tout cas, il m'a fallut passer par une dépêche Reuters en anglais pour apprendre cette (pas du tout) étonnante information. J'espère que Jacques Chirac interviendra pour défendre notre liberté d'expression aux États-Unis.

Au passage, ça tombe bien pour ce blog, l'auteur dont il est question, Carmen Callil, a des origines libanaises.

A-t-on encore le droit de critiquer Israël? La réponse est tellement «non» que Libération n'imagine même pas qu'il soit intéressant d'en faire article. (Notez tout de même que l'ambassade de France parvient à se faire enquiquiner alors même qu'elle organise un événement culturel rappelant la collaboration française avec l'occupant nazi et sa responsabilité dans la déportation des juifs. Et ça, il faut être sacrément doué.) J'en suis réduit à vous proposer cette traduction de Haaretz pour évoquer l'autocensure de l'ambassade de France à New York!

Reuters, 10 octobre 2006.

NEW YORK – L'ambassadeur de France a annulé lundi à New York la réception organisée autour d'un livre consacré à la collaboration de la France de Vichy avec l'Allemagne nazie, parce que la postface de l'auteur explique qu'Israël a opprimé les Palestiniens.

Les services culturels des bureaux de l'ambassade de France à New York avaient prévu d'organiser une réception mardi pour fêter la sortie en septembre du livre Bad Faith de l'auteur Carmen Callil, sur Louis Darquier de Pellepoix, le reponsable du gouvernement de Vichy qui a organisé la déportation des juifs français à Auschwitz.

Callil a expliqué à Reuters, lundi, que la fête avait été annulée suite aux plaintes de «fondamentalistes juifs».

Dans un email obtenu par Reuters, l'ambassade a écrit à l'éditeur de Random House, Alfred A. Knopf, «Les services culturels de l'ambassade de France ont décidé d'annuler leur participation à la réception organisée pour Bad Faith de Carmen Callil.

«Bien que l'ambassade de France attendait avec intérêt la présentation d'un travail explorant les heures les plus sombres de l'histoire française, elle ne pouvait pas approuver l'opinion personnelle de l'auteur, telle qu'exprimée dans la postface du livre.»

Une source au bureau de l'ambassade de France à New York a précisé que l'ambassade s'opposait à l'opinion de l'auteur «mettant au même niveau ce qui avait été fait aux juifs de France (sous le régime nazi) et ce qui a été fait au peuple palestinien».

Dans la postface du livre, Callil écrit: «Ce qui m'a angoissé pendant que je traquais Louis Darquier était de vivre de manière si proche avec la terreur et l'abandon des juifs de France, et de voir que les juifs d'Israël étaient en train de le faire subir au peuple palestinien.»

«Comme le reste de l'humanité, les juifs d'Israël “oublient” les Palestiniens. Tout le monde oublie, toute nation oublie.»

Dans un email obtenu par Reuters, envoyé par l'ambassade de France à la maison d'édition Random House, un officiel de l'ambassade disait du livre de Callil, le 22 août: «C'est un chef-d'œuvre».

«L'attaché culturel français l'a lu et en a fait des compliments incroyables», a expliqué Callil, qui est née en Autralie et s'est installée à Londres où elle a fondé la maison d'édition féministe Virago Press, et dirigé Chatto i Windus.

Mais Callil a expliqué que la réception de mardi a été annulée après «une série de lettres de plaintes de plusieurs fondamentalistes juifs. Ils considèrent que personne ne peut dire quoi que ce soit à propos des juifs que ne soit pas, à 100%, un compliment.» Elle n'a pas fourni les noms des auteurs des lettres.

Callil a défendu la postface de son livre.

«Je pense que les gens de Gaza vivent dans la pauvreté, serrées dans un minuscule territoire... parce que des gens n'aiment pas leur gouvernement», a-t-elle déclaré. «Mais si vous persécutez les gens, ils vont se soulever contre vous.»

Lorsqu'on lui a demandé si elle pendait que le gouvernement israélien actuel opprimait les Palestiniens, elle a répondu: «Oui».

«Je veux que les gens tirent les leçons du passé, afin que les mêmes terribles événements n'arrivent pas à nouveau. Si vous opprimés les gens, ils vont vous haïr, et je ne ne veux pas qu'on haïsse Israël», a-t-elle expliqué.

Paul Bogaards, le porte-parole de Random House, a qualifié le livre de Callil d'«important travail historique», ajoutant «nous soutenons ce livre dans son intégralité.» Un porte-parole de l'ambassade de France a confirmé par email l'annulation de la réception mais à refusé de donner d'autres commentaires.
En avril 2006, Pierre Assouline présente l'histoire du livre de Carmen Callil avec beaucoup d'émotion dans le Nouvel Obs. À l'instant, je cherche à nouveau l'expression «Callil» dans les archives du Monde, de Libération, du Figaro et de Google News France: «aucun résultat pour cette recherche».

08 octobre 2006

Déploiement russe au Liban

L'agence de presse russe RIA Novosti a le plaisir de vous faire savoir que:

MOSCOU, 6 octobre - RIA Novosti. Les militaires russes et le matériel du bataillon de construction de ponts du ministère russe de la Défense ont été acheminés au Liban par des avions des forces aériennes, a fait savoir vendredi à RIA Novosti le général d'armée Vladimir Mikhaïlov, Commandant en chef des Forces aériennes de Russie.

Les militaires russes ont été acheminés au Liban par six vols, a-t-il rappelé.
«Au total, plus de 300 tonnes de cargaisons, y compris plus de 10 engins, ont été transportés de l'aérodrome Tchkalovski des environs de Moscou au Liban», a déclaré Vladimir Mikhaïlov.

Le 26 septembre, le Conseil de la Fédération (chambre haute du parlement russe) a autorisé l'envoi du bataillon du génie russe au Liban. 124 sénateurs ont voté pour cette décision. Conformément à la proposition du président russe, le bataillon russe au Liban comptera 400 hommes dotés d'armements et de matériel de guerre.

Les militaires russes ne feront pas partie de la Finul. Les effectifs du bataillon seront stationnés et s'acquitteront de leurs tâches en dehors de la zone des casques bleus déployés dans la région située au sud de Saida.

Le contingent russe qui séjournera trois mois au Liban rétablira la circulation automobile sur les routes dans une région déterminée, construira des ponts temporaires, réparera les secteurs endommagés des autoroutes et déminera les terrains dans la région des travaux de reconstruction.
Une précédente dépêche précisait:

NIJNI NOVGOROD, 13 septembre - RIA Novosti. Un bataillon russe du génie sera envoyé au Liban fin septembre - début octobre, a confirmé aux journalistes mercredi le vice-premier ministre russe et ministre de la Défense, Sergueï Ivanov.

L'effectif du bataillon sera de 350-400 hommes, tous des engagés sous contrat; deux pelotons de sécurité devraient l'accompagner vu les dangers d'un séjour au Liban, selon lui.

Le contingent du ministère russe de la Défense ne participera pas à l'opération de maintien de la paix des Nations Unies, il est envoyé au Liban dans le cadre des accords intergouvernementaux bilatéraux, a rappelé le ministre.

Les militaires russes resteront au Liban trois à quatre mois et participeront à la reconstruction de l'infrastructure du pays détruite au cours du conflit israélo-libanais.

Un groupe de reconnaissance composé de 16 officiers du ministère russe de la Défense et de responsables des ministères des Transports et des Affaires étrangères est arrivé mercredi au Liban pour déterminer le lieu de déploiement des troupes, évaluer les dégâts et les capacités des ports, ainsi que la quantité de moyens nécessaires pour les travaux de reconstruction, a également rappelé M. Ivanov.

La Russie envisage de construire au Liban cinq ponts flottants.

C'est donc une nouvelle soldatesque étrangère qui débarque au Liban. Outre l'argument humanitaire fort louable (reconstruire des routes et des ponts), on peut tout de même prendre note des éléments suivants:
  • «le bataillon russe au Liban comptera 400 hommes dotés d'armements et de matériel de guerre», précision importante, le «matériel de guerre» étant un élément indispensable, semble-t-il, pour reconstruire des ponts;
  • «les militaires russes ne feront pas partie de la Finul».
C'est ça qui est épatant avec les militaires: on peut à la fois y voir de l'aide humanitaire à la reconstruction, et un prépositionnement logistique au cas où...

Ajout du 9 octobre. Je viens de découvrir que ce sujet inquiétait certains sionistes hystériques, puisque le site desinfos.com publie la traduction d'un article de la Jewish World Review, qui imagine déjà les Russes faisant la guerre à Israël.

07 octobre 2006

La Syrie torture pour le compte... des États-Unis ?

Le rapport rendu public par les autorités canadiennes au sujet de la déportation, par les États-Unis, de Maher Arar, pour qu'il soit torturé en Syrie, confirme ce que l'on savait depuis de nombreux mois en matière de «soustraitance de la torture» par les autorités états-uniennes.

Le cas de Maher Arar est exemplaire: en septembre 2002, sur la foi d'informations fournies par les Canadiens aux États-Uniens, monsieur Arar est arrêté à l'aéroport JFK de New-York. Il est ensuite installé dans un jet privé, débarqué en Jordanie et, de là, livré au service de renseigment syrien Far Falestin, qui se charge de l'«interroger» pendant un an. Suite à quoi monsieur Arar est libéré et rendu aux Canadiens, qui ne retiennent aucune charge contre lui.

De nombreux rapports d'Amnesty International ont déjà tenté d'alerter l'opinion publique sur la soustraitance de la torture par les États-Uniens. Les autorités européennes ont fait semblant de s'inquiéter des passages des avions utilisés pour ces déportations dans des aéroports européens, voire de la présence de camps de torture dans des pays européens.

Un long article du Monde diplomatique faisait le point sur cette situation en avril 2005 («Les États-Unis inventent la délocalisation de la torture», par Stephen Grey). En février 2005, un article de Jane Mayer présentait le cas de Maher Arar dans le New YorkerOutsourcing torture»). Amnesty dénonçait déjà le cas de monsieur Arar dans un communiqué de novembre 2003!

Ainsi, le rapport «officiel» livré par la commission canadienne a l'avantage d'accréditer ce que l'on savait de longue date. Peu d'infos dans les médias français, mais cela est traité de manière quasi continue, en ce moment, sur CNN International.

Le fait que la Syrie pratique la torture n'est pas une information nouvelle, et la soustraitance par les États-Uniens de l'interrogation «musclée» de prisonniers n'est pas non plus inédite. Cependant, une question me taraude depuis que j'ai pris connaissance de cette information, et je n'ai pas encore trouvé d'explication qui puisse y répondre: que l'on avale les niaiseries sur l'axe du mal ou que l'on rejette la diabolisation de la Syrie, dans les deux cas, aucune de ces deux positions ne permet d'expliquer comment la Syrie peut jouer le rôle de soustraitant en matière de lutte contre Al Qaeda pour le compte des États-Unis.

J'en profite pour faire un aparté. Même dans les médias qui prétendent s'indigner de la pratique des «extraordinary renditions», les victimes de ces déportations sont systématiquement qualifiées de «terroristes présumés» ou, au mieux, de «personnes suspectées de liens avec des activités terroristes». On condamne ainsi les erreurs «extra-judiciaires» de cette pratique (comme dans le cas de monsieur Arar), ou son aspect illégal; en revanche, cela revient tout de même à accepter l'idée que cette pratique entre réellement dans le cadre d'une lutte des États-Unis contre le terrorisme. Or, si l'on se souvient (par exemple) des activités de la CIA en Amérique du Sud, l'objet de ses délicates attentions n'y étaient que rarement des terroristes ou même des combattants armés, mais tout bonnement des opposants politiques, des syndicalistes, des étudiants ou des prêtres... Pourquoi les déportés livrés à la torture aujoud'hui le seraient-ils réellement pour des raisons de lutte contre le terrorisme? D'où tient-on que la CIA ait jamais fait preuve de la moindre bonne foi, en cette matière? L'aspect totalement occulte de la pratique accentue au contraire le doute. Rien ne prouve donc que les personnes déportées soient même, tout simplement, déportées parce que la CIA les suspecte de terrorisme; vue l'opacité des méthodes, on ne peut même pas accorder ce crédit à la CIA. Fin de l'aparté.

L'article du Monde diplomatique de l'année dernière, reprenant les rapports d'Amnesty, fournit une liste des pays soustraitant la torture pour le compte de la CIA:

Les transferts de terroristes présumés enlevés par les Américains ont eu lieu non seulement dans les zones de conflits comme l’Afghanistan et l’Irak, mais dans le monde entier, que ce soit en Bosnie, en Croatie, en Macédoine, en Albanie, en Libye, au Soudan, au Kenya, en Zambie, au Pakistan, en Indonésie ou en Malaisie.
Plus loin, évoquant un avion états-unien suspect:
Depuis 2001, l’avion a sillonné le monde pour se rendre dans plus de 49 destinations situées hors du territoire américain. Il s’est fréquemment rendu en Jordanie, en Egypte, en Arabie saoudite, au Maroc et en Ouzbékistan – autant de pays où les Etats-Unis ont transféré des suspects pour les faire incarcérer.
Ce qui ne choquera pas grand monde, c'est que très logiquement tous les pays cités ici sont des États notoirement «clients» (c'est-à-dire «aux ordres») des États-Unis.

Sauf que la Syrie est officiellement un pays de l'«axe du mal», et que les États-Unis menacent de le bombarder tous les quatre matins. Pays dénoncé systématiquement comme «soutenant le terrorisme», accueillant des bases d'entraînement «terroristes», soutenant les «insurgés» d'Irak...

Ainsi le très pro-occidental Ahmed Fatfat (le ministre «qui s'effrite»), ministre de l'intérieur libanais «par interim» (un sujet d'article à part entière, d'ailleurs), explique aujourd'hui (samedi 7 octobre) au Nahar avoir découvert «quatre groupes affiliés à Al Qaeda» au Liban, indiquant qu'un des groupes était «Libanais-Palestinien», et qu'un autre était constitué de personnes «ayant suivi un entraînement en Syrie».

Suite à l'attaque avortée contre l'ambassade américaine à Damas, Jean-Pierre Perrin explique doctement dans Libération:
D'autre part, le régime syrien n'est pas sans lien avec les groupes sunnites, plus ou moins liés avec Al-Qaeda, opérant en Irak. Selon une source libanaise, la section palestinienne des renseignements militaires, qui est chargée de traquer les jihadistes en Syrie, s'occupe aussi de... les recruter.
[La section palestinenne des renseignements militaires, à laquelle la CIA a livré Maher Arar.] La magie des «sources libanaises», déjà remarquablement efficaces pour manipuler le Figaro.

Amnesty International faisait reposer son témoignage sur le très douteux Robert Baer, «ancien agent de la CIA pour le Moyen-Orient» (comment peut-on être un «ancien agent de la CIA» et prétendre servir de référence à une ONG humanitaire?). On avait alors une piste pour comprendre:
«On enlève un suspect ou on le fait enlever par un de nos pays partenaires. Puis ce suspect est envoyé à bord d’un avion civil dans un pays tiers où, ne nous en cachons pas, on torture.» Robert Baer a aussi raconté à la station Radio 4 de la BBC : «Si vous envoyez un prisonnier en Jordanie, il sera mieux interrogé. Si vous l’envoyez par exemple en Égypte, vous ne le reverrez sans doute jamais, et c’est la même chose en Syrie.»
Ce qui permettrait de comprendre la contradiction: il ne s'agirait pas d'une réelle coopération, simplement d'une «poubelle» où l'on se débarasse des indésirables. En gros: on livre des prisonniers à la Syrie et à l'Égypte, où ils disparaîtront. C'est certes assez moche, mais il n'y a pas une réelle collaboration, juste une «livraison» un peu criticable.

Cependant, ce n'est pas ce que décrit le rapport canadien:
Pendant que M. Arar était détenu en Syrie, le commissaire juge que les organismes canadiens ont accepté de l'information que les Syriens leur ont communiquée sur M. Arar et qui était vraisemblablement le fruit de la torture. Aucune évaluation adéquate de l’information n’a été effectuée pour déterminer si tel était le cas.
D'autres articles indiquent que M. Arar a été livré aux Syriens, dans le but d'être interrogé sur ses liens avec Al Qaeda, et que c'est bien sur cela que les tortionnaires de Far Falestin l'ont questionné. Le commissaire canadien affirme même (extrait ci-dessus) que les Syriens ont livré le résultat de leurs «interrogatoires» aux autorités canadiennes. Enfin, Maher Arar a bien été rendu aux Canadiens à la fin de... l'«enquête syrienne».

Ce qui n'a rigoureusement rien à voir avec la théorie de l'implication minimale (on livre, et hop les gens disparaissent). Les personnes livrées aux Syriens sont «réellement» interrogées sur leurs liens avec Al Qaeda, et les résultats sont livrés au moins aux autorités canadiennes (on suppose donc qu'ils sont également fournis aux commanditaires états-uniens).

Le Diplo développe:
Des pays comme la Syrie apparaissent comme des ennemis des Etats-Unis, mais sont restés des alliés dans la guerre secrète contre les militants islamistes. «Au Proche-Orient, la règle est simple: l’ennemi de mon ennemi est mon ami, et c’est comme cela que ça marche. Tous ces pays pâtissent d’une façon ou d’une autre de l’intégrisme islamiste, de l’islam militant», affirme M. Baer. Pendant des années, les Syriens ont proposé aux Américains de travailler avec eux contre les islamistes. «Ces offres ont été repoussées jusqu’au 11-Septembre. Nous évitions généralement les Égyptiens et les Syriens en raison de leur brutalité.» L’ancien responsable de la CIA estime que l’agence a recours à des «restitutions» depuis des années. Mais, après les attentats du World Trade Center, elles sont devenues systématiques et pratiquées à une vaste échelle.
[Au passage, l'idée que CIA écarte certains soustraitants en raison de leur «brutalité», c'est proprement n'importe quoi.] Plus loin:
Pour certains de ses défenseurs au sein du gouvernement américain, la «restitution» vise uniquement à éradiquer le terrorisme. Une fois qu’un terroriste présumé a été renvoyé en Egypte, par exemple, les États-Unis se désintéressent de ce qui se passe. Mais le cas d’un suspect australien, M. Mamdouh Habib, montre que ces «restitutions» ont aussi pour objectif de recueillir des renseignements – au moyen d’actes de torture auxquels les agents américains n’ont officiellement pas le droit de recourir.
C'est le cas pour monsieur Arar. Il ne s'agit pas que de faire disparaître un «présumé terroriste», mais bien de soustraiter son interrogatoire à un pays tiers, en l'occurence la Syrie.

Notez de plus que la livraison de monsieur Arar démontre elle-même une troublante connaissance des services de renseignement syriens. Si, par exemple, je voulais livrer quelqu'un aux Syriens pour le faire torturer, j'aurais un peu de mal à savoir à qui m'adresser. Ici, on décrit un parcourt savant: Mahrer Arar a été débarqué par avion en Jordanie, puis livré par la route à la section «Palestine» des services de renseignement militaires syriens, connus pour... leur brutalité.

Bref... de nombreuses questions, que ni mes amis pro-14-Mars (super-anti-syriens) ni les autres ne parviennent à m'expliquer logiquement.
  • Quels sont ou étaient les liens réels entre le régime syrien et le régime états-unien? Est-ce que ce sont réellement des «ennemis», l'un sur l'axe du mal et l'autre hérault de l'Occident chrétien?
  • Quel est le degré de compromission de la CIA avec les services de renseignement militaires syriens? Comment prétendre «dénoncer» leur activité au Liban tout en leur livrant des suspects à interroger à quelques dizaines de kilomètres de là?
  • En 2002-2003, la Syrie est encore au Liban, monsieur Hariri est le meilleur ami du vice-premier ministre syrien Abdel Halim Khaddam. Depuis 2001-2002, une valse des postes se déroule à Damas (en novembre 2002, Le Monde diplomatique évoque «Les déboires du “printemps de Damas”»). En octobre 2005, suicide du ministre de l'intérieur Ghazi Kanaan. Auparavant, «défection» de Abdel Halim Khaddam. En février 2006, important remaniement ministériel en Syrie, très orienté autour des questions de relations internationales et de services de sécurité. Comment relire tous ces événements à l'aune de cette «nouvelle» information: une partie des services de renseignement syriens effectuait à l'époque un travail de «renseignement» pour le compte de la CIA?
  • Vais-je devenir, à l'instar de mes amis arabes, un parfait obsédé des moukhabarat (services de renseignement)?

06 octobre 2006

Après les bombes, la pub

Évidemment, je sais ce que vous allez me dire: vous allez me dire que j'exagère. D'un autre côté, je n'en fais pas une montagne, je me contente de signaler la faute de goût...

Sur le site de L'Orient-Le Jour, une grande publicité trône, bien en vue sur la page d'accueil:

Si vous ne l'avez pas bien vue, voici cette pub en taille réelle:


Oui, c'est une publicité de l'entreprise privée (même si le graphisme du site suggère le contraire) USAGC, qui organise les loteries permettant de «gagner» une carte verte états-unienne (Green Card Lottery Information and Registration Service).

Sachant que:

  • 70% des Libanais considèrent que les États-Unis sont un ennemi du Liban, et que la récente guerre était «américano-israélienne»;
  • l'émigration est un véritable fléau qui contribue à la destruction de l'économie du Liban (on estime la population libanaise vivant sur le territoire national à près de 4 millions; la population expatriée à 13 millions); l'émigration est considérée sous deux aspects: le non-retour de compétences et de capitaux installés à l'étranger, et le départ continu de la jeunesse libanaise vers l'étranger;
  • beaucoup considèrent que la récente agression contre le pays a accentué le problème (à la fois en poussant encore plus de Libanais à s'expatrier, et en décourageant de nombreux expatriés de se réinstaller au pays);
  • l'agression a renforcé l'idée que la possession d'un passeport non libanais était une condition de survie (la majeure partie des personnes rapatriées par les navires occidentaux étaient des Libanais possédant une seconde nationalité).
Nous bombardons votre pays, nous déplaçons des centaines de milliers de personnes, nous réduisons l'économie de votre watan à l'état de champs de ruines, nous semons des mines dans vos villages, et maintenant nous faisons la publicité d'un service qui vous propose, contre monnaie sonnante et trébuchante, la possibilité de peut-être avoir une chance d'avoir le droit de venir refaire votre vie... chez nous.

Cette publicité me semble avoir d'élégance qu'un tract largué par l'aviation israélienne: «Quittez votre village, sinon vous serez tués. Post-scriptum: avez-vous pensé à demander une green card? »